Là où la Fed commence à rectifier le tir, la BCE reste impassible. Jerome Powell n’utilisera plus le mot « transitoire » pour qualifier l’inflation. Un aveu qui l’honore. La BCE et Christine Lagarde feraient bien de s’en inspirer, estiment un nombre croissant d’économistes. Jusqu’ici, l’inflation a déjoué tous les pronostics. Il serait plus sage de dire que l’on ne sait pas, et que donc, une politique monétaire plus stricte ne doit pas être balayée d’un revers de main.
Dans ses prévisions de septembre, la BCE tablait sur une inflation de 2,2% pour la fin de l’année, de 1,7% en 2022 et de 1,5% en 2023. Soit une inflation sur les rails de l’objectif de la banque centrale. Tout baigne. Sauf que pour ce mois de novembre, l’inflation a atteint les 4,9%, un sommet jamais atteint depuis l’introduction de l’euro. Il parait impossible que l’inflation rentre dans les rangs d’ici les fêtes de fin d’année.
Les causes sont connues: hausse des prix de l’énergie et problème de la chaîne de l’approvisionnement, l’offre ne rencontre pas la demande. La variant omicron vient en outre jeter un doute sur l’avenir: sa dangerosité et sa capacité à passer nos défenses immunitaires renforcées par les vaccins seront déterminants aussi bien pour la crise sanitaire que nos économies.
Une cause indirecte est la non-réaction de la BCE. Sa politique souple qui vise à racheter la dette des États, autrement dit à déverser de l’argent gratuit, est de plus en plus remise en cause par les économistes. L’endettement est gratuit, ce qui arrange bien les États membres, mais jusque quand ? Les bas revenus et les épargnants sont les premiers touchés par cette hausse de l’inflation.
Aux États-Unis, l’inflation a dépassé les 6%. La Réserve fédérale américaine a changé de ton ces dernières semaines. Elle envisage d’accélérer le ralentissement de son programme de rachat, et la hausse des taux d’intérêt pour l’année prochaine n’est plus un tabou. Le patron de la Fed Jerome Powell a même déclaré en début de semaine qu’il n’était plus question de qualifier l’inflation de « temporaire ». Non pas que l’on sache à coup sûr que l’inflation ne se tassera pas l’année prochaine, mais par mesure de prudence. Certains analystes estiment qu’il faudra remonter les taux d’intérêt trois fois l’année prochaine pour maitriser l’inflation.
« Christine Lagarde a lamentablement échoué »
Christine Lagarde ne veut rien entendre, ce qui a tendance à énerver de plus en plus d’économistes. Carsten Brzeski, responsable mondial de la macro chez ING Research, estime que « la BCE devrait communiquer de manière plus nuancée sur les facteurs ponctuels à court terme et les facteurs potentiels à plus long terme qui font grimper l’inflation », répercute CNBC. « La BCE devrait reconnaître qu’elle a été trop naïve en ce qui concerne la relation entre les prix à la production et les prix à la consommation et devrait donc faire attention à ne pas paraître convaincue des autres relations traditionnelles. »
Nick Andrews, analyste pour l’Europe chez Gavekal Research, est beaucoup plus catégorique: « Christine Lagarde a lamentablement échoué en douchant les attentes du marché sur une éventuelle hausse des taux d’intérêt en 2022. » En effet, pour la patronne de la BCE, pas question de l’envisager. « À la clôture de mercredi, le marché des taux d’intérêt à court terme tablait sur une hausse de 23 points de base d’ici décembre 2022. À la fin de la conférence de presse de Lagarde jeudi, il tablait sur une augmentation de 32 points ».
Frederik Ducrozet, stratège chez Pictet Wealth Management, pense que la BCE devrait faire amende honorable et déclarer à tout le moins que « l’inflation ne baissera pas aussi rapidement et autant que prévu » l’année prochaine.