« Vooruit et le PS sont structurellement sur une voie différente, Rousseau veut travailler avec la N-VA, nous n’aimons pas cela » : l’analyse sévère du PS sur son parti frère

Le PS et Vooruit partagent les mêmes bureaux depuis deux ans, au boulevard de l’Empereur : Conner Rousseau (Vooruit) y loue deux étages à Paul Magnette (PS). Mais cela signifie-t-il que les deux présidents se voient souvent à la machine à café ? Pas immédiatement, semble-t-il. Au contraire : il y a de la friture sur la ligne entre le quinquagénaire de Charleroi et le trentenaire de Saint-Nicolas. « On voit bien que chez Vooruit, on fait d’autres analyses, avec une idéologie différente. Tout tourne autour de 2024 », analyse un haut responsable du PS. On se rend compte, des deux côtés de la famille socialiste, que les partenaires de coalition préférentiels ne sont pas les mêmes. Même au sein de la coalition actuelle, la tension est parfois perceptible. « Quand vous voyez Frank Vandenbroucke (Vooruit), et ensuite Pierre-Yves Dermagne (PS) ensemble au sein du kern, il est difficile de croire que les deux sont dans la même famille politique », décrit un vice-premier ministre autour de la table. « Rousseau veut regarder vers la droite, avec la N-VA, ce n’est pas un secret. Mais nous ne sommes vraiment pas dans un tel scénario », font écho les socialistes francophones au sein de la Vivaldi. Et puis, bien sûr, il y a une autre question épineuse : le poste de Premier ministre. C’est un secret de polichinelle que Magnette veut en être. Mais Rousseau ne dirait pas « non ».

Dans l’actualité : Dans les couloirs de l’équipe fédérale, on se projette déjà en 2024.

Les détails : Il est assez clair pour tout le monde que ce sont les socialistes qui seront aux commandes. Mais la question est de savoir quelle direction ils vont prendre.

  • Pour la première fois depuis son entrée en fonction, Alexander De Croo a pu inviter la presse politique nationale, pour ce qui est une longue tradition dans la rue de la Loi : la réception informelle du gouvernement fédéral pour le Nouvel An. Le Lambermont, la résidence officielle du Premier ministre, juste en face des cabinets de Nicole de Moor (CD&V) et de Ludivine Dedonder (PS) a servi de cadre.
  • Mais à l’intérieur de la Vivaldi, sans grande discussion, le regard des principaux politiciens est déjà tourné vers 2024, et surtout, vers ce qui peut et doit se passer après les élections. Le Premier ministre a lui les yeux fixés sur d’autres échéances : la réforme des retraites pour les vacances de carnaval et l’examen budgétaire pour le mois de mars. Il n’en a pas fini avec la Vivaldi alors que certains se projettent déjà dans l’étape d’après.
  • De manière assez cynique, certains nous font remarquer que 2024 pourrait signer « cinq ans d’affaires courantes », après la sortie de Bart De Wever sur ses velléités extralégales. Ce matin, Sammy Madhi, le président du CD&V, en a même rajouté une couche, dans le magazine Humo, insistant sur le fait que « si les francophones (comprendre le PS, ndlr) ne veulent pas de réformes, ils seront alors les fossoyeurs de la Belgique ». Personne ne voit de chemin facile pour sortir de l’ornière en 2024.
  • Dans le même temps, les analyses sont assez unanimes pour savoir qui sera aux commandes des prochaines négociations : « Tout indique que les socialistes seront la plus grande famille. Et que nous pourrons alors également choisir la direction à prendre. Mais cela promet d’être un problème structurel », a déclaré un responsable du PS.
  • Après tout, au PS, comme partout, on a remarqué que Conner Rousseau apparaît de plus en plus comme le véritable challenger électoral du leader du marché : Bart De Wever. Avec un Vooruit dépassant largement les 16 %, selon les sondages, le nombre de sièges pourrait être très généreux.
  • Mais cela pourrait aussi apporter quelques maux de tête aux socialistes : « Parce que Vooruit et le PS sont structurellement sur une voie différente, veulent aller dans une direction différente. Pour le PS, il est logique de poursuivre cette coalition Vivaldi, mais Rousseau choisit clairement l’option avec la N-VA. Il n’est pas facile de dire comment nous allons concilier tout cela. Certainement parce que des coalitions régionales peuvent se former assez rapidement », analyse un haut dirigeant du PS.

L’essentiel : les ambitions de Magnette et de Rousseau se percutent.

  • Ce week-end, Rousseau a accordé au Soir une interview remarquée, qu’il a d’ailleurs entièrement réalisée en français.
    • Il s’en prend violemment au Qatargate et aux députés européens, dont Marc Tarabella (PS) : « Ce ne sont pas du tout des socialistes. Ce sont des profiteurs, des voyous. »
    • Il explique délicatement pourquoi il envisage de s’allier à la N-VA : « C’est une question de maths. Que disent les sondages ? Qu’il y a un risque élevé que la N-VA et le Belang obtiennent une majorité ensemble. Si j’oppose mon veto à la N-VA, ils diront qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’aller au Belang. J’ai l’impression que les francophones ne peuvent pas comprendre cette menace ici en Flandre. »
    • Ce que les voisins de pallier du boulevard de l’Empereur auront également noté : Rousseau n’a pas dit « non » à un éventuel poste de Premier ministre. « Je prends mes responsabilités là où je peux faire la plus grande différence. Je suis ambitieux, je suis devenu président du parti à l’âge de 26 ans. (…) Mais je ne laisserai pas les libéraux diriger les choses en échange d’un poste ».
  • Le jeune trentenaire ambitieux s’oppose donc au quinquagénaire érudit, mais il n’oublie pas que ce dernier a joué le rôle principal dans la formation de la Vivaldi avec Alexander De Croo. Ce dernier a eu la préséance pour des raisons de stratégies politiques (réponse aux deux plus grands partis de Flandre laissés de côté) et parce que les Verts et le MR ne voulaient pas de Magnette comme Premier ministre.
  • Toutefois, le 16 n’est pas le véritable enjeu, mais plutôt la composition de la coalition fédérale, et surtout la question de savoir si la N-VA en fera partie ou non. Car même du côté de Vooruit, on n’est pas aveugle face à ce conflit potentiel. Un scénario dans lequel Vooruit entre dans le gouvernement flamand, avec une N-VA inévitable, où mathématiquement personne ne peut la contourner, est plus qu’une option.
  • « Nous partons surtout du principe que De Wever voudra absolument avoir ce gouvernement flamand avant les élections locales d’octobre 2024. Sinon, il est mort : comment expliquer qu’il délaisse son niveau préféré pendant des mois ? Mais il faut éviter de se retrouver coincés dans une sorte de coalition qui se présente au niveau fédéral comme une machine de combat commune, afin de forcer ensuite le communautaire. Nous n’allons pas le faire », analyse-t-on du côté de la direction de Vooruit.

De plus : Il y a aussi la réalité de la Vivaldi aujourd’hui : le PS et Vooruit prennent des chemins opposés idéologiquement.

  • Au sein du gouvernement fédéral, il est clair que Rousseau, en envoyant Frank Vandenbroucke en tant que vice-premier ministre, a laissé indirectement sa marque sur la Vivaldi. « Frank joue le rôle de flibustier dans ce gouvernement : il n’a plus rien à gagner ou à perdre, et propose souvent des points de vue surprenants, sort des sentiers battus, et est très souvent orienté vers les solutions. Avec le Premier ministre, il pèse sans doute le plus lourd dans le kern. » Pour être clair, c’est une citation qui ne vient pas des socialistes, mais même parmi les vice-premiers ministres, il y a clairement des fans.
  • Car plus d’une fois, Vandenbroucke est aussi leur allié lorsqu’ils trouvent un PS rigide sur leur chemin. « Très souvent, nous nous sommes demandés s’il s’agissait encore d’une seule et même famille socialiste. La version du socialisme de Frank est vraiment parfois très éloignée de celle du PS. Sans parler du dossier des retraites, par exemple. »
  • C’est un secret de polichinelle que Vooruit s’est emparé de la question depuis qu’elle a donné lieu à un énorme clash entre le PS et le Premier ministre, fin décembre. De Croo avait présenté toute une batterie de propositions, ce qui a irrité le PS, surtout sur la méthode.
  • Entre-temps, on parle d’une série de propositions qui pourraient encore démêler le nœud du dossier. « J’ai lu qu’il y a une note Vandenbroucke-De Croo ? Mais allez, c’est juste la note de Vandenbroucke », nuance également un vice-premier ministre. En d’autres termes, c’est Vooruit qui pousse le PS dans le dos, désormais, sur le dossier des retraites.
  • Mais du côté du PS, on sait à qui on a affaire : « Si le PS doit négocier avec Vandenbroucke un accord de coalition, cela prendra du temps. Avec ou sans la N-VA à la table », a conclu un vice-premier ministre.
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