Après le temps des rapports et des experts vient le temps des choix politiques. Enfin pas tout de suite : les discussions sur les mesures supplémentaires pour le pouvoir d’achat ont déjà été reportées à l’automne. Quant à la réforme fiscale, il n’est pas du tout certain qu’elle aboutisse un jour, tant elle divise la majorité. Le MR la rejette sur base du rapport délivré par les experts ce mardi, le CD&V et les Verts la soutiennent, et les socialistes n’y croient pas vraiment. Pourtant, le contexte international rend cette réforme plus indispensable que jamais.
Dans l’actu: le rapport des experts sur la réforme fiscale est tombé ce mardi.
Le détail: un tax shift est préconisé, mais doit être budgétairement neutre. C’est tout l’enjeu.
- Que dit le rapport ? En résumé: il préconise de réduire la taxation sur le travail, notamment pour les bas et les moyens revenus, en compensant par la suppression de certaines niches fiscales, qui touchent notamment au patrimoine. Le but est aussi de simplifier un système qui multiplie les régimes.
- Alléger la fiscalité sur le travail: les experts encouragent de baisser de quelques pourcents les impôts en fonction des tranches, fixés pour le moment à 25, 40, 45 et 50 %. L’autre mesure complémentaire serait d’augmenter le seuil de passage d’une tranche à l’autre. Actuellement, ce passage s’effectue sur base des revenus annuels à 13.540, 23.900 et 41.360 euros.
- Taxer les revenus du patrimoine: les experts estiment que chacun devrait être taxé davantage sur les revenus du patrimoine, en ce compris les loyers. À un taux fixe de 30%. Une exception existerait pour les plus-values sur les actions qui ne seraient taxées qu’à 15%. Il n’est, par contre, pas indiqué de taxer le patrimoine en lui-même, les experts estimant qu’il est déjà assez imposé via les droits de succession ou les droits d’enregistrement.
- Supprimer certaines niches fiscales: les experts visent la réduction ou la suppression des chèques-repas et des écochèques. Les exonérations liées aux flexijobs, aux droits d’auteur et aux sportifs professionnels. Mais aussi, la suppression, très polémique, du régime de voitures de société. Enfin, il ne serait plus fait de distinction entre personne physique ou en société.
- Revoir le régime de la TVA: les experts veulent fusionner les différents taux de TVA (6, 12 et 21 %) sans distinction pour ramener le taux à 10% pour tout type de produits. Les experts estiment en outre qu’il faudrait mettre en place une taxe CO2.
- Vous l’aurez compris: la contrainte est que cette réforme fiscale doit être budgétairement neutre pour les caisses de l’État. Ce qui veut dire, par définition, que ce qu’on perd d’un côté, il faut le récupérer de l’autre. Une taxation progressive sur les revenus du travail contre un taux fixe sur les revenus du capital.
L’essentiel: ces propositions inspirent le ministre des Finances qui veut à tout prix faire passer sa réforme. Le président du MR la rejette sans détours : « On dirait un tract du PTB. »
- Vincent Van Peteghem (CD&V), le ministre des Finances, a annoncé dans la foulée du rapport que ces propositions étaient pour lui une source d’inspiration. Lui et son parti – qui veut revenir à ses fondamentaux sous la présidence de Sammy Mahdi (conservatisme et classe moyenne) – entendent scorer et marquer la législature Vivaldi avec cette réforme.
- Mais dès le départ, les choses ne se sont pas bien présentées pour les démocrates-chrétiens. Car la réforme fiscale ne figurait pas dans le « grand accord de l’été » que voulait le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) d’ici le 21 juillet. Face à la pression, le sujet a finalement été ajouté à l’agenda, mais personne n’y croyait vraiment au sein de la coalition. La question du pouvoir d’achat ayant été repoussée à l’automne, c’est désormais la réforme des pensions qui prend toute l’attention.
- En coulisses, les chrétiens-démocrates s’étaient même fait une raison. « Les plans seront de toute façon abattus, nous en sommes sûrs », nous glissait-on. Eh bien, ils n’auront pas été déçus par la réaction du MR et de son président Georges-Louis Bouchez.
- Interrogé par De Morgen, le Montois n’a pas fait dans la dentelle: « Ce rapport est tout simplement insultant. Ça ressemble à un tract du PTB. » Ajoutant: « Tout ce que fait ce rapport, c’est taxer, taxer, taxer. Tout ce qui n’est pas déjà taxé, nous allons le taxer. Il n’y a aucune trace d’une réduction d’impôts nulle part ? Je croyais que Van Peteghem voulait un changement de taxe ? Il s’agit d’une pure augmentation d’impôts ».
- Une fois de plus, le président du MR, en défendant sa chapelle, fait le travail de l’opposition au sein de la majorité et n’aura pas attendu les discussions gouvernementales. Pour GLB, c’est tout vu: « Le rapport propose l’abolition de toutes sortes de régimes fiscaux favorables. Si vous les supprimez tous, vous allez faire sombrer des secteurs entiers. C’est la fin du sport professionnel en Belgique. Et l’industrie pharmaceutique quittera également notre pays immédiatement. »
- Tuer dans l’oeuf une telle réforme avant même les discussions a suscité son lot d’indignations de la part des autres partis. Si l’Open VLD se tait pour le moment, le CD&V y voit une bonne base de travail. Les chrétiens-démocrates peuvent aussi compter sur l’appui des Verts, qui sont les plus emballés par cette réforme et la suppression de certaines niches fiscales.
- Dans La Libre, le chef de file Ecolo à la Chambre, Gilles Vanden Burre, « partage la majorité des constats posés par les experts. Le système belge est injuste, complexe, trop peu lisible. »
- Par communiqué, le député précise: « Le groupe Ecolo-Groen souhaite s’appuyer sur ce rapport pour concrétiser une réforme fiscale ambitieuse d’ici à la fin 2022. Le temps des rapports et des consultations est derrière nous, il faut maintenant passer à l’action politique et nous sommes prêts! ».
- L’écologiste met en exergue les revenus du patrimoine et en particulier une taxation plus importante sur les plus-values mobilières (actions et obligations). En outre, et ce n’est pas une surprise, Vanden Burre remet sur la table la fin progressive du régime des voitures de société, qu’il estime être un système « subsidié » par l’État. « Ça coûte entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an (…) pour seulement 15% des travailleurs ». Il serait peut-être plus juste de parler d’un régime moins taxé qui cause un manque à gagner pour l’État plutôt qu’une perte sèche, mais ce dossier reste éminemment politique.
- Du côté du PS, on reste surtout attaché à un impôt sur la fortune, comme tente de le lancer régulièrement dans le débat Paul Magnette. En outre, le PS a déjà obtenu la taxe sur les comptes-titres. Récemment, le secrétaire d’Etat à la Relance et fidèle lieutenant du président du PS, Thomas Dermine, avouait, dans L’Echo ne pas vraiment croire à cette réforme fiscale, tant elle touche à certains totems des libéraux.
La vue d’ensemble: le contexte international a changé. Ce qui était une intention de « préparer » une réforme fiscale, lors des négociations de l’accord de coalition, devient de plus en plus une nécessité.
- « Le gouvernement préparera une réforme fiscale plus large afin de moderniser et de simplifier le système fiscal et de le rendre plus équitable et plus neutre ». Voici noir sur blanc la mention de la réforme fiscale dans l’accord de gouvernement.
- Le lecteur perspicace aura vu que la réforme ne devait pas avoir lieu, mais qu’elle serait « préparée ». Dans le langage de la rue de la Loi, il s’agit généralement d’un signe qu’une partie de la coalition voulait absolument cette réforme et que d’autres hésitaient.
- Dès les négociations en septembre 2020, tout le monde admettait qu’il fallait réparer le système fiscal belge, mais les libéraux se méfiaient. Et ils se méfient toujours d’une trop grande intervention qui se traduirait par de nouvelles hausses d’impôt.
- Après tout, la Belgique est la championne du monde de la taxation sur le travail, mais elle figure également en très bonne place sur la taxation du patrimoine. Les bleus ont une peur bleue de nouvelles augmentations d’impôt.
- Mais ce qui était une intention pourrait devenir une obligation au vu du contexte international. L’inflation est à 10%, et il existe en Belgique une indexation automatique qui augmente, sans distinction, les salaires des fonctionnaires et puis du privé. La FEB appelle depuis longtemps un saut d’index face à la perte de compétitivité de nos entreprises par rapport à nos voisins. En effet, l’indexation automatique est unique au monde et en Europe à l’exception du Luxembourg (et de Malte), et que vient de décider le Grand-Duché: un saut d’index pour cette année.
- Mais un saut d’index est un tabou absolu pour le PS et les partis de gauche de la Vivaldi. En fait, toute la situation est bloquée: la loi de 1996 et sa modification en 2017, défendues à droite, bloquent les négociations salariales au-dessus d’un certain plafond. Indexation automatique et loi de 1996 se regardent en chien de faïence et se neutralisent l’une l’autre au niveau politique.
- Il ne reste donc qu’un seul levier: une réforme fiscale qui diminuerait la pression fiscale sur le travail. Toutes sortes de rapports internationaux préconisent à la Belgique de revoir son système fiscal, et désormais le FMI, l’OCDE et la Commission européenne font pression.
- « Toute la question socio-économique est liée à cela : tout le monde dit maintenant qu’il doit y avoir une réforme fiscale, ce serait la solution », entend-on au sein de la Vivaldi. « Mais ensuite, on arrive soudainement avec des listes de propositions qui ne feront que coûter plus cher », ajoute cyniquement la même source.
- C’est un peu le serpent qui se mord la queue: toutes les niches fiscales ont été créées en Belgique en contrepartie d’un d’impôt élevé sur le travail. Le fruit d’une négociation continue entre la gauche et la droite. Supprimer ces niches fiscales doit donc se faire au bénéfice d’une taxation beaucoup moins importante sur le travail. Sinon toute nouvelle taxe sera perçue comme injuste au moins par une partie de la population.
- De l’autre côté, dans une situation budgétairement neutre où les recettes de l’État ne peuvent diminuer, une baisse de la taxation sur le travail ne peut se faire évidemment que par la levée de nouvelles taxes. Mais le rapport des experts ne parle à aucun moment d’une baisse des dépenses de l’État.
- Quoi qu’il en soit, Il reste à voir si la Vivaldi, qui se dispute sur à peu près tous les dossiers, a encore la volonté et la cohésion pour réaliser cela. Alors que l’horloge tourne et s’approche des prochaines élections.