Comment la Russie improvise une économie de guerre avec succès – pour l’instant

Comment la Russie improvise une économie de guerre avec succès – pour l’instant
David Hecker/Getty Images)

La Russie tient le coup et a su, malgré ses échecs, improviser une économie de « quasi-guerre » qui maintient plus ou moins le niveau de vie de la population, tout en approvisionnant l’armée en hommes et en armes. Du moins tant que la situation reste celle d’une guerre de position. Or, il est fort probable que le front s’agite dans les semaines à venir.

Pourquoi est-ce important ?

L'économie russe s'est avérée bien plus résiliente que ce qu'imaginaient les États-Unis et l'Union européenne : elle ne s'est pas effondrée, malgré une somme de sanctions absolument inédite imposée à un seul pays. Mais la Russie se trouve quand même dans une situation délicate : elle a su maintenir un statu quo, mais il s'agit d'un équilibre fragile tant sur le plan économique que social ou militaire.

La situation : la Russie tient le coup malgré une guerre plus longue que prévu et des sanctions particulièrement dures – mais loin d’être aussi efficaces qu’espéré.

Une économie qui se maintient en équilibre

  • Selon la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le PIB russe a chuté de 2,1 % l’année dernière. Quant à 2023, les estimations sont assez larges, et couvrant tant une contraction de 2,5% qu’une hausse symbolique de 0,7%. Mais on n’est loin de l’effondrement économique prédit l’année dernière.
  • La Russie a su se trouver de nouveaux partenaires pour ses exportations de pétrole et de charbon, en particulier vers la Chine et l’Inde. Et elle a bâti de nouveaux réseaux pour importer au moins une partie de ce qui lui manque.
  • La Chine vend désormais deux fois plus à la Russie qu’en 2019, mais les réseaux parallèles via des intermédiaires ne sont pas à négliger, rappelle The Economist : En 2022, les importations de l’UE vers l’Arménie ont doublé, alors que les exportations arméniennes vers la Russie ont triplé. Les exportations de téléphones de la Serbie vers la Russie sont passées de 8.518 dollars en 2021 à 37 millions de dollars en 2022.
  • Ce sont des expédients, mais ils permettent au pays de continuer à tourner, presque à l’état normal. Si les produits importés de prestige se sont faits plus rares, le niveau de vie en Russie n s’est pas sensiblement dégradé. Il faut d’ailleurs rappeler que l’UE tient à ne pas viser directement la population russe avec ses sanctions : des domaines tels que l’alimentation, l’agriculture, la santé et les produits pharmaceutiques demeurent intouchables.

Une armée qui s’en sort, grâce aux expédients

L’armée russe a subi des pertes énormes, qu’on n’avait plus vues en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : les Ukrainiens estiment que leurs ennemis ont perdu jusqu’à 100.000 soldats, morts ou blessés, rien que durant les offensives de ces derniers mois, qui n’ont obtenu aucun gain territorial notable. Les munitions manquent, et 8.000 et 16.000 véhicules blindés de tout type ont été mis hors de combat.

  • La Russie se préparait à une courte campagne ; elle doit improviser une longue guerre d’attrition. Mais elle tient le coup, grâce aux munitions fournies par ses alliés (Iran, Corée du Nord, Biélorussie, probablement la Chine aussi) ainsi qu’en modernisant en urgence ses énormes stocks d’armes anciennes.
  • On voit maintenant des chars T-54 et T-55 être acheminés en Ukraine après des dizaines d’années dans des entrepôts, ainsi que des modèles de T-90 inédits, sûrement destinés à l’exportation vers l’Algérie. Cela a d’ailleurs un impact sur l’économie aussi : les ventes d’armes russes se sont effondrées, de 50 milliards de dollars en 2021 à seulement 11 l’année dernière.
  • Le pays ne peut toutefois produire que lentement des engins modernes à l’électronique et l’informatique sophistiquée, et il lui faut des puces qu’elle ne produit pas ; on estime que les machines à laver modernes que le pays a importées en masse ont été phagocytées à cet usage. La Russie a aussi cessé d’accepter les demandes de passeports biométriques depuis février pour économiser des puces.
  • La Russie parvient ainsi chaque mois à fabriquer environ 30 Kh-101 et 20 Kalibrs, ses deux principaux types de missiles guidés, ce qui reste néanmoins peu par rapport au déluge de projectiles qu’elle a fait subir à l’Ukraine cet hiver.

Une population dans l’expectative

Les Russes sont nombreux à avoir été mobilisés, et encore plus nombreux à avoir quitté le pays de peur de devoir partir combattre. Le gouvernement essaie maintenant de recruter plutôt des volontaires, au sens très large du terme, tout en niant toute nouvelle vague de mobilisation. Ce facteur et le niveau de vie de la majorité, surtout dans les villes, sont probablement les deux grands critères qui pourraient influencer la contestation. Mais aussi le recours par le gouvernement à son appareil sécuritaire.

  • Le pays ne manque pas de bras, mais il doit choisir entre son économie et son armée, tout en s’assurant que les mobilisés arrivent bien dans leurs unités. L’armée envoie désormais les avis de conscription et de mobilisation par courrier électronique, en plus des copies physiques, afin qu’il soit plus difficile de prétendre ne pas les avoir reçus, note The Economist. Or, plus la conscription se généralise dans les grandes villes comme Moscou et Saint-Pétersbourg, plus les risques d’agitation populaire augmentent.
  • Quant au niveau de vie, le gouvernement a dépensé près de 3% du PIB pour le maintenir l’année dernière, en subventions diverses.

La peur du prochain choc

Et pendant ce temps, côté ukrainien ? Peu de choses filtrent, mais de toute évidence une grande contre-offensive se prépare, avec des troupes maintenues en réserve et du matériel neuf. Or les soldats russes le savent et ont eu le temps de se préparer. À moins que le plan de bataille ukrainien soit basé sur un stratagème qui n’avait pas été pris en compte.

  • Le résultat de cette contre-attaque sera déterminant : la Russie a su redresser sa situation économique et militaire, et a prouvé qu’elle pouvait s’adapter à une longue guerre d’usure. Mais une nouvelle grande victoire ukrainienne pourrait remettre en jeu tout ce que Poutine s’est obstiné à miser. Là encore, il le sait.
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