Deux jours après la mort d’une fillette de 11 ans, à Anvers, dans une fusillade liée au milieu de la drogue, le conflit politique entourant cette affaire a éclaté au grand jour. Furieux, le bourgmestre d’Anvers et président de la N-VA, Bart De Wever, a lancé un appel et souhaite que le gouvernement fédéral convoque le Conseil national de sécurité et débloque d’importantes ressources supplémentaires, avec « si nécessaire, un déploiement de l’armée ». Le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) a balayé cette idée d’un revers de main, tout comme ses ministres. Après tout, cela pourrait créer des attentes qui ne seront pas satisfaites. En plus d’une attention particulière au niveau fédéral, qui absorberait alors tous les problèmes. À l’horizon 2024, où il y aura également des élections locales, personne ne veut se retrouver avec la patate chaude de la guerre de la drogue à Anvers. Sauf le MR, et l’erratique Georges-Louis Bouchez (MR). Car si presque tous les vivaldistes ont rejeté la suggestion de De Wever de déployer l’armée, les libéraux francophones ne font qu’appuyer sur l’accélérateur.
Dans l’actualité : Le vice-premier ministre David Clarinval (MR) veut l’intervention « du moyen le plus cohérent dans le port d’Anvers : l’armée ».
Les détails : Ainsi, le MR se place à nouveau sur la ligne de la N-VA, leader de l’opposition, contre l’avis des partis de la majorité.
- « Le MR demande l’intervention de l’armée pour lutter contre la drogue dans le port d’Anvers. Il faut empêcher la mafia de faire entrer des stupéfiants sur notre territoire. Tout doit être fait pour les combattre », a fait savoir Bouchez ce matin, en réponse au passage de son propre vice-premier ministre Clarinval sur la RTBF.
- Ce matin, sur La Première, ce dernier a évoqué la guerre de la drogue à Anvers. Surprenant, les mots utilisés par David Clarinval auraient pu sortir de la bouche de Bart De Wever : « Nous voulons plus de moyens, plus d’action pour lutter plus spécifiquement là-dessus », a déclaré le libéral. Il faut « mettre la Défense dans le port d’Anvers pour avoir des moyens plus conséquents ».
- Soit une réponse à l’appel lancé par De Wever hier, sur ATV, la chaine locale anversoise. Devant la caméra, ce dernier s’est dit « furieux », mais aussi « incapable de le cacher davantage ». Il a lancé un appel presque désespéré pour obtenir plus de ressources, en plus du plan actuel, que le gouvernement précédent a mis en place pour s’attaquer au problème de la drogue à Anvers. Ce faisant, De Wever a notamment exigé que les postes de la police judiciaire fédérale d’Anvers, la PJF, soient rapidement renforcés. Ceux-ci sont prévus avec un effectif de 550 personnes, mais ne disposent dans les faits que de 480 hommes.
- Immédiatement, De Wever a demandé à la Vivaldi de se bouger. Il ne fait pas cet appel pour la première fois non plus, d’ailleurs. « Je vous demande maintenant très humblement et poliment de réunir le Conseil national de sécurité, de mettre un plan sur la table et de planifier sa mise en œuvre. Cela prendra son temps, mais en attendant, prenez des mesures d’urgence. »
- Bart De Wever a déjà une très bonne idée de ce que pourrait être ces mesures d’urgence : « Rassemblez des gens de la police fédérale et envoyez-les au port d’Anvers. Envoyez l’armée si nécessaire, je m’en fiche, mais commencez à surveiller ce port et faites-en une priorité pour renforcer les services judiciaires. La PJF d’Anvers est actuellement celle qui manque le plus de personnel dans le pays. »
L’essentiel : personne ne veut de la patate chaude. Sauf le MR, bien sûr.
- L’idée de ce Conseil national de sécurité n’est pas nouvelle : toute la Belgique a fait connaissance avec ce véhicule lors de la crise Corona, lorsque la Première ministre Sophie Wilmès (MR) l’a utilisé pour faire face à la crise sanitaire, avec les entités fédérées à bord. Les réunions ont donné lieu à de grands moments médiatiques par la suite, lors des conférences de presse qui les accompagnaient. Charles Michel (MR) a également convoqué ce Conseil national de sécurité au moment des attentats de Bruxelles et de Zaventem.
- Mais De Croo ne veut rien savoir : il sait mieux que quiconque que des attentes sont alors créées. « Et qu’est-ce qu’on raconte après, lors d’une conférence de presse, s’il n’y a pas de vraies nouvelles mesures ? », raisonne aussi plusieurs partenaires de la coalition de la Vivaldi. « Cela donnerait potentiellement à De Wever encore plus de lumière pour se mettre en colère, et plus de munitions pour dire en 2024 qu’il a tiré la sonnette d’alarme, mais n’a obtenu aucune réponse. »
- De Croo a fait étalage de la « stratégie de sécurité nationale » de la Vivaldi, établie depuis longtemps au sein du gouvernement. « La lutte contre le crime organisé est déjà la priorité absolue, nous l’avons déterminé l’année dernière », a-t-il déclaré hier sur Radio 1.
- Que De Wever parle de l’armée, tant Annelies Verlinden aux Affaires intérieures que Van Quickenborne à la Justice l’accueillent volontiers. « Si j’ai bien compris, De Wever a encore dit cet été que l’armée n’est pas particulièrement bien entraînée pour faire face à ce genre de phénomènes », a-t-elle répondu subtilement depuis les studios de la VRT.
- Et Van Quickenborne a également tiré à boulets rouges : « Un pays où l’armée remplace la police est un pays dans lequel vous ne voulez pas vivre. Ce sont toutes des mesures plus symboliques. »
- D’ailleurs, la Défense elle-même, par la voix de la ministre Ludivine Dedonder (PS), a rejeté l’appel de l’Anversois : « La question ne se pose pas ». L’armée n’a pas de mandat pour agir au niveau local. Pour la ministre, la comparaison avec situation post-attentats, lorsque l’armée était dans les rues de Bruxelles, n’a pas lieu d’être : « À ce moment-là, la décision du gouvernement de déployer des militaires à des endroits spécifiques, dans différentes villes, pour y mener des missions de surveillance dynamique et statique, reposait sur les conclusions de l’OCAM. Dans ce cadre, le personnel de la Défense disposait d’un mandat spécifique et clair, car le département n’a aucun pouvoir de police », a-t-elle réagi dans La DH.
- Mais c’était sans compter sur les libéraux francophones, dont le président aime positionner le parti sur la sécurité. Bouchez veut mettre en avant ce qui a fait le succès de l’un de ses héros politiques : Nicolas Sarkozy, qui a fait fureur en tant que ministre de l’Intérieur en France à l’époque. Bouchez saisit donc toutes les occasions de suivre cette ligne, surtout si c’est aussi celle de la N-VA. Même si cela met l’Open Vld et le Premier ministre dans une situation délicate.
Pas étonnant : Van Quickenborne semble plus optimiste quant aux chances de succès de l’État face à la mafia de la drogue.
- Le fait que le ministre de la Justice soit un éternel optimiste n’est pas nouveau. Van Quickenborne fait l’objet d’une attention particulière dans la guerre de la drogue ces dernières semaines. Il a reçu personnellement des menaces et doit vivre caché pour l’instant. Il ne manque pas de le souligner régulièrement dans les médias. Mais en même temps, il croit, à l’inverse de De Wever, que l’État belge peut effectivement gagner avec l’approche actuelle.
- Le ministre veut s’attaquer aux revenus : le trafic de drogue – qui fonctionne si bien à Anvers parce que de nombreux conteneurs, mais aussi beaucoup de fruits (provenant des mêmes pays que la drogue) entrent dans ce port – doit devenir « plus cher » pour la mafia. Aujourd’hui, selon le ministère de la Justice, les barons de la drogue perdent seulement 11 à 12 % de leur cargaison après les saisies, Van Quickenborne veut porter ce chiffre à 20 %.
- Ce faisant, un autre Vivaldiste, Vincent Van Peteghem (CD&V), lui a prêté main forte hier. En tant que ministre des Finances, il est responsable des douanes. Les chiffres des saisies ont été publiés hier, et l’année 2022 a été une année record avec 110 tonnes de cocaïne interceptées par les douanes. En outre, cinq nouveaux scanners seront ajoutés, ainsi que du personnel supplémentaire pour les douanes. Dans le même temps, Van Quickenborne demande à la sûreté de l’État de contrôler encore plus le personnel du port pour détecter d’éventuelles infiltrations.
- La Vivaldi semble donc dire : « Nous y arriverons, avec l’approche actuelle ». Des ressources supplémentaires ne constituent pas une véritable solution ; cinq ans après l’élaboration du plan de gestion des flux, nous devons attendre qu’il soit pleinement mis en œuvre.
- La question est de savoir si nous disposons de temps : avec la mort d’une fillette de 11 ans, la famille des barons de la drogue anversois d’origine marocaine a été durement touchée. L’escalade serait logique. Même si la mère de la victime insiste sans sourciller sur le fait que ses frères « n’avaient rien à voir avec la drogue ».
- L’un de ces frères, qui mène une vie de débauche à Dubaï avec l’argent présumé de la drogue, a donné ensuite toutes sortes d’interviews à des journaux flamands, dans lesquelles il nie catégoriquement tout trafic de drogue, mais annonce une « vengeance », non pas par la violence, mais en « coopérant avec la police ». La jeune fille elle-même sera bientôt enterrée au Maroc.
Le jour d’après : chez Groen, on tire un trait sur les plus vieux réacteurs nucléaires, après les discussions avec Engie.
- Non, chez les Verts, on n’a pas vraiment été emballé par l’euphorie avec laquelle le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) est venu défendre l’accord avec Engie, lors de la conférence de presse. « Attention à trop peu de nuances : nous avons aussi toujours dit, via notre ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), qu’il s’agissait d’une étape importante, d’un élément de la solution, mais pas du grand accord final », nous fait-on remarquer au sommet.
- Le fait que le Premier ministre ait parlé de « certitudes » telles que « le soleil se lèvera demain » et « les travaux commencent maintenant sur Doel 4 et Tihange 3 » a été jugé quelque peu trop optimiste : « Tout le monde sait que ce n’est pas vrai. »
- De plus, la critique selon laquelle Van der Straeten n’aurait pas pleinement participé aux négociations avec Engie, et que le Premier ministre aurait fini par mener seul les pourparlers cruciaux, est très peu apprécié dans leur chef : « Ce genre d’attaques n’est vraiment pas innocent. Lorsque le Premier ministre et Frank Vandenbroucke (Vooruit) ont géré ensemble la crise Corona, personne n’a commencé à saper ce dernier ou à réduire son influence. »
- « Mais avec nous, ils le font délibérément. Alors que Tinne co-négociait tous les jours, et faisait constamment remonter l’information auprès de la direction du parti. Il est déconcertant de constater que la diffamation doit à chaque fois venir des partenaires de la coalition. »
- Et sur le fait que les libéraux ainsi que le cd&v se préparent à lancer leur offensive sur les plus vieux réacteurs Doel 1 et 2 et Tihange 1 ? « N’ont-ils pas vu la complexité, tant sur le plan financier que technique, avec les réacteurs les plus jeunes ? Nous devrions faire de même avec les plus anciens ? Il ne peut en être question. En outre, certaines études montrent qu’avec les nouvelles centrales au gaz qui seront mises en service en Wallonie dans les prochaines années, il serait impossible de raccorder Tihange 1 au réseau à haute tension là-bas. Cela mettrait en péril la stabilité du réseau. »
- Groen trace donc une ligne claire : il est possible d’utiliser les réacteurs les plus anciens pour passer un hiver, celui de 2025, en économisant du combustible nucléaire dans les années à venir et en les maintenant ainsi ouverts un peu plus longtemps que prévu. Mais une véritable prolongation de 10 ans, comme Doel 4 et Tihange 3 ? « Pas question ».
Win For Life : source de tensions à Bruxelles.
- Le « Win for Life » des hauts fonctionnaires bruxellois donne lieu à un triste jeu du « c’est pas moi, c’est lui » assez insupportable. Tout le monde semble oublier, comme pour l’histoire du greffier wallon, que sans les révélations du Soir, les largesses financières des deux régions au bord de la faillite seraient passées crème.
- Vendredi dernier, Le Soir révélait que le gouvernement Rudi Vervoort (PS) avait dû trouver deux postes pour recaser deux hauts fonctionnaires, dont un créé sur mesure, et dont personne ne connaît vraiment la finalité.
- Le but ? Ne pas les payer à ne rien faire. Car un arrêté de 2014, qui, explique-t-on, avait pour but de rendre plus attractive la fonction publique, stipulait que la rémunération des hauts fonctionnaires bruxellois (minimum de 125.000 euros par an) était maintenue… à vie, jusqu’à la pension, après un minimum de dix années de service. Un véritable « Win for Life » qui récompense donc même l’échec. Bienvenue en Belgique.
- L’opposition (MR, cdH et PTB) crie légitimement au scandale. Mais au sein même de la majorité bruxelloise (PS, Ecolo, DéFI), on essaye très vite de se dédouaner. Ecolo, qui était à l’origine de la réforme des mandats, a appelé, via son chef de groupe, John Pitseys, à supprimer cet incitant.
- De quoi faire bondir de sa chaise DéFI, dont les députés Emmanuel De Bock (chef de groupe) et Christophe Magdalijns ont fustigé « les déclarations indignées et matamoresques de certains de leurs partenaires actuels de la majorité », à savoir Ecolo. Ils rappellent qu’au moment de la réforme, le secrétaire d’État en charge de la fonction publique était l’écologiste Bruno De Lille. Et que le gouvernement suivant, avec DéFi, avait été mis devant le fait accompli.
- Mais John Pitseys creuse dans les archives et contre-attaque : il trouve un texte de 2002 qui prévoit que les agents dont le mandat de haut fonctionnaire arrive à échéance conservent leur pactole. La majorité était alors composée du PS, du MR et du FDF (ex-DéFi). Bref, tous coupables.
- Les gouvernements suivants ont toutefois la responsabilité de ne pas s’être offusqués d’une telle mesure, « en particulier le gouvernement Vervoort II qui adopta un nouveau statut le 21 mars 2018, sur proposition de Fadila Laanan (PS) » , ajoutent les deux députés amarante qui poussent maintenant, eux aussi, pour en finir avec cet incitant. C’est sans doute là l’essentiel : qu’un tel système ait perduré à travers les âges sans que cela ne dérange apparemment personne.
- Pour les deux hauts fonctionnaires en question, il est sans doute trop tard. Ils toucheront le « Win For Life ». Mais pour les suivants, le ministre compétent, Sven Gatz (Open VLD), attend un rapport de l’administration pour amender la réforme. Une réforme qui touche à l’attractivité de la fonction publique, mais aussi à la politisation de l’administration publique qui permet à chaque parti de placer ses pions.