Qu’est-ce qui rend le char américain M1 Abrams si exceptionnel ?

Plusieurs pays ont promis d’envoyer des chars à l’Ukraine. L’Allemagne fournira des Leopard 2 modernes, tandis que les États-Unis ont promis d’envoyer 31 chars M1 Abrams. Il est considéré comme l’un des meilleurs chars au monde, mais qu’est-ce qui le rend si spécial ?

Le M1 Abrams détient le record mondial Guinness du char le plus lourd à son nom, avec un poids de 68 tonnes. Le véhicule a été conçu dans les années 1970 pour succéder au M60. Ce n’est qu’en 1991, avec la guerre du Golfe et l’opération Tempête du désert, que l’Abrams a connu son véritable baptême du feu.

L’essentiel : le colonel Johan Gallant, chargé de cours en systèmes d’armes et balistique à l’École royale militaire, va droit au but :

  • « Le soutien logistique, ce sera le défi de l’Ukraine. Il faut beaucoup d’équipements spécifiques et un personnel technique formé pour entretenir un tel tank. Nous avons vu du côté russe que la logistique a laissé sérieusement à désirer, notamment en termes d’approvisionnement. Un tel risque existe également avec l’Ukraine. L’entretien, les réparations et les fournitures qui doivent également être livrées,… c’est un paquet très important. »
  • Bien sûr, il y a aussi l’aspect technique d’un char, qui est au moins aussi important. « Un char présente trois aspects techniques importants », résume Johan Gallant. « Vous avez la mobilité, la protection et la puissance de feu. »

Mobilité

  • « La mobilité tactique d’un char de combat est assez élevée. Il possède des chenilles et passe donc sur tous les terrains plus facilement que les véhicules à roues, par exemple, même s’il est assez lourd. Celles-ci sont alimentées par une turbine à gaz. Le Leopard 2 et la plupart des autres chars de combat ont des moteurs diesel, mais ça fait tout aussi bien l’affaire. »

« Il a fallu aux Américains jusqu’à trois mois pour acheminer toutes leurs unités en Arabie saoudite, y compris la logistique, les fournitures, etc. Donc ce n’est pas comme si ces Abrams pouvaient être opérationnels dès demain. »

Johan Gallant, chargé de cours en systèmes d’armes et balistique à l’École royale militaire

Gallant soutient que rameuter des Abrams sera de toute façon un défi.

  • « Le char est vraiment grand et lourd, et toujours plus volumineux que la plupart des autres chars de combat. Lorsqu’ils se déplacent sur de plus longues distances, ce qu’on appelle la mobilité stratégique, cela pose un sérieux problème. Nous l’avons vu en 1991, par exemple, lors de la guerre du Golfe. Il a fallu aux Américains jusqu’à trois mois pour acheminer toutes leurs unités en Arabie saoudite, y compris la logistique, les fournitures, etc. Ce n’est donc pas comme si ces Abrams pouvaient être opérationnels demain. »

Puissance de feu

« La puissance de feu des chars de combat modernes est plus ou moins équivalente, la plupart des engins de l’OTAN ont un canon de 120 millimètres. Les Russes ont un calibre légèrement supérieur, mais c’est le même ordre de grandeur », affirme Gallant. Il évoque aussi les munitions, qui peuvent être divisées en deux grands groupes :

  • D’une part, vous avez les projectiles à flèche : « Ils pèsent environ cinq kilogrammes. Il s’agit en fait d’une flèche, avec une pointe acérée et des ailettes à l’arrière. La flèche est lancée à une vitesse de 1.800 mètres par seconde et transfère donc beaucoup d’énergie, ce qui la rend capable d’aller percer le blindage du char ennemi. »
  • Il y a ensuite les charges creuses : elles utilisent une pointe retournée vers l’intérieur, qui se retrouve poussée vers l’avant sous la pression d’un souffle interne, ce qui crée une fine pointe de métal en fusion qui transperce le blindage d’un char ennemi sans trop d’effort.
  • Par ailleurs, les munitions tirées ont un impact conséquent sur le poids du char. « Quand on lance des projectiles à une telle vitesse, le recul de l’arme est assez important. Si vous essayez de tirer un tel engin depuis un camion, il se renverse tout simplement. »

La probabilité de réussite du premier tir est essentielle dans les combats entre chars. Souvent, vous n’avez qu’une seule chance de tirer. Si vous manquez le premier tir, vous êtes presque certainement touché par l’ennemi.

Johan Gallant

Mais la puissance de feu ne se limite pas au seul canon.

  • Le système de conduite de tir joue également un rôle crucial dans une bataille de chars : un char ne tire pas de projectiles guidés. « Si vous visez mal, il n’atteindra pas sa cible non plus », déclare le professeur Gallant. Pour que ce premier projectile atteigne sa cible, un char nécessite de nombreux capteurs.

Où l’Ukraine peut-elle déployer ces chars ?

Bien que les chars d’assaut soient considérés comme polyvalents sur le champ de bataille, ils ne peuvent pas non plus être déployés n’importe où.

  • « En forêt ça ne sert à rien, car il y a des arbres sur le chemin », sourit Gallant. « Un terrain ouvert ondulé, c’est idéal, mais c’est toujours à double tranchant : ce qui est bon pour l’attaquant est mauvais pour le défenseur et vice versa. Un char peut atteindre sa vitesse de croisière en terrain plat et ouvert, mais bien sûr, c’est aussi là qu’il est le plus vulnérable. »
  • L’Ukraine pourrait donc utiliser le char dans une nouvelle offensive, mais les chars occidentaux pourraient également s’avérer utiles pour se défendre en cas d’attaque russe. « Sur la défensive ou simplement lorsqu’un char est stationnaire, il est plus susceptible d’aller à la lisière d’une forêt parce qu’il est beaucoup moins visible de cette façon, mais il peut toujours tirer si nécessaire », explique M. Gallant.
  • Toutefois, M. Gallant ne pense pas que l’Ukraine utilisera les chars pour défendre des villes comme Kiev. Ils peuvent cependant défendre les routes menant à ces villes, afin de tenir l’ennemi à distance. « Un environnement urbain est absolument à éviter pour un char. L’Ukraine ne peut pas réellement y déployer ses forces. Et la ville est idéalement défendue par l’infanterie, donc là un char est fondamentalement désavantagé contre des soldats à pied, dans tous les cas. »

MB

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