La crise du coronavirus va provoquer trois glissements de terrain: la fin du projet d’intégration européenne, la fin des États-Unis fonctionnels et la fin du contrat social entre la Chine et ses citoyens. C’est ce que prédit Arvind Subramanian, ancien économiste en chef du gouvernement indien et conférencier invité à la John F. Kennedy School of Government de Harvard.
Dans une opinion remarquée sur Project Syndicate, Subramanian écrit qu’en conséquence, les trois puissances mondiales seront affaiblies sur le plan interne, sapant davantage leur capacité à assurer un leadership mondial.
1. Europe
La ligne de faille au sein de l’UE se situe en Italie, qui est trop grande pour être sauvée… Et trop grande pour faire faillite. La crise du Covid-19 a une fois de plus mis en évidence le manque de solidarité entre les pays du sud et du nord de l’UE. Selon l’Indien, l’arrêt rendu la semaine dernière par la Cour constitutionnelle allemande concernant le financement des programmes européens de la BCE n’est rien de plus qu’une confirmation de cette réalité.
‘Pendant ce temps, l’élite technocratique de l’UE essaie d’aider les États frappés par la pandémie avec une soupe alphabétique institutionnelle – BCE, MES, OMT, CFP et PEPP – qui est maintenant devenue leur langue courante.’
‘Si les pays riches de l’UE survivent à la crise et les pays pauvres non, l’UE finira par succomber au fait qu’aucun projet politique intégré ne peut survivre si l’on crée une sous-classe permanente de pays qui ne peut pas profiter des années fructueuses et qui est laissée à son sort dans les mauvaises années’, ajoute Subramanian.
2. États-Unis
La chute des États-Unis a déjà été décrite de façon excessive, mais elle n’est que sous-estimée, écrit Subramanian. Le Covid-19 est cependant un bon révélateur de faiblesses. Le pays ne représente que 5 % de la population mondiale, mais compte 32 % de tous les cas confirmés et 24 % de tous les décès dus au Covid-19.
Ajoutez-y des années d’impérialisme défaillant (la guerre en Irak), un système économique faussé (crise financière), un dysfonctionnement politique (la présidence de Donald Trump et un Congrès dysfonctionnel depuis des années). La somme est dévastatrice, même si elle n’est pas encore fatale. Elle découle de la polarisation empoisonnée propre à la société américaine.
La question est de savoir si la force sous-jacente du pays – ses universités, compétences technologiques, son esprit d’entreprise et le dollar comme monnaie de réserve – sera suffisante pour sauvegarder son statut dans le monde. Pour l’instant, Trump appelle ses partisans à la désobéissance civile à l’approche des élections de novembre.
Le climat aux Etats-Unis est délétère, notamment entre la presse et le président, comme on a pu encore le constater hier depuis les jardins de la Maison Blanche. Trump refuse tout simplement de répondre aux questions des journalistes.
3. Chine
Les mensonges proclamés par l’État au début de l’épidémie et les questions qui se posent aujourd’hui dans le cadre de la mondialisation, dont la Chine sort grand vainqueur, ont remis en cause le contrat social entre le parti communiste et le citoyen.
À la fin des années 1970, le dirigeant de l’époque, Deng Xiaoping, a forcé ses sujets à s’engager dans un puissant appareil d’État en échange de la prospérité et de l’ordre. Mais un contrat social ne peut pas exister si la population ne fait pas confiance à ses dirigeants et si ces derniers ne peuvent pas garantir sa sécurité. Selon Subramanian, les chiffres chinois ont sans doute été enjolivés et la véritable ampleur de l’épidémie sera tôt ou tard révélée. Les prouesses des pays voisins comme Taïwan, la Corée du Sud et même Hong Kong qui ont fait bien mieux contrastent fortement avec la situation en Chine.
Entre-temps, de nombreux pays retirent leur production de Chine car ils ne veulent plus être dépendants d’un partenaire peu fiable. Ces dernières années, la Chine a acheté de l’influence sur presque tous les continents en échange de sa participation à la grande initiative ‘Belt and Road’. Mais de nombreux pays concernés ne seront plus en mesure de rembourser les prêts chinois en raison du Covid-19. De quoi rendre les perspectives à long terme peu attrayantes pour la Chine.
Selon Subramanian, un monde dans lequel les plus grandes puissances sont affaiblies par des luttes internes et des guerres commerciales est un monde moins stable et dans lequel les conflits sont plus susceptibles de survenir. Le fait que chacune des trois superpuissances y soit confrontée en même temps, selon l’Indien, n’est donc pas de bon augure pour notre avenir géopolitique…
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