Non, les marges des entreprises belges ne leur permettent pas de faire face facilement aux augmentations des coûts

Les coûts des entreprises, notamment les salaires et l’énergie, ont fortement augmenté et la plupart des entreprises ne peuvent que partiellement répercuter cette hausse sur leurs prix de vente. Cela implique que les marges bénéficiaires sont sous pression pour la grande majorité des entreprises. Le récit que font certaines personnes, selon lequel les entreprises font facilement face aux augmentations de coûts grâce à leurs superprofits, est tout simplement faux.

L’évolution des bénéfices des entreprises a été une question politique majeure au cours de l’année écoulée. Selon les syndicats et certains partis politiques, les entreprises enregistrent des superprofits et peuvent donc facilement payer les augmentations de salaires par l’indexation, et il y a même de la place pour une croissance supplémentaire des salaires. Pour illustrer cela, ils aiment décortiquer les chiffres de l’excédent brut d’exploitation, qu’ils présentent comme la marge bénéficiaire des entreprises. En effet, pour l’ensemble de l’économie belge, ce chiffre a atteint un sommet historique à la mi-2022. Mais les partisans de ce raisonnement « oublient » de mentionner que l’excédent brut d’exploitation ne reflète pas exactement la situation des bénéfices des entreprises. La Banque nationale a publié cette semaine une étude qui montre que la réalité est finalement un peu plus complexe.

Quelques observations :

  • L’excédent brut d’exploitation montre la différence entre la valeur ajoutée et les coûts de personnel, mais il ne correspond pas encore immédiatement aux bénéfices finaux des entreprises. Il ne tient pas encore compte de coûts tels que les amortissements ou les impôts. Cependant, les amortissements ont clairement augmenté ces dernières années, notamment parce que les entreprises investissent davantage dans la numérisation et que ce type d’investissement est amorti plus rapidement.
  • L’excédent brut d’exploitation pour l’ensemble de l’économie est une moyenne, mais derrière cette moyenne, il y a beaucoup de variations entre les entreprises. L’analyse de la Banque nationale montre qu’en 2022, la grande majorité des entreprises ont déjà vu leurs marges bénéficiaires tomber bien en dessous de la moyenne d’avant la crise sanitaire. La plupart des entreprises ne peuvent répercuter qu’une partie de la hausse des coûts (environ 60% en moyenne), et doivent donc absorber au moins une partie de l’augmentation spectaculaire des coûts dans leurs marges.
  • Les moyennes des bénéfices des entreprises sont faussées par un nombre limité d’entreprises très rentables. Il s’agit probablement en partie d’entreprises dans des niches spécifiques, et d’autre part principalement de celles qui opèrent à l’échelle internationale. Ces types d’entreprises représentent une part importante de l’activité économique de notre pays, ainsi que de la R&D, des investissements des entreprises et des exportations. Les perspectives suggèrent que même une proportion importante de ces entreprises ressentent la pression.
  • À la mi-2022, l’impact le plus important de la hausse des coûts pour les entreprises ne s’était pas encore fait sentir. De nombreuses entreprises avaient alors encore un contrat d’énergie fixe, mais pour la majorité d’entre elles, il a expiré cet hiver. Même avec les récentes baisses de prix, les nouveaux contrats impliquent toujours une augmentation de prix marquée par rapport aux contrats arrivant à échéance. En outre, la majeure partie de la hausse des coûts salariaux due à l’indexation doit encore arriver, au début de cette année. Selon toutes les prévisions, les marges bénéficiaires moyennes diminueront aussi nettement à la fin de 2022 (les résultats devant encore être publiés) et surtout au cours de 2023.

Potentiel économique altéré

La nouvelle analyse de la Banque nationale confirme ce que des analyses antérieures avaient déjà indiqué : en Belgique, beaucoup plus que dans d’autres pays, la charge de la crise de l’inflation est largement transférée aux entreprises via l’indexation automatique des salaires. Cela pose un problème à de nombreuses entreprises, qui se traduit notamment par une baisse des marges bénéficiaires. Une conséquence directe de cette baisse de rentabilité est que les entreprises deviennent plus prudentes dans leurs investissements. Selon les estimations de la Banque nationale, les investissements des entreprises ne dépasseront pas leur niveau de 2019 avant 2025. Ces cinq années de stagnation des investissements ont évidemment un impact négatif sur le potentiel de croissance de notre économie.

Une autre conséquence de l’indexation et du handicap salarial qui en découle est que notre position concurrentielle est compromise. Selon les dernières prévisions de l’OCDE, la part de marché des entreprises belges sur les marchés internationaux diminuera en moyenne de 6% au cours de la période 2022-2024, la Suisse et le Luxembourg enregistrant la plus forte baisse parmi les pays industriels classiques. En ce sens, il est positif que le Premier ministre De Croo ait déjà déclaré 2023 comme « année de la compétitivité » (après 2022 : « année du pouvoir d’achat »). Il reste cependant à voir comment il compte mettre cela en pratique.

L’histoire que certains racontent sur la facilité des entreprises à faire face aux augmentations de salaires et autres coûts est fausse. Le choc inflationniste le plus important est désormais derrière nous, mais l’impact d’une position concurrentielle plus faible menace de se faire sentir dans les années à venir.


Bart Van Craeynest est économiste en chef chez Voka et auteur du livre Terug naar de feiten (Le retour aux faits).

(CP)

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