Ambiance détestable à l’approche du Comité de concertation sur l’énergie : comment attendre une action collective ?

L’heure est à l’invective. Par média interposé, les leaders des partis politiques distribuent les tacles, parfois à hauteur de genou. C’est vrai pour Ecolo et le MR, qui ne peuvent plus s’encadrer, alors qu’ils partagent le pouvoir au gouvernement. C’est vrai aussi entre la majorité et l’opposition, la ministre flamande de l’Énergie, Zuhal Démir (N-VA), indiquant dès hier que son parti se rendrait au Codeco « par politesse », ce qui a fortement déplu au président des socialistes flamands, Conner Rousseau (Vooruit). L’ensemble nous donne un triste spectacle en pleine situation de crise. Mais la ministre flamande marque peut-être un point : les leviers se situent principalement au niveau européen et pas dans le bunker de crise de la rue de la Loi.

Dans l’actualité : nouvelle passe d’armes entre responsables politiques à l’approche du Codeco.

Le détail : la rupture est proche entre Ecolo et le MR. Ça fait longtemps qu’on ne met plus de gants.

  • L’ambiance est détestable entre les écologistes et les libéraux. Il faut dire que Georges-Louis Bouchez ne rate pas un jour pour critiquer l’action d’Ecolo et de Groen, principalement sur la question du nucléaire.
  • Reçu dans les matinales de Bel RTL et LN24, le président des libéraux francophones a une nouvelle fois poussé pour prolonger plus de deux réacteurs, et de se passer par la même occasion des centrales à gaz, voulues par les écologistes.
  • GLB estime que les prix du marché ne se sont pas envolés par magie, et qu’ils ne reposent pas sur de la spéculation, mais sur un problème d’approvisionnement : « Nous avons besoin de 5 réacteurs en activité. Vous ne pouvez pas expliquer aux citoyens qu’ils doivent diminuer la température d’1 degré chez eux, que l’énergie va devenir rare et chère, et dans le même temps, vous priver d’une source d’énergie autonome, bon marché et qui existe déjà. C’est comme si la Belgique allait à la guerre en s’amputant d’un bras. »
  • Jean-Marc Nollet lui a directement répondu dans la matinale de la RTBF, insistant sur le fait que la prolongation de réacteurs nucléaires supplémentaires n’était pas le cœur du problème de cette crise énergétique. « Ça n’a aucun sens. Lui est en train de transformer la crise comme un enjeu de deux centrales en plus. C’est la guerre en Ukraine et le marché néo-libéral qui provoquent ces conséquences sur le marché de l’énergie ». Il n’aura en effet échappé à personne que les prix du gaz et de l’électricité n’auront pas attendu la fermeture de nos réacteurs pour exploser.
  • Mais Georges-Louis Bouchez tient sa proie et ne la lâche pas : il qualifie de « mensonge » les propos de la ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen), qui parle des centrales nucléaires comme des centrales « fissurées ». « Ce sont des micro-fissures créées lors de la conception qui n’ont pas évolué. Elles ne présentent pas de danger et c’est l’AFCN (l’agence de contrôle nucléaire, ndlr.) qui le dit », appuie Bouchez, qui ne veut pas entrer dans des discussions « sur le sexe des anges ». C’est pourquoi il veut bien mettre ces deux réacteurs de côté, et en prolonger 5 sur 7. Même s’il n’en démord pas: « Si ces centrales étaient dangereuses, pourquoi la ministre ne les arrêterait pas dès demain ? Il faut arrêter les mensonges. »
  • Bouchez distribue aussi les coups à l’encontre du Premier ministre : « Je donne quand même un petit conseil au Premier ministre. Il y a un an, il m’avait donné tort, et aujourd’hui, les faits ont donné raison au MR. Je trouve qu’en terme d’expérience, il devrait peut-être nous écouter un peu plus, s’il ne veut pas à nouveau changer d’avis. »
  • Nollet vient à la rescousse d’Alexander De Croo, qualifiant les propos de GLB d’irrespectueux : « Il se permet de critiquer le Premier ministre. Je demande du respect pour le travail effectué. Ça ne peut plus durer comme ça. À force de critiquer depuis l’extérieur, il déforce la capacité de la Belgique à agir au niveau européen (…).
  • Ça ne peut plus durer jusqu’à quand ? « Ce qui compte pour moi, c’est que le gouvernement continue à avancer. Georges-Louis Bouchez aboie, le gouvernement avance », ajoute Nollet.
  • La passe d’armes ne s’est pas arrêtée là. Nollet insiste : « Encore ce matin, le président du MR dit vouloir rassurer les marchés. Il ne faut pas rassurer les marchés, mais réformer le mécanisme des prix de l’énergie. Ces prix sont indécents. Ce n’est pas aux citoyens et aux entreprises de payer le système néo-libéral qui dérive complètement. » Face à la transition énergétique, « certains, au MR, restent bloqués dans le 20e siècle ».
  • On ne les réconciliera pas non plus sur la taxation des surprofits des géants de l’énergie. Nollet estime que le « MR appuie par tous les moyens sur les freins ». Georges-Louis Bouchez se voit lui mettre en place une contribution plutôt qu’une taxe. On joue sur les mots: « La notion de surprofit n’existe pas. Les géants de l’énergie sont une situation de grand rendement », insiste Bouchez. Il veut aller chercher environ 50% de la différence entre le coût de la production d’énergie et le prix où cette production est vendue. Il est vrai qu’une taxe sur les surprofits, voulue de longue date par les écologistes, n’a toujours pas vu le jour. Car elle rencontre un certain nombre de problèmes juridiques.
  • Bref, sur à peu près toutes les solutions, Ecolo et le MR sont divisés. À considérer que le Comité de concertation prévu ce mercredi puisse agir.

Le contexte: le Comité de concertation regarde déjà vers l’Europe.

  • Il est un fait que la plupart des discussions importantes ne se situent pas rue de la Loi. L’ajout ou non de plusieurs centrales nucléaires ne changera rien à court terme par rapport aux prix.
  • En outre, le Premier ministre et la ministre de l’Énergie le reconnaissent : ils plaident depuis des mois pour fixer un plafonnement des prix et réviser le mécanisme qui lie le prix de l’électricité à celui du gaz au niveau européen. Il est en effet très difficile d’agir au niveau belge. Cela pourrait être contreproductif, car le réseau belge est hyper-connecté, de sorte que d’autres pays viendraient s’approvisionner chez nous, par le biais des subventions qui couteront, au final, au contribuable belge.
  • Il en va de même sur la taxation des surprofits qui pourrait surtout être efficace au niveau européen. La Belgique est en effet engagée dans un bras de fer avec Engie pour la prolongation du nucléaire. Convaincre Engie, qui ne veut plus du nucléaire, et lui soutirer en plus ses profits, c’est sans doute un pas de trop pour l’énergéticien français. La Belgique n’a finalement pas les cartes en main. Autrement, notre pays aurait déjà sa taxe sur les surprofits dans la poche, comme c’est le cas par exemple en Italie, ou son bouclier tarifaire, comme en France, si l’État était propriétaire des moyens de production, ce qu’il n’est pas.
  • La ministre flamande de l’Énergie, Zuhal Démir, a mis le doigt sur ces contradictions dans la presse. Elle estime que le gouvernement flamand « a déjà fait ses devoirs », et que son parti se rendrait au Codeco « par politesse ». Elle ajoute: « Chaque gouvernement doit lui-même trancher et faire le nécessaire plutôt que de palabrer à l’infini et d’organiser des shows. La Flandre le fait, deux autres niveaux n’y arrivent pas ». Elle vise le fédéral et l’Europe, qui a donc les clés au niveau des prix. « Sur quoi allons-nous nous concerter exactement ? Avec quelles idées le gouvernement fédéral vient-il autour de la table ? Il n’y a rien à l’agenda », a-t-elle ajouté.
  • Le sang du président des socialistes flamands, Conner Rousseau, qui s’entend pourtant bien avec la ministre, n’a fait qu’un tour : « Se concerter sur quoi? Sur la facture énergétique des gens, Zuhal! Allez, nous sommes des politiques d’une nouvelle génération. J’espère qu’en tant que ministre flamande de l’Énergie, tu vas faire tout ce qui est possible. Collabore au lieu de déjà râler. »
  • Soit dit en passant, c’est une critique récurrente à l’encontre de Zuhal Démir, qui ne prend que très rarement les gants pour formuler ses critiques. Il se dit en Flandre que si elle veut un jour accéder à un poste plus important, elle devra adoucir son discours. C’est d’autant plus étonnant qu’elle fait plutôt partie de l’aile progressiste de la N-VA. Son parti veut en tout cas la mettre en avant depuis un certain temps.
  • Mais la ministre marque un point : la réelle discussion est au niveau européen. Le vent tourne à ce sujet. Présents en République thèque, qui assure la présidence tournant de l’UE, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et le ministre allemand de l’Économie, Robert Habeck, ont estimé qu’il fallait faire « quelque chose » contre les prix de l’énergie qui dérayent complètement.
  • Sur la table, une « intervention d’urgence » à court terme qui pourrait être un plafonnement des prix (fixés sur les prix asiatiques ?). À plus long terme, l’Europe a pour ambition de revoir le mécanisme qui fixe les prix du marché et qui lie la plupart du temps le prix de l’électricité à celui du gaz. L’Allemagne semble avoir changé son fusil d’épaule. Seuls les Pays-Bas résistent encore. La Commission se réunira le 9 septembre pour en discuter, en compagnie des ministres de l’Énergie.

L’essentiel : dans ce contexte, que peut déjà décider le Comité de concertation ?

  • Pour commencer, une observation particulière : 19 politiciens sont invités à la table du Codeco, mais l’équilibre des forces est quelque peu étrange.
    • Parmi ceux-ci, pas moins de 5 ministres verts : avec Van der Straeten, la vice-première ministre De Sutter (Groen), mais aussi les ministres bruxellois Elke Van den Brandt (Groen) et Alain Maron (Ecolo) et le ministre wallon Philippe Henry (Ecolo).
    • C’est plus que les libéraux, qui sont 4 : le Premier ministre Alexander De Croo, le vice-Premier ministre Vincent Van Quickenborne (tous deux Open Vld), le vice-Premier ministre MR, David Clarinval, et le membre de la Communauté française, Pierre-Yves Jeholet (MR).
    • Il y a également quatre socialistes : dont le vice-premier ministre Vooruit, Frank Vandenbroucke, et trois membres du PS : le vice-premier ministre Dermagne et les ministre-présidents bruxellois et wallon, Rudi Vervoort et Elio Di Rupo.
    • Le Cd&v et la N-VA n’ont chacun que deux ministres autour de la table : du gouvernement flamand, Jan Jambon et Zuhal Demir (N-VA), et Hilde Crevits et le vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V).
  • Hier, le kern s’est déjà réuni pour préparer l’ordre du jour. Selon certaines indiscrétions, ce sont surtout l’Open Vld, avec Van Quickenborne, et Vooruit, avec Vandenbroucke, qui ont tiré les ficelles. Voici une liste de points, qui avait déjà fait l’objet de nombreuses fuites ce matin :
    • La température dans les bâtiments gouvernementaux ne sera chauffée qu’à 19 degrés, et refroidie à partir de 27 degrés. Plus aucun éclairage sur les monuments et les bâtiments publics de 19 heures à 6 heures du matin.
    • Le tarif social sera prolongé, de même que les taux de TVA sur le gaz et l’électricité (6%) et les faibles accises sur les carburants jusqu’à la fin mars 2023.
    • Les excédents de bénéfices du secteur de l’énergie sont examinés, la CREG réalisera une étude. Le consensus est donc que cela se fera par une contribution plutôt que par une nouvelle taxe, comme le voulait le MR. Le gouvernement fédéral se donne un mois pour mettre de l’ordre.
    • Il y aura également une table ronde avec les grandes entreprises et les PME pour examiner les mesures possibles.
    • Avec les banques, la possibilité de reporter le remboursement des prêts hypothécaires sera examinée.
    • Il y a aussi quelques « certitudes » : la Belgique a garanti un approvisionnement en gaz en provenance du Royaume-Uni et de la Norvège pour 62,15 GWh/h de gaz, alors que la consommation totale est normalement de 47,8 GWh/h. Il y en a donc assez. Et tous réaffirment que Doel 4 et Tihange 3 resteront ouverts, et qu’il a été demandé à Engie de prolonger temporairement Tihange 2 au-delà du 31 mars 2023.