Comment nos crèmes solaires sont en train d’asphyxier les océans

On a toujours peur de ne pas s’enduire assez, mais ce sont des milliers de tonnes de crème solaire qui se dissolvent chaque année autour des plages touristiques, alors qu’elles ont ultratoxiques pour la faune marine.

Une mer d’azur, du sable fin, et le soleil qui tape : après pas loin de deux ans à enchainer les vagues de confinement, on en rêve tous. Et à défaut de vacances sous les tropiques, un plongeon dans une mer européenne, du Nord ou Méditerranée, nous ferait déjà du bien. Attention toutefois, même chez nous il vaut mieux protéger notre peau des rayons ardents. Sauf que cette crème solaire, qu’on utilise d’habitude massivement chaque été, se retrouve dans les océans. Et elle est suspectée d’étouffer de nombreuses formes de vie.

Des milliers de tonnes dans les coraux

Chaque année, ce sont entre 6.000 et 14.000 tonnes de crème solaire qui se dissolvent dans les zones riches en corail, souvent très touristiques, selon l’organisme scientifique Haereticus Environmental Laboratory. Et Cinzia Corinaldesi, professeure d’écologie à l’Université polytechnique des Marches (Ancône, Italie), estime que le nord de la Méditerranée en absorbe 20.000 tonnes chaque année, rincé du dos des vacanciers.

Or, ces lotions grasses contiennent de nombreux produits chimiques, et deux au moins sont suspectés d’être très toxiques pour l’environnement : deux filtres à rayons ultraviolets, l’oxybenzone et l’octinoxate.

Pour Cinzia Corinaldesi, l’impact délétère de ces produits chimiques sur l’environnement ne fait pas de doute: « Au Mexique, il est interdit d’utiliser des lotions solaires avant de plonger dans l’eau des cénotes [des tunnels naturels donnant sur des cavernes inondées]: les Mexicains se sont rendu compte que ça affectait les formes de vie délicates de ces écosystèmes fragiles. Et nous avons démontré, pour la première fois, que certains filtres et conservateurs présents dans ces produits provoquaient un blanchiment total des coraux, même à de très faibles concentrations. Depuis nous avons testé de nombreuses lotions, y compris des produits « eco-friendly », sur différents organismes marins, et nous avons découvert que certains provoquaient des malformations dans les embryons et les larves qui s’y abritent. »

Une goutte pour six piscines

La chercheuse étudie les effets des crèmes solaires sur les mers depuis le début des années 2000, et d’autres études vont dans son sens : des recherches menées en 2015 ont démontré qu’une goutte d’oxybenzone suffit à affecter l’équivalent de six piscines olympiques et demi, au détriment de tout ce qui pourrait vivre dans un tel volume aquatique. « Toutes les zones côtières, en particulier en été quand les plages sont bondées, sont à risque », alarme la biologiste. « En particulier dans les eaux peu profondes, où la concentration en lotions solaires peut atteindre des niveaux relativement élevés. »

Les crèmes solaires « écologiques » se sont multipliées cette année, mais celles-ci remplacent les produits chimiques par des filtres métalliques tels que l’oxyde de zinc. Un autre produit suspecté d’être toxique pour les coraux et autres micro-organismes marins. En attendant que la recherche progresse, et que des produits véritablement nontoxiques pour l’environnement soient mis au point, les biologistes appellent à limiter autant que possible notre consommation. Et de garder des vêtements légers tout en réservant la crème pour les peaux exposée, au visage par exemple. Plutôt que de s’en tartiner généreusement.

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