Depuis près d’un mois, l’atmosphère est à nouveau tendue dans les Balkans avec, encore une fois, un conflit qui couve sous la mosaïque de minorités ethniques et la question des reconnaissances internationales entre les différents pays issus de l’éclatement de la Yougoslavie.
Ce mercredi, la police kosovare a mené une série de raids afin de démanteler des réseaux de contrebandiers le long de sa frontière nord, mais l’une de ces opérations, dans la ville-frontière coupée en deux de Mitrovica, ethniquement serbe, a dégénéré en conflit ouvert avec la population. Les forces de l’ordre ont été victimes de jets de pierre, et ont riposté avec des gaz lacrymogènes. Selon la police, des groupes criminels ont bloqué les routes avec des véhicules avant de s’attaquer aux agents avec armes à feu et grenades. Six policiers ont été blessés, ainsi qu’un civil serbe, victime d’un tir dans le dos, selon le responsable serbe des relations frontalières avec le Kosovo. Plusieurs voitures ont été brûlées.
Conflit d’immatriculation
Cet embrasement n’est pas le premier dans cette région à majorité serbe du Kosovo : le mois dernier, Pristina avait voulu imposer une plaque minéralogique spéciale d’une validité de 60 jours à tout véhicule immatriculé en Serbie qui circulerait dans le pays. Cela avait suffi à provoquer des troubles dans les régions frontalières peuplées majoritairement de Serbes, pour qui il s’agissait là d’une attaque contre leur liberté de circulation. Des véhicules dotés de plaques kosovares avaient été brûlés, et même des postes-frontière attaqués à la grenade.
Ces violences avaient très vite attisé les craintes de la communauté internationale, vu l’histoire mouvementée de la région et ses conflits jamais véritablement résolus. Sous l’impulsion de Miroslav Lajčák, le représentant spécial de l’Union européenne pour la promotion du dialogue entre Belgrade et Pristina, les deux partis ont pu parvenir à un compris. Le Kosovo se contentera d’un autocollant à appliquer sur les plaques serbes de passage, tandis que les barrages routiers installés par les minorités serbes seront démantelés. Une force d’interposition de l’Otan a été déployée pour deux semaines dans la région afin d’éviter de nouveaux troubles.
Un embrasement toujours possible
Mais les événements d’hier indiquent que le feu couve toujours. Le Premier ministre kosovar Albin Kurti a appelé les minorités à ne pas « politiser » une opération de police: « Le crime et les groupes criminels ne seront pas tolérés et seront combattus. Nous combattrons et empêcherons la contrebande. » La Présidente du gouvernement serbe, Ana Brnabić, a quant à elle demandé une réaction rapide de la communauté internationale: « La situation à Mitrovica est plus que dramatique, ce genre de comportement risque de nous mener tout droit au chaos. »
Les Serbes du nord du Kosovo, provinces où ils sont toujours largement majoritaires, utilisent pour monnaie le dinar serbe, et les plaques de leurs automobiles, leurs assurances, les factures qu’ils payent sont toutes payées à Belgrade et non à Pristina. D’un point de vue juridique et administratif, ils ne dépendent pas de Pristina, mais de Belgrade. Depuis fin juillet 2011, le gouvernement kosovar essaye de prendre le contrôle de postes-frontière entre le nord de la république et la Serbie, mais les Serbes du Kosovo ont aussitôt dressé des barricades.
La « poudrière de l’Europe »
La Serbie ne reconnait toujours pas la république du Kosovo, qui a proclamé son indépendance le 17 février 2008, avec Pristina comme capitale, et ne veut lui accorder qu’un statut de province autonome, ce qui d’ailleurs empêche tout avancement sur les négociations pour son adhésion à l’Union européenne, et les autres pays des Balkans souffrent de problèmes similaires.
Mais les deux pays se retrouvent avec de fortes minorités s’identifiant plutôt à l’autre nation, ce qui ravive régulièrement le risque de violences ethniques. En 2004, sous une fausse rumeur de noyade d’enfants soi-disant provoquée par des Serbes, les Albanais du Kosovo s’étaient livrés à des émeutes qui ont culminé dans la destruction de très nombreuses maisons, églises et infrastructures appartenant à la minorité serbe, mais aussi aux Roms, de façon très organisée et méthodique. L’Otan n’avait pas su s’interposer.
Et ce n’est qu’une des dernières vagues de violence dans la région, qui porte le peu flatteur sobriquet de « poudrière de l’Europe » car chaque accident peut y dégénérer en conflit ouvert, voire en escalade internationale. Il a suffi d’un coup de feu tiré par un Serbe à Sarajevo, en 1914, pour changer le monde à tout jamais.