Les agences de sécurité allemandes veulent avoir accès à tous les ordinateurs

En Allemagne, le gouvernement de la chancelière Angela Merkel a émis un projet de loi qui étend les prérogatives en matière de surveillance des citoyens. Il autorise en effet les agences de renseignement et la police du pays à « interférer dans les systèmes informatiques » de la plupart des appareils. Ce projet suscite un tollé, certains s’inquiétant des dérives potentielles et des graves atteintes à la vie privée qui pourraient en résulter. 

Ces propositions sont l’oeuvre du ministre de l’Intérieur allemand, Horst Seehofer. Son ministère souhaite « harmoniser » les pouvoirs du Bundesamt für Verfassungsschutz (BfV), le service de sécurité nationale, avec ceux du Bundesnachrichtendienst (BND), le service fédéral de renseignement.

Tous les appareils, tous les citoyens

Le BfV sera non seulement en mesure de suivre les suspects par voie numérique, mais également au moyen de tous les systèmes en ligne qui traitent les informations des personnes ciblées. Selon ses critiques, ce projet de loi permettrait aux fonctionnaires de police de surveiller ou de s’emparer de toutes sortes d’appareils, des smartphones et ordinateurs portables aux voitures, en passant par toute la panoplie des appareils connectés de la domotique, tels que les assistants virtuels et les réfrigérateurs. Tout le monde pourra être mis sur écoute, et même les enfants âgés de moins de 14 ans ne pourraient pas échapper à ces mesures de surveillance.

Les défenseurs de la vie privée sont plus particulièrement préoccupés par la légalisation potentielle des « chevaux de Troie d’Etat » avec cette proposition de loi. Ces chevaux de Troie consistent en des logiciels ou applications espions installés sur un ordinateur à l’insu de son propriétaire. Mis en sommeil par défaut, ils peuvent être « réveillés » à tout moment à distance afin de pouvoir espionner les activités de l’utilisateur.

Une collaboration entre les services de police et les services secrets

Le BfV, comme BND, utilisent déjà des virus pour obtenir la teneur des communications des suspects considérés comme dangereux. En outre, les pirates de la BND ont déjà la possibilité d’espionner des personnes étrangères lorsqu’elles se trouvent à l’étranger, compte tenu qu’elles échappent à la loi qui protège les citoyens sur le territoire allemand.

Les prérogatives plus étendues du BND lui permettent aussi d’utiliser des chevaux de Troie pour espionner les communications et les activités de suspects en Allemagne. La proposition de loi donnerait une assise légale à toutes ces pratiques, tout en étendant l’arsenal des tactiques de « hacking » auxquelles les deux agences pourraient recourir. Elle donnerait ainsi plus de moyens à ces deux agences pour collaborer ensemble. Elles pourront mettre des personnes sous sourveillance pour leur propre compte sans avoir à en solliciter l’autorisation à une autorité judiciaire. « La loi décrit cette assistance mutuelle comme une ‘coopération visant à économiser les ressources' », précise André Meister et Anna Biselli, auteurs sur le site allemand Netzpolitik, qui s’alarment de ces mesures.

Des victimes collatérales des mises sur écoute

Ces deux services seront donc non seulement autorisés à pirater les appareils de suspects dangereux, mais également ceux des personnes susceptibles d’être mises en danger. En conséquence, tous les contacts de ces dernières seront « inévitablement affectées » par ces mesures, puisque toute personne les contactant sera également mise sur écoute. « Ces nouveaux plans signifient une expansion considérable des mesures de surveillance invasive », résume Sven Herpig, directeur général de la New Responsibility Foundation, sur le site.

« Lorsque le Bundesnachrichtendienst a piraté un ministre afghan, il y a 12 ans, un journaliste allemand a également été touché », rappellent Meister et Biselli. « Cela a ensuite provoqué un énorme scandale. À l’avenir, toutefois, le service de renseignement étranger pourra, à sa discrétion, pirater des citoyens, des entreprises et des associations allemandes. »

La coalition allemande partagée

« Le Bundesnachrichtendienst n’aura pas à préciser comment les informations demandées ont été collectées », soulignent-ils. Ainsi, ce service échappe à tout contrôle démocratique. En outre, la mesure compromet également la séparation obligatoire entre la police et les services secrets. »

Katarina Barley, ministre allemande de la Justice, aurait rejeté la proposition. Selon elle, Seehofer doit revoir sa copie, mais selon Netzpolitik, il n’est pas certain que Seehofer se plie à cette exigence.

Le projet de loi a également créé des dissensions au sein de la coalition de Merkel. Le parti socialiste allemand (SPD), qui y est associé avec les deux partis chrétiens-démocrates allemands, la CSU de Seehofer, et la CDU de Merkel, s’y oppose en effet fermement.

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