Les tensions montent entre Pékin et Taipei, tandis que les États-Unis de Joe Biden veulent rester fermes avec l’Empire du Milieu. De quoi dégénérer en conflit ? Les deux nations ennemies qui se réclament de la Chine depuis 1949 s’y préparent.
Pour les deux protagonistes, la question n’est pas « si » mais « quand »: la République populaire de Chine et la République de Chine – communément nommée Taïwan – considèrent toutes deux qu’à terme, le conflit est inévitable. Comme une épée de Damoclès qui pend au-dessus des 130 km de détroit qui les séparent depuis 1949 et l’exode du régime nationaliste sur son dernier bastion insulaire, suite à la prise de pouvoir des communistes en Chine continentale.
Malgré une guerre larvée ponctuée de tentatives de débarquement des communistes, et d’entretien de foyers de guérilla sur le continent par les nationalistes, les relations entre les deux pays qui se réclament de la Chine légitime se sont plus ou moins apaisées à partir de 1979. Mais depuis quelques années, les relations se détériorent progressivement : en République populaire, le président Xi Jinping, au pouvoir depuis 2013, est un fervent partisan de l’unité de la nation chinoise sous un système unique, et cela inclut tant Hongkong que Taïwan. Et du côté de Taipei, l’élection de Tsai Ing-wen à la présidence en 2016, et l’arrivée au pouvoir du Democratic Progressive Party, qui réclame une déclaration d’indépendance unilatérale de l’île, a sapé la volonté de statu quo, voire de compromis, que défendait le vieux parti nationaliste Kuomintang. Depuis, la tension monte, et une nouvelle crise dans le détroit n’a rien d’impossible, avec, les deux camps en sont persuadés, un risque réel de conflit armé de haute intensité.
Taïwan : la stratégie du porc-épic
- Un arsenal Made in USA. La semaine dernière, Washington a approuvé un contrat de 750 millions de dollars pour fournir à Taipei 40 obusiers automoteurs Paladin avec tout leur système d’armes. En parallèle, les Américains vont contribuer à moderniser l’artillerie taïwanaise existante, dans le but avoué d’en faire une arme capable de matraquer sur les plages tout envahisseur qui tenterait un débarquement.
- Une doctrine pour faire mal. L’armée de la République de Chine est encore basée sur un système de conscription : elle compte 165.000 soldats, mais aussi 1.650.000 réservistes aptes à prendre les armes. Et ils ont pour mission de défendre l’île, mais aussi loin que possible de ses rives : une doctrine d’ « engagement offshore » dans laquelle marine et aviation doivent engager toute force hostile avant qu’elle ne puisse menacer les infrastructures du pays. Frapper fort et vite donc, et si possible en mer, quand les soldats ennemis sont vulnérables.
- Des alliés puissants, mais dont on peut se passer. La défense de Taïwan repose essentiellement sur le partenariat américain, et l’ombre d’une riposte tout droit venue de Washington en cas d’attaque chinoise. Mais à chaque élection américaine, cette stratégie risque d’être remise en cause : le président est censé annoncer aux Américains qu’ils vont faire la guerre à une autre grande puissance pour une île lointaine ? Les flottes américaines ne peuvent être partout. Si Trump était intransigeant envers la Chine, et si Biden, semble lui aussi adepte d’une ligne dure, Obama semblait trop timoré aux yeux de Taïwan. À Washington comme à Taipei, on semble privilégier une île hérissée de défenses, avec un armurier plutôt qu’un protecteur.
Chine : la stratégie du faucon
- Zone grise et harcèlement. Les violations de l’espace aérien de Taïwan par l’aviation chinoise se multiplient, de même que les déploiements dans les îles du détroit et les déclarations bellicistes. Une manière de maintenir la pression : à chaque alerte, les pilotes taïwanais doivent se préparer au pire, endurer le stress d’un possible combat, et consommer du carburant. Une manière pour Pékin de tester, mais aussi d’user mentalement les défenses. Une guerre des nerfs qui peut se combiner à des déclarations fortes ou à des cyberattaques pour maintenir la pression jusqu’au moment opportun.
- Développement naval et débarquement-surprise. La Chine veut augmenter significativement la présence de son drapeau sur les mers du globe : le pays a développé très rapidement une marine moderne, avec portes-avions (deux en test, un troisième en développement), et un grand nombre de frégates et sous-marins. Pékin a aussi développé sa capacité d’action amphibie, mais manque de navire de débarquement. La marine de l’Empire du Milieu semble s’intéresser à la flotte marchande du pays, en particulier ses cargos roll on-roll off (RO-RO) : des navires avec une rampe frontale capable de faire débarquer des véhicules par leurs propres moyens. De vraies barges de débarquement potentielles, et qui pourraient servir à mener une attaque-surprise avec des navires qui ne sont pas considérés comme des bâtiments de guerre. Un coup de poker.
États-Unis : la stratégie du cachalot
- La bataille de l’opinion. Taïwan est un allié indéfectible du système américain dans le Pacifique mais, comme le Japon, le pays a longtemps semblé compter entièrement sur la puissance américaine pour se protéger. Un rôle que Washington aimerait réviser. Pour quitter son uniforme de gendarme du monde, et surtout pour rassurer sa population : peu de présidents américains seraient prêts à se lancer dans une guerre avec la Chine si le territoire national n’est pas menacé. Il faudrait convaincre le Congrès, mais aussi l’opinion. Qui se rend compte que le dragon chinois a les dents pour répondre.
- L’armurier du monde libre. Comme durant les conflits du siècle précédent, la puissance industrielle de l’Amérique entrera en action avant ses GI’s. Les armes américaines peuvent garantir que toute attaque contre Taïwan ne soit pas une partie de plaisir. La Chine a des moyens, mais de là à risquer des pertes importantes, ce qui remettrait en cause la crédibilité de ses déclarations musclées, sans doute pas.
- Empire naval. Les États-Unis ne seraient pas forcément prêts à s’engager à fond dans une guerre pour Taïwan, d’autant que la Chine peut soutenir un conflit de longue durée. Mais refuser de lui vendre des ressources, saisir son commerce, voire bloquer ses ports, et l’isoler sous la menace d’une puissance navale qui n’a jamais été mise en échec une fois qu’elle s’est fixée un objectif, certainement. Si la Chine se retrouve engluée dans une guerre longue, sans commerce pour alimenter son immense économie, et avec d’autres frontières à surveiller, il se peut que Pékin considère que c’est mettre trop dans la même balance.
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