L’intelligence artificielle va-t-elle nous mener vers un krach boursier ?

Dans un rapport, l’OCDE met en garde contre le danger d’un comportement grégaire sur les marchés boursiers en raison de l’essor de l’intelligence artificielle. « Si toutes les maisons de marché boursier commencent à utiliser des algorithmes similaires, cela pourrait entraîner de graves chocs financiers ».

Pourquoi est-ce important ?

Si les robots d'investissement deviennent à tel point intelligents qu'un trader humain ne comprend plus comment ils prennent des décisions, comment les humains peuvent-ils les corriger à temps pour ne pas qu'ils provoquent un crash ? C'est encore une question non résolue dans le monde financier.

Les algorithmes sont utilisés dans les opérations boursières depuis de nombreuses années. L’exemple le plus simple est un programme qui place un ordre d’achat si le cours de l’action descend en dessous d’un certain seuil (« Si Apple descend en dessous de 140 dollars : acheter »). Il y a une dizaine d’années, le high frequency trading (HFT) est apparu. Les superordinateurs effectuent des transactions à la vitesse de l’éclair avec d’énormes quantités d’argent afin de réaliser un bénéfice en une nanoseconde.

Il y a quelques années, écrivent les experts de l’OCDE, nous sommes entrés dans une nouvelle ère technologique. Les algorithmes basés sur l’intelligence artificielle joueront un rôle croissant dans les transactions boursières. Les robots d’investissement prendront des décisions cruciales sur le choix de l’action, de la devise ou de la matière première à acheter ou à vendre et – ce qui n’est pas sans importance – à quel moment, sur la base d’énormes quantités de données et de leurs « expériences » antérieures.

Les vagues d’innovation sur les marchés financiers au cours des dernières décennies – source : OCDE

Plus malin qu’un trader

Il ne s’agit plus de simples commandes « if-then-else », mais d’ordinateurs qui pensent comme le ferait un cerveau humain. Avec beaucoup plus de données.

« Les réseaux de neurone artificiels s’inspirent des réseaux neuronaux biologiques du cerveau », explique la banque américaine JP Morgan, qui a annoncé il y a deux ans vouloir construire l’algorithme ultime pour les marchés des changes. « Ils sont capables de modéliser des relations non linéaires complexes avec peu de contraintes d’entrée, ce qui est utile pour modéliser la réalité, car les relations dans la vie réelle sont souvent compliquées. »

Les experts soulignent que l’IA ne doit jamais remplacer complètement le trader humain et qu’elle n’est qu’un outil sophistiqué. Mais le rapport de l’OCDE souligne à quel point le trader peut être impuissant dans la pratique.

« Comme les modèles d’apprentissage automatique sont difficiles à expliquer et ne suivent pas des processus linéaires (une entrée A conduit à un choix de stratégie de trading B), il devient difficile pour le trader de comprendre ce qui a conduit à la décision d’investissement. Si l’investissement tourne mal, il ne peut pas corriger le modèle. Et si cela fonctionne bien, il ne peut pas identifier ce qui rend le modèle supérieur. »

Comportement de troupeau

Les algorithmes d’IA tels que celui de JP Morgan apprennent par eux-mêmes à décomposer une transaction en plusieurs plus petites afin de ne pas provoquer de chocs majeurs sur les marchés.

Néanmoins, selon les experts de l’OCDE, les algorithmes risquent de provoquer de graves turbulences financières. En effet, si toutes les grandes maisons de courtage commencent à utiliser des modèles d’IA similaires, cela entraînera inévitablement des ordres simultanés dans la même direction. Cela se traduit alors par un pic ou un krach soudain, ou par l’assèchement soudain de toutes les liquidités sur un marché particulier.

Si les robots d’investissement de JP Morgan, Goldman Sachs et BNP Paribas, par exemple, décident tous que l’euro doit être abandonné, on assistera à un flash crash, à une chute spectaculaire des cours, puis à une boucle de rétroaction auto-alimentée, qui n’aboutira qu’à des ventes de panique encore plus automatisées.

« L’utilisation d’off-the-shelf algorithms (les mêmes modèles standardisés ou des modèles similaires) par une grande partie du marché peut conduire à un comportement grégaire, à une convergence et à des marchés à sens unique, ce qui amplifie encore les risques de fluctuations de prix, d’effets d’auto-alimentation et de changements inattendus sur le marché, tant en termes d’ampleur que de direction », avertit le rapport de l’OCDE.

Cyber risques

Il existe un risque supplémentaire, selon l’OCDE, qui rend tout cela un peu plus inquiétant : les cybercriminels qui veulent influencer les marchés financiers en poussant tous les robots IA automatisés dans la même directio. En alimentant par exemple les algorithmes avec des données erronées.

« Pour les cybercriminels, il est plus facile d’influencer des agents qui agissent de la même manière, plutôt que des agents autonomes au comportement différent. »

Bouton d’arrêt d’urgence

La question est donc la suivante : comment empêcher les robots d’investissement de déclencher l’effondrement d’un marché particulier ou, dans le pire des cas, de l’ensemble du système financier ?

De nombreux experts insistent sur le fait que les grands investisseurs doivent fournir un kill switch, une sorte de bouton d’urgence qui arrête immédiatement l’algorithme. Le système d’ordres du grand investisseur pourrait ainsi se poursuivre par les procédures humaines classiques. Mais cela comporte aussi des dangers, car le système de trading est alors à l’arrêt, et une fraction de seconde peut vite s’apparenter à une éternité dans le monde du high frequency trading.

Et si toutes les bourses appuient sur le bouton d’urgence en même temps, il y a alors un risque d’effondrement financier dans la mesure où les liquidités viennent à manquer. Au niveau des bourses, l’importance des coupe-circuits, qui permettent d’interrompre les transactions pendant un certain temps en cas de fluctuations de prix très inhabituelles, pourrait devenir encore plus grande à l’avenir.

Quoi qu’il en soit, le dernier mot n’a pas encore été dit. Car bientôt, personne ne sera assez malin pour savoir ce que feront les robots d’investissement.

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