Nouveaux maux de tête sur le marché des céréales: l’Inde, qui pourrait combler une partie du blé ukrainien, subit une vague de chaleur extrême. Quel impact sur la récolte?

Avec la perspective de manquer en blé ukrainien ou russe, les prix s’envolent, et des pays craignent pour leur approvisionnement. L’Inde est vue comme une solution pour couvrir une partie de la carence, mais une vague de chaleur sans précédent déferle sur le pays, en pleine période des récoltes. Quelles autres solutions les pays peuvent-ils trouver?

Avec la guerre en Ukraine, l’accès aux céréales semble compromis. Or, le pays est le « grenier à blé » de l’Europe, voire du monde, et la perspective de manquer de ces ressources fait déjà fortement gonfler les prix. La Russie est également un important grenier, fournissant jusqu’à 17% du blé vendu à échelle mondiale. Mais là encore, une certaine quantité de blé et d’autres céréales devraient venir à manquer, à cause de différentes sanctions et de boycotts.

Au-delà d’une augmentation du prix déjà douloureuse pour de nombreux pays en voie de développement, la perspective de manquer de blé est bien réelle également : les importations de blé d’un pays comme l’Egypte dépendent de l’Ukraine et de la Russie à hauteur de 90%. L’Europe n’importe quasi pas de blé ukrainien ni russe, mais cette carence à échelle internationale fait tout de même augmenter les prix, dans un contexte d’offre et de demande : les pays qui vont manquer de blé vont chercher à se fournir ailleurs. Et un « ailleurs » souvent pointé du doigt est l’Inde, avec ses récoltes qui augmentent fortement ces dernières années.

Vague de chaleur

La récolte de blé en l’Inde, cette année, est estimée à 107 millions de tonnes. 10 millions de tonnes étaient prévues à l’export, le reste pour la consommation locale du deuxième pays le plus peuplé du monde. De l’autre côté, la carence de blé ukrainien exporté cet été est estimée à près de 17 millions de tonnes. L’Inde ne peut tout combler, mais c’est déjà un début dans la recherche de graines.

Or, c’était sans compter sur une terrible vague de chaleur qui s’abat actuellement sur l’Inde, en pleine saison des récoltes. Depuis mars, le pays est sous l’effet de températures particulièrement élevées, et le mois de mars a même été le plus chaud jamais enregistré. Cette semaine, les régions du nord et du centre du pays, où est cultivé le blé, vont devoir faire face à des températures allant de 42 à 48 degrés Celsius, rapporte CNBC. La situation sera particulièrement compliquée pour les populations pauvres qui vivent dans de petits logements mal aérés.

Cette vague de chaleur a un impact sur la récolte. Il fait tellement chaud que l’eau qui s’évapore n’arrive plus à refroidir l’atmosphère, et la transpiration non plus n’arrive pas à refroidir les corps humains. Dès 35 degrés, un adulte en bonne condition physique est déjà exposés à de forts risques pour la santé, s’il reste plus de six heures à l’extérieur, même à l’ombre. Il est très difficile de travailler sous ces conditions : un agriculteur de la région Outtar Pradesh, explique au média américain que sa récolte est en forte baisse par rapport aux autres saisons, à hauteur de 60%.

Pertes

La chaleur ne touche cependant pas uniquement la récolte. Harish Damodaran, du Centre for Policy Research de Dehli, explique que des vagues de chaleur, arrivées brusquement, ont également eu lieu plus tôt, lors de la période où les graines grandissent dans l’épi, les endommageant et touchant ainsi le rendement des plantes. « Les températures sont montées en flèche. C’était comme un choc électrique. Nous parlons donc de rendements qui ont baissé plus ou moins partout de 15 à 20% ».

Il ajoute que cette condition météorologique va mettre à mal les exportations indiennes. « Je ne sais pas si l’Inde sera en mesure de répondre à la demande d’exportation car cela va créer des problèmes au niveau de l’offre intérieure, avec la hausse des prix du blé. L’Inde ne peut pas remplacer la Russie et l’Ukraine avec ses exportations de blé, principalement à cause de ce choc de chaleur ».

Des son côté, Monika Tothova, économiste auprès de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, faisant partie de l’ONU) tempère et estime que l’impact de la vague de chaleur ne sera pas significatif, même si elle créera des pertes à échelle locale. Elle ajoute que l’Inde a des stocks de graines, et pourrait « du moins en partie », couvrir les carences de blé provoquées par la guerre en Ukraine. A voir cependant si l’Inde ne préférera pas limiter ses exportations, en cas de peur de manquer de céréales pour sa propre population à cause des pertes, ou pour essayer de garder les prix moins élevés à échelle nationale.

Solutions

Plus au Nord, la Chine a fait ses réserves. Ses greniers à blé ou à maïs sont remplis à des niveaux historiques. Le pays a assez de réserves de blé pour nourrir sa population (qui représente presqu’un cinquième de la population mondiale) pendant 18 mois. A échelle mondiale, la moyenne des réserves est de 70 à 90 jours, ce qui veut dire qu’un quart des besoins caloriques du monde sont actuellement stockés. Mais à quel prix la Chine va-t-elle donner accès à ses réserves? Selon des spécialistes, Pékin utilisera surtout ces réserves pour un jeu d’influence envers les pays qui ont besoin de blé.

Et le blé russe? Il est conspué ou sanctionné par certains pays. Mais des pays qui en sont largement dépendants, ont-ils le luxe de boycotter le blé russe, alors que des vagues de famine et de révoltes peuvent menacer? Dans ce cas de figure, certains pays n’hésiteront sans doute pas à s’approvisionner auprès de la première main tendue, quoi que cela coûte à échelle diplomatique, envers les pays sanctionnant la Russie. « D’abord vient la bouffe, puis la morale », écrivait déjà Bertolt Brecht.

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