Qu’implique l’excédent commercial colossal de l’Allemagne ?

L’Allemagne s’apprête à enregistrer un excédent commercial (une différence positive entre ses exportations et ses importations) record, pour la 3e année consécutive, avec un montant de 299 milliards de dollars (264 milliards d’euros). Mais un tel excédent commercial ne manque pas de susciter des critiques, tant au niveau national qu’à l’international.

L’excédent commercial allemand représente 7,8 % du PIB et provient, pour l’essentiel, des exportations de biens. En matière d’exportations de services, l’Allemagne enregistre un déficit commercial de 18 milliards d’euros. Les revenus sur les actifs se chiffrent, eux, à 63 milliards d’euros, montrent les données de l’Institut de recherche économique allemand Ifo.

Une mauvaise nouvelle à long terme

A priori une bonne nouvelle pour l’Allemagne, mais en réalité, une mauvaise nouvelle à long terme, puisque les excédents commerciaux des uns ont pour contrepartie les déficits des autres. Une situation de déséquilibre qui n’est pas saine, explique Gabriel Felbermayr, directeur de l’institut de recherche économique Ifo à Munich: « L’excédent devient toxique et, en Allemagne aussi, beaucoup affirment maintenant qu’il faut faire quelque chose pour l’abaisser. Il s’agit d’un passif plutôt que d’un atout ».

Car le plus souvent, pour financer leurs importations à l’Allemagne, les pays étrangers recourent au crédit. Le modèle économique allemand repose donc sur l’endettement des autres pays, une situation qui n’est pas tenable à terme, précise le Dr Fabian Lindner, de la Hans Böckler Foundation.

C’est d’ailleurs un phénomène semblable qui a mené à la crise de l’euro en 2010: les pays de la périphérie, et notamment la Grèce, avaient massivement emprunté (entre autres à l’Allemagne…), lorsque les taux d’intérêt étaient faibles pour acquérir des biens de consommation allemands. Lorsque les taux d’intérêt ont commencé à remonter, ces pays ont été étranglés.

Lindner souligne que l’excédent commercial ne provient pas tant du volume élevé des exportations allemandes que d’une insuffisance des importations allemandes. La demande domestique du pays stagne depuis une vingtaine d’années. Récemment, elle a commencé à augmenter, mais pas suffisamment pour faire décoller les importations.

En contrepartie, l’infrastructure allemande est digne de celle d’un pays du tiers-monde

Pour résoudre ce problème, le gouvernement allemand devrait consacrer une partie de son excédent budgétaire à des investissements, dans l’infrastructure par exemple, affirme Lindner.

En effet, après des années de politique d’austérité, suite à la réunification allemande, et d’obsession du « schwarze Null », c’est-à-dire, d’un budget de l’Etat à l’équilibre, l’infrastructure allemande est en ruines. Les écoles et routes allemandes sont souvent dignes de celles des pays du tiers-monde. Récemment, dans le contexte de l’effondrement du viaduc Morandi à Gênes, le journal allemand Westfälische Nachrichten a rappelé les statistiques suivantes : « Seuls 12 % des près de 40 000 ponts en Allemagne sont en bon ou très bon état. Près du même pourcentage affiche un état médiocre. Et pour près de 800 ponts, l’état est insuffisant ».

De telles dépenses publiques permettraient de redistribuer des revenus qui seraient convertis en hausse de la consommation.

Des voix se font aussi entendre en Allemagne pour que le gouvernement fédéral utilise son excédent de compte courant pour stimuler la demande des consommateurs. Les syndicats réclament depuis longtemps une augmentation des salaires.

L’excédent commercial allemand est la bête noire de Donald Trump

L’excédent commercial allemand est aussi la bête noire du président américain Donald Trump. C’est ce qui l’a motivé à imposer des droits de douane sur les importations en provenance des partenaires commerciaux les plus proches et les plus importants des États-Unis, dont l’Union européenne, et plus particulièrement l’Allemagne.

L’année dernière, Peter Navarro, le conseiller économique en chef du Président américain Donald Trump, a déclaré que l’Allemagne « manipulait l’euro ». L’appartenance du pays à la zone euro lui permet de profiter des effets de la politique d’injection massive de capitaux dans l’économie impulsée par la banque centrale européenne. Selon Navarro, il en résulte une « très nette sous-évaluation » de la monnaie allemande, grâce au mécanisme de l’Union monétaire.

La Maison-Blanche a menacé de taxer les voitures allemandes (les Etats-Unis ayant le plus gros marché à l’étranger pour ces dernières), mais cette décision semble avoir été reportée pour le moment.

Pour d’autres, l’excédent commercial allemand est une bénédiction

Mais pour d’autres, l’excédent commercial allemand est une bénédiction, d’autant que les gains correspondants permettent de financer des investissements productifs. “La plainte selon laquelle l’Allemagne inonde le monde de ses produits n’est vraie qu’à titre superficiel”, affirme Volker Treier, analyste en chef du commerce extérieur à la Chambre allemande de l’industrie et du commerce (DIHK).

Il explique que de nombreuses entreprises allemandes utilisent leurs excédents de trésorerie pour financer des investissements dans le monde. Les entreprises allemandes emploient ainsi un million de personnes en Chine, et plus de 850 000 aux Etats-Unis.

Et la Belgique ?

La Belgique, de son côté, a enregistré un déficit commercial de 4 milliards d’euros en 2017. Au total, 269 milliards d’euros ont été exportés et 273 milliards d’euros ont été importés.

Les importations, comme les exportations, ont augmenté d’un peu plus de 7 %, indiquent des chiffres de l’Institut des comptes nationaux (INC). C’est la dixième année consécutive que la Belgique enregistre un déficit commercial.

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