Ce jeudi, le président chinois Xi Jinping a fièrement annoncé avoir mis fin à l’extrême pauvreté dans son pays. Une ‘victoire complète’ qui ‘entrera dans l’Histoire’. Malgré d’indéniables progrès, le Parti communiste semble toutefois faire dire aux chiffres ce qui l’arrange.
Xi Jinping l’a annoncé à son peuple en grandes pompes: l’extrême pauvreté appartient au passé. Lorsqu’il est arrivé à la tête du Parti communiste, la Chine comptait encore 98,9 millions d’habitants en situation d’extrême pauvreté, selon les chiffres officiels de l’époque. En moins de dix ans, ils auraient tous été sortis de la misère.
Le président chinois a évoqué une ‘victoire complète’, sur l’extrême pauvreté. ‘C’est un miracle qui restera dans l’Histoire’, a-t-il clamé.
‘Aucun autre pays ne peut sortir des centaines de millions de personnes de la pauvreté en si peu de temps’, a ajouté Xi Jinping, faisant référence aux 800 millions de Chinois extraits de l’extrême pauvreté depuis le début des années 1970 et l’entame des grandes réformes économiques du PC.
Comment la Chine a-t-elle procédé?
Lors de la cérémonie de ce jeudi, Xi Jinping a remis des médailles à une dizaine de responsables pour le travail qu’ils ont abattu afin de lutter contre la pauvreté. Il a félicité les efforts accomplis par ses prédécesseurs – sans les citer nommément – pour avoir métamorphosé la Chine en l’espace de quelques décennies. La faisant passer d’un système collectiviste en un immense marché et la propulsant au rang de deuxième économie mondiale.
La lutte contre l’extrême pauvreté avait déjà connu un bel essor sous Hu Jintao, qui présida le Chine entre 2003 et 2013. À l’époque, il avait réalisé de grandes dépenses pour les écoles et les soins de santé dans les zones rurales, afin de transposer le modèle de prospérité de la côte Est vers l’intérieur des terres.
Une fois au pouvoir, Xi Jinping a continué le travail, plaçant la lutte contre la pauvreté parmi ses plus hautes priorités. Pour ce faire, il a notamment entrepris de déplacer de nombreux villageois établis dans des vallées reculées vers des villes tout juste sorties de terre. Au total, d’après les chiffres officiels, 10 millions de personnes ont eu l’occasion de déménager vers des régions moins isolées. 27 millions ont également pu profiter d’une rénovation de leur habitation.
Parmi les autres mesures, il y a eu le porte-à-porte mis en place par des fonctionnaires auprès des familles pauvres afin de les inscrire à des formations professionnelles. De nombreux subsides ont également servi à pousser à la création d’entreprises.
Au total, Xi Jinping affirme que son gouvernement a dépensé 1,6 trillion de yuans (202 milliards d’euros) en huit ans pour éradiquer l’extrême pauvreté.
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La Chine triche-t-elle?
Présenté comme cela, le tableau est idyllique. Toutefois, il convient de le nuancer. La définition officielle de l’extrême pauvreté en Chine correspond à un revenu par personne de 11 yuans (1,70 dollar) par jour. Ce chiffre est inférieur au seuil international de pauvreté, placé à 1,90 dollar par la Banque mondiale. Le PC justifie cet écart par le fait que le coût de la vie serait bien moins élevé dans les milieux ruraux de son pays.
Mais ce n’est pas tout. La norme de 1,90 édictée par la Banque mondiale est celle d’application pour les pays les plus pauvres. Or, la Chine ne fait plus partie de ceux-là. Elle est considérée comme un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Pour ceux-là, la norme de l’extrême pauvreté est fixée à… 5,50 dollars par jour.
Bref, pour se vanter d’avoir mis fin à l’extrême pauvreté, la Chine utilise une norme inférieure à celle des pays les plus pauvres… alors qu’elle n’en fait même pas partie.
Une lutte loin d’être finie
Selon certains analystes, malgré tous les efforts de propagande pour vanter la gestion de la crise du coronavirus par Pékin et pour faire croire que le Covid-19 n’est pas né en Chine, la pandémie a fragilisé la position de Xi Jinping dans son pays. En annonçant avoir éradiqué l’extrême pauvreté, il espère redorer son blason au moment où le Parti communiste, créé en 1921, célèbre son 100e anniversaire.
Quoi qu’il en soit, il est vrai que la Chine œuvre effectivement contre la pauvreté. Il est tout aussi vrai que son économie ne cesse de grandir et que, contrairement à ses rivales, son économie s’est déjà très bien rétablie de la pandémie. Toutefois, les analystes insistent sur le fait que la pauvreté reste un fléau dans le pays et qu’il faut poursuivre, voire intensifier les efforts pour combattre des inégalités abyssales.
Dans un rapport publié en janvier pour la Brookings Institution, l’ancien expert de la Banque mondiale Indermit Gill a affirmé que la Chine était presque aussi bien lotie que les États-Unis l’étaient en 1960, lorsqu’ils sont devenus un pays à revenu élevé. En se basant sur la norme de revenu américaine de l’époque, entre 80 et 90% de la population chinoise serait actuellement considérée comme pauvre.
‘Si nos chiffres sont corrects, la Chine a des années – voire des décennies – de retard’, a averti Gill.