Probablement rien n’a témoigné plus brutalement de l’atrocité des attentats du 11 septembre 2001 que les photos floues de ces personnes qui sont tombées des plus hauts étages des tours, les « jumpers » (jump signifie « sauter » en anglais). Et pourtant, ce sont les victimes oubliées du 11 septembre. Les autorités américaines n’ont jamais enquêté sur ces décès en particulier.
Probablement rien n’a témoigné plus brutalement de l’atrocité des attentats du 11 septembre 2001 que les photos floues de ces personnes qui sont tombées des plus hauts étages des tours, les « jumpers » (jump signifie « sauter » en anglais). Et pourtant, ce sont les victimes oubliées du 11 septembre. Les autorités américaines n’ont jamais enquêté sur ces décès en particulier.
Kelly Reyher regardait par la fenêtre du 78ème étage de la Tour Sud quand les gens ont commencé à tomber de l’énorme trou que l’avion avait laissé dans la Tour Nord. Pour lui, beaucoup avaient l’air complètement hagards. « On aurait dit qu’ils étaient aveuglés par la fumée et ne pouvaient plus respirer parce que leurs mains couvraient leur visage. Ils marchaient jusqu’au bord de l’orifice déchiqueté, puis ils tombaient », se rappelle-t-il.
La chute durait 10 secondes. Par moments, l’intervalle entre deux chutes avait été de moins de une seconde, au point que plusieurs ont évoqué une « pluie de corps ». Maureen McArdle-Schulman, une femme pompier, raconte qu’elle avait l’impression d’être l’intruse d’un rite sacré, tandis que les corps tombaient autour d’elle. Elle ajoute : « Ils avaient choisi de mourir, et je les regardais, alors que je n’aurais pas dû. Alors moi et un autre gars, nous nous sommes tournés et nous regardions un mur, mais nous pouvions toujours les entendre heurter le sol.»
104 « jumpers »
Mais combien sont-ils à avoir sauté par choix ? Ce sujet a toujours été tabou, les Américains refusant de parler de suicides. Une porte-parole du bureau médical de New York a expliqué qu’il ne fallait pas dire qu’ils avaient sauté, mais qu’ils « étaient tombés » des tours de 110 étages, hautes de 400 mètres. « Sauter indique un choix, et ces gens n’ont pas eu le choix », a-t-elle affirmé. « C’est pour cela que ces décès ont été considérés comme des homicides, parce que les actes que d’autres ont commis ont causé la mort. La force de l’explosion et le feu en dessous les ont projetés par la fenêtre. » Dans un pays de très grande ferveur religieuse, le suicide est un péché impardonnable de Dieu, un acte impensable.
Les experts du National Institute for Standards and Technology (NIST), qui ont mené une enquête très vaste pour expliquer l’effondrement des Tours, ont dénombré 104 personnes tombées, en examinant les films et les photos du cataclysme. Mais selon d’autres sources, il y en aurait plutôt eu 200.
« The Falling Man »
Richard Drew faisait son travail de photographe pour l’American Press, ce matin-là. Il avait déjà commencé à photographier, et il a saisi la chute de cet homme qui est tombé à 9h41 d’un des plus hauts étages de la Tour Nord. Il a pu prendre une douzaine de clichés, dont un sur lequel on voit l’inconnu, plongeant verticalement, les bras le long du corps, et la jambe gauche pliée sur le genou, dans une pose étrangement élégante. Cette photo, surnommée « The Falling man », a fait le tour du monde, et sa publication a généré un débat pour savoir si l’on pouvait « offrir » une telle image à la « consommation publique ». « Pour moi, c’est une photo très paisible », commente le photographe. « Elle n’est pas violente », ajoute-t-il, faisait référence au célèbre cliché d’une petite fille de 9 ans nue fuyant un bombardement de napalm au Vietnam, ou à la photo sanglante du décès de Bobby Kennedy.
Les média ont voulu connaitre l’identité de l’homme qui y figurait. Bien que son identité n’ait jamais été confirmée, il semblerait que ce soit Jonathan Briley, un ingénieur du son âgé de 43 ans qui travaillait dans un restaurant au sommet de la Tour. La famille très religieuse de Briley n’a jamais cru qu’il avait sauté, et a interprété le fait que son corps ait été retrouvé intact comme une confirmation qu’il ne s’agissait pas d’un suicide. « Les gens doivent dépasser la question de savoir qui était cet homme », explique sa sœur Gwendolyn. « Il est tout le monde à la fois.(…) L’homme sur la photo est clairement entre les mains de Dieu. ».
« Même si les gens ne veulent pas regarder ma photographie, cet homme est tombé de l’immeuble. Pour moi, il restera toujours le soldat inconnu. », conclut le photographe.
Ce qui est certain, c’est que les « jumpers » ont sauvé la vie d’innombrables personnes. Témoignage après témoignage, des survivants de la Tour Sud ont expliqué qu’ils avaient compris, en les voyant plonger dans le vide, qu’ils devaient passer outre les instructions officielles de laisser les accès libres, et se dépêcher de redescendre de la tour à tout prix.