Les talibans du XXe siècle méprisaient la modernité ; ceux du XXIe l’ont adoptée, et ils ont appris à l’utiliser au mieux. Ce sont de vrais experts des réseaux sociaux, et ça les a aidés à conquérir à nouveau l’Afghanistan. Mais nul ne sait comment les islamistes vont s’y prendre ensuite, dans un pays ultra-connecté.
Ceux qui ont vécu l’intervention de l’OTAN de 2001 en Afghanistan se rappellent sûrement des images venues de là-bas qui se sont soudainement retrouvées sur tous les écrans du monde. Car sous le joug des talibans, le pays était aussi fermé aux étrangers qu’aux sirènes médiatiques : les « étudiants en religions » avaient banni l’usage d’Internet, démantelé la télévision nationale, interdit la musique, et découragé l’usage de la TV ou de la radio. Depuis, ils ont changé sans vergogne leur fusil d’épaule.
Les médias qu’ils détestaient tant ont d’abord permis aux militants islamistes de continuer à exister dans la clandestinité. Dès 2003, ils ont lancé leur propre radio, nommée Voice of Sharia, ainsi qu’un site dédié, Al Emarah, qui n’a jamais pu être mis totalement hors ligne depuis tant d’années. Outre des talents certains en informatique, les talibans ont vite développé des compétences dignes d’un bon chargé de communication : ils ont fondé un véritable « Émirat virtuel » pour reprendre l’expression d’un chercheur.
Le AK-47 dans une main, Twitter dans l’autre
Si Al Emarah, devenu leur véritable site officiel, les talibans développent leur présence médiatique dans le courant des années 2000. Ils éditent des revues, et développent leur offre sous plusieurs langues. Tout en s’adaptant à leur audience : là où les sites et les magazines en Ourdou abordent l’actualité très locale, le groupe islamiste se présente en persan comme un mouvement de résistance nationale, tandis que l’anglais et l’arabe permettent de toucher un public mondial, et plus intéressé par des points de doctrine religieuse, détaille The Guardian.
Non contents de proposer tout un panel de contenu médiatique, les talibans ont aussi su se constituer une audience, et les occidentaux les y ont aidés. Car l’Afghanistan actuel n’a plus rien à voir avec le pays enclavé et volontairement isolé du premier régime des talibans : 89% de la population bénéficie maintenant d’un accès à Internet grâce à l’apparition et à la prolifération des smartphones. Un taux de couverture qui n’aurait jamais été atteint sans les efforts de la coalition pour ouvrir et moderniser le pays.
Dans la clandestinité, les talibans ont pu imiter des groupes terroristes tels que Al-Qaïda ou Daech, et adopter les réseaux sociaux afin de recruter et d’offrir de la visibilité à leur cause. Ils ont ainsi pu se maintenir à l’état d’acteur essentiel au sort des régions où il combattaient. Les messageries cryptées de type WhatsApp leur ont aussi offert un outil pratique pour communiquer à distance et préparer des opérations militaires combinées, voire se tenir au courant de l’avancement d’une bataille éloignée en direct. Et si les réseaux sociaux ont contribué à la victoire finale des talibans, leur rôle ne s’arrête pas là : les miliciens islamistes peuvent allègrement mettre en scène leurs succès et leurs trophées, toutes les rédactions du monde les guettant sur Twitter. Et, ce malgré les efforts que les réseaux sociaux assurent faire pour supprimer leur présence en ligne.
Un émirat ultra-connecté
Les talibans utilisent aussi les réseaux pour consolider leurs conquêtes et donner une bonne image d’eux à la population : ils mettent systématiquement en place des messageries à contacter pour signaler des délits ou des abus, par exemple. Mais là aussi, l’Afghanistan de 2021 n’est plus celui de 1997 : le pays s’inscrit dans un monde ultra-connecté, et la résistance au nouveau joug des seigneurs de guerre pourrait bien s’organiser aussi via les réseaux. Il est probable que les talibans finissent, tant par pragmatisme que par idéologie, de tenter de réduire l’accès au Web des Afghans. Mais est-ce seulement un objectif réalisable ? La révolution numérique n’est pas le genre de modernité qu’on peut aisément rejeter.
Pour aller plus loin :