C’est une idée qui se propage de plus en plus sur les marchés boursiers : pour différentes raisons, l’on imagine que la Fed pourrait prochainement mettre en suspens les hausses des taux d’intérêt. Mais pour le célèbre économiste Mohammed El-Erian, il s’agit d’une croyance, et cela n’est pas près d’arriver.
Au vu de l’onde de choc provoquée sur les marchés boursiers par les dernières hausses des taux d’intérêt de la part de la Fed, et des risques de récession pour l’économie américaine, certains investisseurs s’attendent à ce que la Fed mette en suspens les hausses des taux d’intérêt, au moins après les deux prochaines hausses, pour lesquelles on s’attend généralement à deux sauts de respectivement 0,5 point de pour cent. Cette mise en suspens de la part de la Fed n’est que de la spéculation, mais elle a déjà eu un effet réel : le dollar a été coupé dans son élan et a observé sa plus forte chute en plusieurs mois (une devise nationale gagne en force avec les hausses des taux d’intérêt), et les indices boursiers commencent à remonter la pente.
Vendredi, d’autres données sont venues réconforter cette théorie : l’indice des dépenses de consommation personnelles, un des instruments de mesure de l’inflation préférés de la Fed, est passé à 4,9% en avril, de 5,2% en mars, rapporte Markets Insider. En d’autres mots, cela veut dire que l’inflation perd de son souffle, et que la Fed pourrait, selon les investisseurs, être incitée à ne plus trop fortement augmenter les taux d’intérêt. C’est en tout cas sur quoi ils ont misé à Wall Street, où le S&P 500 a vu sa première clôture de la semaine dans le vert, après sept clôtures de la semaine dans le rouge consécutives.
« Erreur significative »
Mais cette mise en suspens est-elle vraiment possible, et serait-ce une bonne idée? Pour le célèbre économiste Mohammed El-Erian, avancer en « stop-go » (élever les taux, puis arrêter un temps, avant de continuer les hausses, et ainsi de suite) serait une « erreur significative », s’exprime-t-il auprès de Bloomberg.
Mais même en continuant les hausses des taux d’intérêt, tout ne sera pas rose, continue-t-il. La Fed est en fait dans une impasse. Pour l’économiste, conseiller auprès d’Allianz et président du Queen’s College de l’université de Cambridge, la Fed aurait dû augmenter les taux il y a neuf mois déjà, pour réussir un atterrissage doux : un ralentissement de l’activité tout en évitant la récession. Avec des resserrements lorsque l’économie était en plein essor, au lieu de maintenant où elle est en train de ralentir. Un atterrissage doux est désormais impossible et il s’attend à un atterrissage entre doux et dur.
« Le mieux que l’on peut espérer pour le moment est un atterrissage « semi-doux ». Quelle est la probabilité que cela se produise ? Pas aussi élevée que je le souhaiterais », analyse-t-il. « Je pense que la Fed va devoir choisir entre deux erreurs de politique : appuyer trop fort sur les freins et risquer une récession ou appuyer sur les freins selon un schéma stop-go (…) et risquer d’avoir de l’inflation jusqu’en 2023. »
Mais toujours est-il qu’il ne voit pas cette mise en suspens des taux arriver. La légère reprise des cours, due entre autres à la spéculation sur le fait que la Fed puisse suspendre les hausses des taux est pour lui une mauvaise piste. « Ce que je ne comprends pas, c’est l’idée que, tout à coup, la Fed sera en mesure de relever le taux à deux reprises, puis de se calmer et de faire une pause. La seule raison pour laquelle, comme je l’ai dit plus tôt, cela se produirait, c’est si la demande s’effondre. Et si la demande s’effondre, les actions ne vont pas bien se porter », explique-t-il, en donnant l’exemple des supermarchés dont les profits sont en recul à cause d’une baisse des dépenses des consommateurs, et dont les actions ont plongé.
Quelles solutions?
Il ajoute encore que des solutions au problème de la baisse des cours boursiers et du ralentissement de l’activité seraient une hausse de la productivité, une hausse de la participation au marché du travail, surtout de la parmi les femmes (plus durement touchées par les licenciements en période de la pandémie aux Etats-Unis, et qui ne reviennent que plus lentement sur le marché du travail), et une reprise des chaines d’approvisionnement. « Mais cela n’est pas possible à court-terme, malheureusement. »
La prochaine réunion de la Fed aura lieu le 14 et le 15 juin. Une hausse de 0,5 point de pour cent, comme celle de début mai, devra logiquement y être annoncée. La Fed y annonce également ses estimations du taux total à atteindre d’ici la fin de l’année – qui montrera si la théorie de la suspension des hausses a une chance de se concrétiser ou non.