Les pays africains, un temps épargnés, font face à une hausse des cas et à une pénurie de vaccins. Des laboratoires locaux sont prêts à s’unir pour en développer de nouvelles versions. Mais Pfizer ou Moderna ne veulent pas voir leurs brevets s’échapper.
Alors qu’il semblait un temps épargné au début de la crise, le continent africain est maintenant frappé de plein fouet par le coronavirus. L’apparition du variant Delta a changé la dynamique de la pandémie, et le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies a averti que de nombreux pays semblent se diriger vers un scénario à l’indienne, avec hôpitaux saturés et pénurie d’oxygène.
La principale cause de cette détresse continentale n’est autre que le manque de vaccins : dans la majorité des pays d’Afrique, la proportion de la population inoculée ne dépasse pas quelques pourcents, selon les derniers chiffres de Our World in Data. Alors que la moyenne mondiale frôle les 14% à l’heure où ces lignes sont écrites. Il faut dire que l’Afrique est fort dépendante du monde extérieur sur ce point : même avant la propagation du coronavirus, l’immunisation africaine provenait à 99% de l’extérieur du continent.
Plus de 3,93 milliards de doses de vaccins anti-Covid ont d’ores et déjà été injectées dans le monde, selon un décompte de l’AFP. Mais seulement 0,3% de ce total a été administré dans les 29 pays les plus pauvres du monde, où se trouve pourtant 9% de la population mondiale. Et beaucoup de ces pays se situent en Afrique.
Vacciner local
Une situation que voudraient changer les pays concernés en lançant le développement de vaccins conçus et produits en Afrique. Un projet plus facile à imaginer qu’à mettre en œuvre, mais que l’Organisation mondiale de la santé voudrait favoriser en mettant en place un hub de transfert technologique, qui partagerait les connaissances pour créer de nouveaux vaccins de A à Z à une multitude de laboratoires. Deux entreprises pharmacologiques d’Afrique du Sud se sont déjà portées candidates. D’autant que ce réseau, combiné à la révolution des vaccins à ARN messager, offrirait de nouvelles pistes pour lutter contre les autres fléaux du continent, comme Ebola, ou le VIH. Mais les grands groupes pharmaceutiques n’en veulent pas, selon une enquête menée par Politico.
Les bénéfices des futurs traitements
La coopération de Moderna ou de Pfizer serait pourtant essentielle au succès de ce projet, mais aucune de ces deux firmes n’a marqué son intérêt à rejoindre le hub. Précisément car la technologie des vaccins à ARN messager est particulièrement prometteuse pour lutter contre d’autres maladies infectieuses, et que pour ces compagnies, il ne faudrait quand même pas que cela devienne gratuit. Elles comptent, autant que possible, maintenir un précieux monopole. Un choix que Jaume Vidal, conseiller de projets pour Health Action International, qualifie de « jeu dangereux, qui pourrait à terme coûter la vie à des milliers de personnes supplémentaires. »
Coup de pub et contrôle total
L’idée d’un hub de développement de nouveaux vaccins va en fait à l’encontre de toutes les pratiques de l’industrie pharmacologique. Chaque fabricant de pilules ou de piqûres est farouchement attaché à ses recettes, ses technologies, et son personnel qualifié. Tout mettre en commun tiendrait de la science-fiction, même s’il s’agit de l’avenir vaccinal de l’humanité. Alain Alsalhani, pharmacien depuis 9 ans au sein de Médecins sans Frontière rappelle que les grandes compagnies ne font jamais rien sans un bénéfice à la clef: « Si les pharmacologistes veulent partager leur technologie avec des fabricants africains pour améliorer leur image, ils le feront, mais de façon bilatérale. Ils veulent bien un coup de pub, mais ils veulent aussi garder un contrôle total. Ce qu’ils voient dans ce hub, c’est un risque pour eux de perdre le contrôle de leurs recherches. »
Une prédiction qui s’avère véridique : le 21 juillet dernier, Pfizer et BioNTech ont annoncé leur volonté de s’implanter directement en Afrique, et de produire sur place le vaccin BioNTech/Pfizer dès 2022 en passant contrat avec des entreprises locales. sans passer par le hub, donc en gardant le contrôle de la formule.
La question de la levée des brevets des vaccins occupait l’Organisation Mondiale du Commerce ce mardi soir. Mais aucune décision n’a été prise sur ce sujet qui divise les 164 États membres. Inde et Afrique du Sud militent pour cette levée des brevets, et sont soutenus par plusieurs dizaines de pays dont, pour une fois, tant la Chine que les USA. Mais les pays européens, le Japon et la Corée du Sud y sont en revanche très hostiles. Une nouvelle rencontre informelle aura lieu début septembre sur ce sujet, avant une réunion officielle les 13 et 14 octobre.
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