L’INTERVIEW DU WEEKEND – « Plus qu’un coin, un accès direct à l’investissement libre et sécurisé dans le monde de l’art ». Cette promesse commerciale est celle derrière Art Can Die (DIE), une cryptomonnaie créée en Belgique dont la prévente a débuté il y a quelques jours. Son cofondateur, l’avocat Jean-Marc Goossens, plaide pour son jeune actif digital qui permet déjà de financer des artistes. Entretien.
L’art peut mourir. Étouffé par les conditions restrictives de ses financiers. Aseptisé par une industrie trop centralisée. Alors pour conjurer ce sort, un projet né en Belgique entend affranchir la création et tenter d’immortaliser l’art. Numériquement. Car la médecine prescrite à cet effet repose sur plusieurs innovations récentes : cryptomonnaie, blockchain et organisation décentralisée autonome (DAO). Ainsi se décrit en tout cas l’ovni Art Can Die. Une entreprise lancée par trois fondateurs aux profils complémentaires, résultat quasi logique de leurs expériences et rencontres personnelles.
L’avocat bruxellois Jean-Marc Goossens, spécialisé en investissements internationaux, exerce depuis 1988. Une époque à laquelle on ne débattait pas encore de la valeur des NFT. Rodant sa pratique auprès d’écuries de Formule 1, il s’estime technophile et tourné vers l’étranger. Bien des années plus tard, sa carrière prendra un nouveau tournant après une rencontre avec un confrère, Gaël Boven, diplômé en droit mais aussi spécialisé en mathématiques.
Faits pour s’entendre, tous deux se sont très tôt intéressés à la blockchain, considérant comme le font désormais de nombreux experts, qu’une révolution de l’ampleur d’Internet était en marche. Associés pour aider les nouveaux acteurs de ce secteur, ils sont consultés par les porteurs d’un projet crypto, dont ils accompagnent le développement de A à Z. D’autres dossiers du genre viendront par la suite asseoir leur expérience et alimenter leur désir d’entreprendre.
Une envie qui a spontanément trouvé une application concrète après la rencontre avec celui qui deviendra le troisième fondateur, Wayn Traub. Un artiste plasticien et metteur en scène bruxellois, connu entre autres pour ses spectacles présentés au Théâtre de la Ville, scène majeure de la danse contemporaine à Paris.
Art Can Die allait ainsi voir le jour avec pour mission de surmonter la difficulté de financer des projets artistiques de qualité, qui prennent du temps pour émerger, se développer mais risquent aussi de ne pas plaire au plus grand nombre et ne pas s’avérer rentables…
— ART CAN DIE (@die_coin) June 25, 2021
Utiliser les cryptomonnaies pour offrir la liberté aux créateurs de vivre de leur art, et a fortiori, de faire vivre l’art. Business AM a voulu explorer le sujet avec le cofondateur d’Art Can Die, Jean-Marc Goossens. Entretien. ⬇️
Business AM : La cryptomonnaie, était-ce le dernier recours pour ne pas subir les directives castratrices de mécènes ou la tyrannie des subventions publiques ?
Jean-Marc Goossens : Pourquoi ne pas utiliser les cryptomonnaies pour récolter des fonds et permettre aux artistes d’être vraiment indépendants ? C’est comme ça que l’idée est née. Et c’est ce qui est important dans notre projet : nous sommes ancrés dans la réalité, nous sommes orientés solution. Car on parle souvent du monde des cryptos, qui reste pour les non initiés assez obscur, en des termes où tout a l’air virtuel. Alors que nous, nous nous servons de la blockchain pour financer des œuvres bien réelles. Nous finançons d’ailleurs déjà 9 projets artistiques, en cours de réalisation.
Car vous avez déjà réalisé des récoltes de fonds privées.
Exactement. Grâce à ces récoltes de fonds, nous avons par exemple financé un premier projet de Phannapast Taychamaythakool, une artiste thaïe très connue en Asie mais qui n’avait jamais exposé en Europe ou aux États-Unis. Nous avons permis l’affichage de l’une de ses œuvres les plus iconiques sur un écran géant à Time Square ainsi que sur cent autres panneaux publicitaires digitaux. Prochainement, nous souhaitons l’exposer dans une galerie renommée à Paris.
Contrairement à des projets blockchain qui promettent la lune, vous semblez adopter une approche entrepreneuriale somme toute assez classique. Art Can Die utilise les cryptomonnaies comme un outil technologique pour optimiser le marché de l’art. Cela semble très pragmatique. Comment défendre cette stratégie réaliste dans un secteur de la crypto dont on déplore parfois la déconnexion avec la réalité, l’exubérance, les excès ?
Cela reste un défi en effet. Comme pour toute technologie, au départ, on ne les comprend pas bien. Généralement, ce qu’on ne comprend pas, on le craint. L’univers de la blockchain et des cryptos, il faut encore fortement le vulgariser. Le fait que nous, les fondateurs, nous ne soyons pas des geeks mais deux avocats et un artiste, contraste avec les autres porteurs de projets qui sont souvent des techniciens qui, eux, par après feront appel éventuellement à d’autres spécialistes comme des avocats. Notre solution est issue d’un problème que nous avons vécu et nous aidons d’autres artistes à résoudre ce problème. La plupart des cryptos présentent des white papers extrêmement touffus, où même des experts s’y perdraient, et n’ont pour ainsi dire aucune réalisation concrète à leur actif. Les fonds que ces projets attirent doivent aider à atteindre des objectifs, mais il y a encore tout à faire pour que cela soit plus qu’une idée, dont personne n’a la certitude que c’est la bonne et qu’elle fonctionnera.
Vous ne vous servez pas aussi du prétexte de la complexité de la cryptographie, de la réseautique, de la décentralisation, vous ne capitalisez pas aussi sur l’ignorance qui persiste autour de ces technologies ? On comprend facilement que vous puissiez convaincre les artistes qui seront soutenus financièrement mais comment amener le grand-public à investir et utiliser du DIE quand il comprend déjà difficilement le bitcoin et compagnie ?
Justement, nous menons actuellement une prévente (qui a récolté 50.000 $ à l’heure de rédiger cet article, ndla) dont le but est idéalement de rassembler 600.000 $. Ce qui est très peu comparé à d’autres projets cryptos. Avec cet argent, Art Can Die va immédiatement continuer à financer ses créations artistiques. Certaines sont presque finalisées et nous allons donc les montrer. Et on veut les montrer le plus vite possible, montrer ce qu’on fait avec l’argent des participants, pour démontrer que les utilisateurs peuvent nous faire confiance.
Ce qui vous permettra de lancer d’autres levées de fonds avec des montants plus élevés ?
Exactement. On veut procéder de cette façon graduelle : montrer, prouver ce qu’Art Can Die permet. Comme avec notre œuvre d’art monumentale de plusieurs mètres de haut et de large, The New Ark, inspirée de l’Arche de l’Alliance mais mêlant des techniques de peintures, de sculptures et embarquant un logiciel relié à des LED, plusieurs caméras, le tout connecté en permanence à Internet. Les internautes du monde entier pourront se connecter, ce qui créera un son et une lumière sur l’œuvre. L’arche devra voyager de galeries en musées retransmettre son spectacle, mettant en avant d’autres œuvres qui l’entoureront. L’idée dans Art Can Die, c’est aussi que les artistes soient membres de notre communauté, ils sont financés mais aussi ambassadeurs et utilisateurs.
Car Art Can Die veut être plus qu’une plateforme crypto de crowdfunding culturel, vous ambitionnez de développer tout un écosystème blockchainisé autour de l’art ?
Tout à fait. Nous avons en fait plusieurs phases. La première, l’actuelle, très concrète, nous récoltons des fonds pour financer des projets créatifs. Deuxième phase en 2022, on crée notre DAO, c’est-à-dire qu’on va donner des pouvoirs décisionnels à notre communauté. Ce sera étape par étape, mais prenons par exemple notre projet Noir, une série télé destinée aux plateformes de streaming. La DAO aurait un droit de consultance pour le choix des acteurs. Autre moyen à notre disposition avec notre token DIE, c’est le staking. (Staker pour mémoire, c’est mettre à disposition d’une plateforme ses cryptos pour en soutenir les opérations. En verrouillant ses actifs pour une durée indéterminée, on obtient une récompense, comme des intérêt sur des dépôts bancaires, ndla). Nos membres pourront recevoir des récompenses sous forme de royalties ou de NFT créés par nos artistes. Puis viendra à plus long terme, notre phase metaverse.
Un internaute lambda intéressé par votre projet doit se rendre où pour acheter la cryptomonnaie Art Can Die ? Et il la stocke dans quoi, un MetaMask par exemple ?
Oui voilà, techniquement, le DIE, c’est un token dit ERC20, un standard qui regroupe des fonctions et comportements. Il est compatible notamment avec un wallet MetaMask. Mais actuellement, le DIE n’est pas encore listé. Pour l’acheter, il faut se rendre sur notre site et passer par une interface, avec un processus d’identification KYC. Les tokens achetés sont inscrits à un dashboard en attendant notre listing. Lorsque le coin sera proposé sur des plateformes d’échange début 2022, les DIE seront stockables sur ces exchanges ou transférables sur des wallets.
Les ERC20 ne sont pas uniques mais sont la norme dans les services développés sur Ethereum. Le DIE est un token utilitaire mais envisagez-vous d’en faire aussi un moyen de paiement à d’autres fins ?
On peut imaginer une autre évolution où le DIE servirait monnaie événementielle. Nous avons eu des contacts avec des entreprises de billetterie en France qui sont intéressées. Les possibilités semblent infinies avec cette technologie évolutive. Et il y a sûrement encore d’autres applications auxquelles nous n’avons pas encore pensé.
Vous allez vous imposer une orthodoxie au niveau de la tokenomie ou vous vous appuyez sur une mécanique de memecoin à la Shiba Inu avec des trillions d’unités et l’espoir de voir le prix flamber ?
Tout le monde peut le voir dans notre white paper, nous ne produisons pas des milliards de coins, nous ne prenons pas des fees extravagantes. Tout est très encadré, calculé. Notre stratégie reste d’avancer progressivement.
Que pense l’avocat-entrepreneur de la pression réglementaire croissante sur la crypto, même si cela reste cacophonique à l’échelle internationale ?
Je suis plutôt demandeur d’une certaine uniformisation, harmonisation de la réglementation. Mais il faut garder l’esprit de la décentralisation de la blockchain. On est déjà trop loin que pour interdire la crypto. Le problème des détracteurs, c’est qu’ils ne connaissent pas. Il faut leur expliquer. Interdire les cryptomonnaies, reviendrait à devoir interdire Internet. Personne ne possède le brevet Internet, c’est un assemblage de protocoles informatiques à la disponibilité de tous. Finalement, il faut s’adapter, comprendre et réglementer pour éviter des abus qui nuisent à tout le monde. Malheureusement, on parle beaucoup trop des projets qui échouent.