Wimbledon est l’un des derniers bastions où la tradition prime sur l’argent. Chaque année, depuis plus de 155 ans, les patrons de l’organisation disent non à des revenus supplémentaires. C’est un tournoi rentable, mais en raison des concessions que les propriétaires font aux règles, ils perdent beaucoup d’argent issu des sponsors. La question est de savoir s’ils peuvent continuer sur cette lancée maintenant que la récession en Angleterre commence vraiment à se faire sentir.
Remarquez-vous quelque chose dans la photo qui accompagne cet article ? On y voit, bien sûr, la présence de Roger Federer, l’un des trois meilleurs joueurs de l’histoire du tennis. Le Suisse est vêtu de vêtements de tennis d’un blanc immaculé. À l’arrière-plan, des bâches non imprimées tout en vert. Pas de logos de grandes banques, de crypto traders ou d’un pays du Moyen-Orient qui ne sait quoi faire de son argent.
Le All England Lawn Tennis and Croquet Club aime la tradition et n’a pas l’intention de la sacrifier de sitôt. Mais cela entraînera une baisse inévitable des recettes. « Ainsi soit-il », doivent penser les organisateurs flegmatiques. La question est de savoir s’ils pourront continuer à le faire maintenant que la crise les a également touchés.
Alors que le Wimbledon d’avant le coronavirus affichait complet, cette année, le nombre de billets vendus a diminué de 11 %. Et c’est assez étonnant parce que pour la première fois, les amateurs de tennis ont pu revenir en grand nombre après deux années de Covid-19. Le résultat est qu’on voit souvent des tribunes vides, même pour les matchs de l’héroïne locale, Emma Raducanu. C’est un avertissement, et les raisons en sont multiples.

Le Royaume-Uni est le précurseur de la prochaine récession économique
La crise au Royaume-Uni est en train de faire sentir ses effets. Le Brexit est l’accélérateur d’une récession économique, qui frappera également l’Europe dans les prochains mois. Les prévisions montrent que la Grande-Bretagne est une fois de plus l’homme malade de l’Europe. Jusqu’au Brexit, les Britanniques étaient sur une trajectoire fantastique, depuis que Margaret Thatcher a donné un coup de fouet à l’économie britannique avec des réformes dures mais indispensables. Depuis le Brexit, renforcé par l’improbable mauvaise gestion du Premier ministre Boris Johnson, les choses vont de mal en pis. Et le Britannique moyen le ressent dans son portefeuille.

La disparition des superstars
Il y a un autre problème qui va bouleverser non seulement Wimbledon mais aussi l’ensemble du monde du tennis : l’absence de sa superstar Roger Federer. L’icône suisse est l’incarnation de Wimbledon. Il est le Bach du tennis comme Justine Henin l’a été pour le tennis féminin à Roland Garros. Lorsque Federer jouait, les fans portaient des pancartes avec les mots « Ssst… Genius at work« . Il a maintenant 40 ans et a dû renoncer au tournoi de tennis de Londres pour la première fois en 23 ans.
Tiger Woods apportait la même attractivité au golf. Les audiences ont chuté depuis qu’il a arrêté de jouer. La retraite imminente de Rafael Nadal sera un autre boulet à porter pour le tennis mondial.
3 sources de revenus sous pression
Wimbledon n’est pas un événement déficitaire, loin de là. Au cours de l’année 2021, le tournoi a rapporté plus de 360 millions d’euros, dont 54 millions de purs bénéfices, alors que les règles sanitaires s’appliquaient encore. La question est toutefois de savoir comment ils vont combler ce vide alors que la masse salariale va également augmenter de manière significative au cours des prochaines années.
Les droits de diffusion constituent leur principale source de revenus, avec 56 % des rentrées totales. Avec 202 millions d’euros, ils sont bien supérieurs au marché, l’US Open devant se contenter de 50 millions d’euros de moins. Cela en dit long sur le charisme de cet événement et sur les revenus supplémentaires que ce tournoi emblématique pourrait rapporter aux sponsors.
Avec un prix du billet à 75 livres sterling, une place à Wimbledon est chère mais ce n’est non plus impayable. Seulement, la récession incite tout le monde à faire plus attention. Ces revenus représentaient 58 millions d’euros avant la crise. La question est de savoir comment ceux-ci vont évoluer dans les années à venir, maintenant que la récession s’est installée. Il n’y a presque aucune marge à ce niveau-là.
La troisième source de revenus est le merchandising. Une visite à Wimbledon n’est pas complète sans un verre de Pimm’s ou un bol de fraises. Là aussi, Wimbledon essaie de tenir compte du prix de revient pour ses visiteurs et de l’inflation galopante. Le Pimm’s coûte 15 pence de plus cette année, passant de 8,50 £ à 9,75 £. Heureusement, le bol de fraises ne coûte que 2,5 £, soit le même prix qu’en 2010. Encore une fois, la tradition.
Une solution possible : un méga sponsor
Le parrainage est le quatrième pilier des revenus. Un autre 16 % vient d’ici, ce qui représente 58 millions d’euros. 14 sponsors, dont Slazenger – qui parraine l’événement depuis 1902 – reçoivent une mention de leur logo, mais uniquement en noir et blanc. Il est facile d’imaginer qu’un seul sponsor principal, qui serait autorisé à apparaître sur les murs des courts de tennis, pourrait rapporter plusieurs dizaines de millions d’euros. Mais il faudrait alors imprimer les logos des sponsors sur les magnifiques toiles vertes, comme le font les autres tournois du Grand Chelem depuis des années.

Comme le FC Barcelone
En comparaison, le FC Barcelone s’est toujours vanté d’être le club de football qui dépassait ce sport : « Barça, més que un club« . Jusqu’en 2006, les Catalans n’avaient pas de sponsor de maillot. Lorsqu’ils ont franchi le pas en 2006, la place vierge sur le maillot pour les 100 ans a été réservée à l’Unicef, qui vise à améliorer le bien-être des enfants dans le monde entier. Cela leur a même coûté de l’argent. Cet acte philanthropique a pris fin lorsque le FC Barcelone a fait affaire avec le Qatar pour 4 ans, ce qui leur a rapporté 150 millions d’euros, puis avec Rakuten, qui leur a rapporté 58 millions d’euros par an.
Il y a toujours des événements qui prennent de l’ampleur chaque année et qui n’ont pas besoin de faire de concessions commerciales pour le moment. Le prestigieux tournoi de golf Masters à Augusta en est un, le Tour de France avec ses sponsors français quasi exclusifs en est un autre. Avec Wimbledon, il s’agit de trois événements qui, grâce à leur respect de l’histoire et à une politique commerciale qui dit « non » de temps en temps, n’ont cessé de croître en statut. La question est maintenant de savoir s’ils pourront continuer sur cette lancée. Dans le cas contraire, ce serait certainement une perte pour nous, téléspectateurs.
Xavier Verellen est un auteur et un entrepreneur. Son récent livre « Top athletes are CEOs », qui démontre que le leadership fait la différence entre les champions et les super champions.