Les bullshit jobs : Des emplois suprêmement complexes, ou suprêmement inutiles ?

Dans les Échos, le philosophe et président du Think Tank Génération Libre Gaspard Koenig explique qu’en consultant son compte LinkedIn, il a été intrigué par le foisonnement d’intitulés de postes grandiloquents, improbables, souvent associés à des secteurs d’activité eux-mêmes très mystérieux : « networking enhancement », « innovative strategies », « holacracy », « global innovation insight », …, pour n’en citer que quelques-uns. Il se pose la question du sens à donner à cette évolution. Koenig constate également que certaines professions reviennent de façon récurrente : experts, conseillers, consultants, senior advisers… beaucoup évoluent dans des secteurs qui comportent le mot « stratégie », ou « leadership » dans leur dénomination, là encore, souvent pompeuse et anglo-saxonne.

Des emplois sans finalité réelle ?

Selon lui, les réseaux sociaux exaltent une certaine forme de mégalomanie, et c’est une partie de ce phénomène qui se reflète ici.Mais pas seulement. Il évoque le concept des «bullshit jobs » (qu’on pourrait éventuellement traduire par « emplois pipeau« ), développé par le militant altermondialiste David Graeber pour définir les kyrielles d’emplois de bureaucrates graduellement apparus dans les firmes multinationales au fil de leur expansion, de leur complexification, et de la création de nouvelles activités. Dans un article publié dans Strike Mag, Graeber a donné une image très parlante de sa vision :

« C’est comme si quelqu’un était ici pour créer des emplois sans aucune finalité, uniquement pour continuer à nous faire tous travailler. »

L’automatisation

Il explique que la plupart des emplois productifs ayant été largement automatisés, on a assisté au gonflement du secteur des services, ou plus précisément du secteur administratif.Cette explosion est liée à la création de nouvelles activités comme les services financiers ou le télémarketing, et l’expansion de secteurs comme le conseil juridique dans le domaine des affaires, la gestion de la formation et de la santé, les ressources humaines, et les relations publiques. En outre, les fonctions de conseil et de support des différents domaines administratifs se sont elles aussi beaucoup développées.Mais selon lui, ces emplois ronflants ne seraient qu’un  « artifice déployé par le capitalisme pour survivre dans un univers où le travail devient de moins en moins nécessaire : plutôt que de sombrer dans une douce oisiveté, l’élite multiplie les fonctions inutiles pour prouver sa propre légitimité », synthétise Koenig.

Ou le reflet de la complexification des tâches ?

Le philosophe fournit une autre interprétation : « les bullshit jobs reflètent plutôt l’impossibilité de nommer des tâches de plus en plus transversales, où l’intelligence se déploie au-delà des compétences techniques. »Et de conclure, malicieusement :

« Peut-être ai-je atterri en plein dans notre modernité : avoir le métier qu’on est, plutôt qu’être le métier qu’on a. N’ayons plus honte de nos bullshit jobs. La prochaine fois qu’on me demande, je vais essayer « thought leadership ».

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