Pourquoi adopter le bitcoin comme monnaie légale

Le Salvador a tout d’un cas d’école. Mais son pari technologique sur le bitcoin répond de façon pratique à un défi économique bien précis : réduire la dépendance du pays aux États-Unis et à leurs omniprésents billets verts.

Au grand dam du Fonds monétaire international (FMI), le Salvador a créé un précédent ce mercredi en devenant le premier pays au monde à légaliser la plus importante des cryptomonnaies.

‘L’adoption du bitcoin comme monnaie légale soulève un certain nombre de problèmes macroéconomiques, financiers et juridiques qui nécessitent une analyse très minutieuse’, a déclaré le FMI. ‘Les actifs cryptographiques peuvent présenter des risques importants et des mesures réglementaires efficaces sont nécessaires pour les gérer.’

Le président salvadorien assure pour sa part que la devise numérique va contrer la faible pénétration bancaire et réduire le coût des envois de fonds. Adopter le bitcoin comme alternative au dollar a effectivement tout son sens pour cette petite nation d’Amérique centrale.

Se désolidariser des États-Unis

Alors qu’en Belgique le pourcentage s’élève à peine à 2%, les envois de fonds représentent environ 20% du produit intérieur brut du Salvador. Et cet argent provient principalement de Salvadoriens travaillant aux États-Unis. Une part non négligeable de la production de richesse est donc amputée par des frais de transfert. En supprimant le passage par des intermédiaires financiers, le bitcoin permet dès lors de réduire drastiquement ces déperditions.

Mais le Salvador appartient surtout à la catégorie des ‘économies dollarisées’. En utilisant le dollar comme monnaie nationale, on se rend tributaire des décisions fiscales et monétaires du gouvernement américain et de la Réserve fédérale. L’adoption du bitcoin comme autre devise nationale devrait procurer plus d’indépendance.

En pourcentage du PIB, les envois de fonds sont parmi les plus élevés au monde, juste derrière Haïti en Amérique latine et dans les Caraïbes. Les envois de fonds soutiennent la consommation privée et contribuent à financer les déséquilibres extérieurs. (Banque mondiale)

Émettre sa propre monnaie

Le meilleur moyen de couper les ponts avec une devise étrangère reste évidemment d’émettre sa propre monnaie. Ce qui constitue une gageure dans les pays dollarisés dont l’histoire récente est souvent marquée par l’instabilité politique et/ou économique. Sans oublier que faire accepter à sa population une nouvelle monnaie, potentiellement émise par un nouveau gouvernement, s’avère tout aussi complexe.

‘L’adoption du BTC offre potentiellement au Salvador l’ancrage dans une monnaie forte et la discipline monétaire dont il a besoin, tout en rompant sa dépendance à la politique monétaire et fiscale des États-Unis. Ce n’est pas une souveraineté monétaire totale, mais c’est une amélioration par rapport à la situation actuelle’, analyse l’économiste Frances Coppola.

Le président Nayib Bukele a déclaré que son pays pourrait devenir un centre névralgique pour le minage de bitcoins. Et d’ajouter que ‘si seulement 1% de la capitalisation de marché du bitcoin se retrouvait au Salvador, cela augmenterait le produit intérieur brut du pays de 25%’.

Pour y parvenir, le chef d’État âgé de moins de quarante ans a entamé un projet de production d’électricité en transformant la chaleur émise par… les volcans salvadoriens. La société nationale de géothermie a été mandatée pour construire une ‘usine à BTC’ employant l’énergie ‘très bon marché, 100 % propre, 100 % renouvelable, sans émissions des volcans’.

Pas de sitôt en Belgique

Les autorités salvadoriennes recherchent de nouvelles sources de financement. ‘L’économie devrait se redresser progressivement en 2021, mais le PIB ne retrouvera pas son niveau d’avant la pandémie avant 2023. La pandémie a exacerbé la faible dynamique budgétaire et de la dette’, relève l’Awex sur base des données de The Economist Intelligence Unit.

Pour tous ces aspects, l’adoption du bitcoin semble assez judicieuse du point de vue du Salvador. Tout comme elle le serait pour d’autres économies dollarisées. Des pays d’Amérique latine, du Mexique au Paraguay, ont déjà exprimé leur intérêt à l’égard de ‘la loi du bitcoin’ adoptée par le congrès salvadorien. La cryptomonnaie ne devrait pas pour autant s’imposer dans tous les paniers de devises officielles.

Pour la simple raison que bon nombre de pays ne souffrent pas de ce degré de domination du dollar, ni d’antécédents d’instabilité politique ou économique. Encore moins chez nous, où nous disposons à la fois d’une monnaie forte avec l’euro et d’une discipline monétaire. Le consommateur belge ne doit pas non plus chercher de solution de secours à une hyperinflation foudroyante comme on a pu l’observer au Venezuela ou au Zimbabwe. Ajoutons au passage que si les banques centrales planchent également sur leurs propres monnaies numériques, elles explorent dans des concepts très éloignés des cryptomonnaies telles que le bitcoin.

Quels risques ?

Ce n’est un secret pour personne : la volatilité du bitcoin rend la cryptomonnaie peu attrayante pour de nombreux consommateurs, investisseurs et entreprises. Depuis son dernier pic, le BTC a perdu plus de la moitié de sa valeur. Mais dans le cas présent du Salvador, le gouvernement et la banque centrale promeuvent activement l’utilisation du bitcoin. Les décideurs ont inscrit l’éducation technologique et financière dans la loi pour démocratiser l’accès à la blockchain. Ce qui pourrait stimuler son adoption auprès des 6 millions d’habitants. Et comme le veut la loi du réseau, plus il y a d’utilisateurs, plus ledit réseau aura de la valeur.

Certains observateurs craignent que le Salvador devienne un ‘crypto-paradis fiscal’. Car le pays a pour mission désormais d’attirer des bitcoins et bitcoiners, préférablement des gros détenteurs. Encore faut-il que l’argent circule, ce qui requiert notamment des entreprises exportatrices employant le BTC. Les acteurs économiques salvadoriens ont moins de 90 jours pour se préparer à jongler avec les bitcoins. Il y a fort à parier qu’une certaine inertie se fera ressentir au-delà de cette échéance.

Seule certitude pour l’instant, le Salvador sert de laboratoire grandeur nature à l’utilisation massive du bitcoin.

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