Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), quelque 130 vaccins potentiels contre le Covid-19 sont actuellement en cours d’élaboration. Dix d’entre eux sont en phase d’essais cliniques.
Les gouvernements ont déjà versé des milliards de dollars aux entreprises pharmaceutiques pour produire des vaccins potentiels prometteurs contre le Covid-19. Avant même qu’ils n’aient été testés cliniquement. Si ces vaccins s’avèrent finalement efficaces, ils pourront être distribués immédiatement à la population.
Des sommes folles sont donc dépensées dans cette véritable course au vaccin. Et il en va de même pour les vaccins qui ne répondront finalement pas aux exigences.
Les dirigeants de quatre grandes entreprises pharmaceutiques – AstraZeneca, Johnson & Johnson, Moderna Therapeutics et Pfizer – ont déclaré au Congrès américain, lors d’une audition la semaine dernière, que ‘fin 2020 ou début 2021 est un calendrier réaliste’ pour disposer d’un vaccin efficace. Ces quatre firmes sont déjà en train de procéder à des essais cliniques.
Trois de ces sociétés – AstraZeneca, Johnson & Johnson et Moderna – ont accepté d’importants financements gouvernementaux afin de développer un vaccin. En conséquence de quoi elles ont promis aux autorités de mettre sur le marché des centaines de millions de doses à prix coûtant. Moderna, en revanche, affirme qu’elle ne vendra pas à prix coûtant.
La seule entreprise qui a refusé un financement public est Pfizer. Cela a inquiété un certain nombre de membres du Congrès qui redoutent un manque de transparence et des vaccins qui seraient proposés à des prix exorbitants.
Derrière la décision de Pfizer, une mécanique surprenante
Il y a une mécanique surprenante derrière la décision de Pfizer de ne pas prendre l’argent public. Un certain nombre de grands fonds d’investissement américains, dont Vanguard Group, BlackRock Inc. et State Street Corp. détiennent près de 30% de toutes les actions de Pfizer. Dans le même temps, ces géants de l’investissement possèdent des actions dans des centaines de milliers d’autres entreprises.
Si Pfizer développe un vaccin contre le nouveau coronavirus et le distribue largement – à prix coûtant, à perte ou même gratuitement – la pharma générera indirectement des milliards de dollars pour ses actionnaires.
BlackRock possède pour environ 16 milliards de dollars d’actions Pfizer. Si la firme devait faire faillite en distribuant ses vaccins gratuitement, Blackrock perdrait donc 16 milliards de dollars… Mais Blackrock dispose également de 2.900 milliards de dollars en actions diverses dans son portefeuille. Pfizer ne représente donc que 0,005% du portefeuille d’actions de Blackrock.
29 milliards de dollars de bénéfices contre 16 milliards de pertes
Si un vaccin contre le Covid-19 devait être distribué gratuitement et que la valeur des actions de toutes les entreprises faisant partie du portefeuille de Blackrock augmentait d’un pourcentage très conservateur de 1%, car dès lors l’économie pourrait rouvrir complètement, Blackrock réaliserait instantanément un bénéfice de 29 milliards de dollars, contre une perte maximale de 16 milliards de dollars en actions Pfizer qui devrait être déduite.
Cela profiterait à tous les fonds d’investissement cités plus haut, à leurs clients, ainsi qu’à toutes les entreprises concernées. Le seul perdant serait Pfizer, un problème qui pourrait être résolu à l’avance en promettant à ses employés des primes importantes s’ils étaient les premiers à développer le vaccin, pour ensuite le proposer gratuitement.
Les médicaments sont chers. Lorsqu’on a appris le mois dernier que l’entreprise Gilead fixait le prix de son traitement au remdesivir à plus de 2.000 euros, de nombreux sourcils se sont froncés à travers le monde. La plupart des gens – surtout aux États-Unis – n’ont tout simplement pas les moyens de s’offrir un tel traitement. La firme a défendu sa tarification en affirmant que l’épidémie de coronavirus l’avait obligée à étendre la production de remdisivir. Selon un porte-parole, cela a impliqué un investissement d’environ un milliard de dollars.
Le capitalisme sur la sellette
Il est donc possible que Pfizer choisisse de prendre une toute autre direction en distribuant son vaccin à perte, voire gratuitement. Pour la bonne raison que dans ce cas précis, une forme de capitalisme inversé (donner quelque chose gratuitement) rapporterait plus d’argent que le capitalisme pur et dur basé sur la loi de la demande (des milliards de personnes) et de l’offre (une seule entreprise ayant le monopole du vaccin).
Mais le scénario ci-dessus ne reste à ce stade qu’une hypothèse. Les dirigeants de Pfizer ont déclaré qu’ils n’acceptaient pas le financement du gouvernement ‘parce que nous voulions agir le plus rapidement possible pour faire passer notre vaccin en phase d’essai clinique. Nous déterminerons les prix en fonction de l’urgence sanitaire mondiale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.’
Un vaccin est inutile si les gens ne peuvent pas se le payer. De nombreux médicaments sont chers, non pas parce qu’ils sont vitaux, mais parce qu’ils sont rentables. Mais aujourd’hui, nous sommes dans une situation complètement différente.
Le fait qu’une poignée de méga-sociétés d’investissement détiennent la grande majorité des actions de centaines de milliers d’entreprises constitue donc ici un avantage pour tous plutôt qu’un inconvénient pour certains. Pour les employés de Pfizer, c’est un peu moins le cas. Mais en fin de compte, ils ne peuvent pas faire grand-chose d’autre que suivre les directives des actionnaires.
Pour une fois, l’intérêt personnel de certains est à l’avantage de tous.