Alors que l’Allemagne met aujourd’hui le nucléaire derrière elle, la France n’a pas abandonné son projet de doter l’Europe d’une stratégie nucléaire. Or quand le couple franco-allemand ne s’entend pas, il est difficile de faire avancer l’UE.
L’actu : dans les coulisses européennes, la lutte est toujours intense autour du nucléaire.
- En matière de nucléaire, la France a obtenu plusieurs petites victoires. L’année dernière, le nucléaire a reçu un « label vert » dans la nouvelle taxonomie européenne. Concrètement, pour faire simple, des projets liés au nucléaire pourront obtenir des ressources et des incitants dans le cadre du Green Deal. La taxonomie a pour but de rediriger les investissements vers des technologies durables dans le cadre de la réduction des émissions de CO2.
- Il y a deux semaines, à l’occasion de l’accord sur la quantité de renouvelable à atteindre dans la consommation européenne, l’hydrogène créé à partir d’énergie provenant du nucléaire n’a pas été qualifié de « vert », mais il a surtout évité la qualification de « fossile », une sorte de compromis. Concrètement, la France pourra utiliser l’atome pour créer de l’hydrogène dans ses objectifs d’énergie renouvelable.
Les deux camps
- Mais l’Europe reste clairement divisée en deux camps :
- Le « club » nucléaire européen initié par la France et qui regroupe 11 pays : la Croatie, la République tchèque, la Hongrie, la Finlande, les Pays-Bas, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Pologne. Ce club vise à promouvoir « les nouveaux projets nucléaires » basés sur « des technologies innovantes » et sur « l’exploitation des centrales existantes ». Il est notamment question du développement des fameux petits réacteurs modulaires (SMR)
- Les « anti-nucléaire » composés de l’Allemagne, l’Autriche ou encore le Luxembourg qui ne veulent plus entendre parler de nucléaire, au niveau national mais aussi européen.
- La Belgique est entre deux chaises : une partie du gouvernement veut donner un avenir à l’énergie nucléaire, mais les Verts, actuellement partenaires de la coalition, ont fait de la sortie du nucléaire un cheval de bataille. Même s’ils ont dû concéder, en cours de route, la prolongation pour dix ans des deux réacteurs les plus jeunes. Tous sont néanmoins tenus par la loi de la sortie du nucléaire de 2003 qui prévoit toujours la sortie de l’atome pour 2025. Cette loi doit être modifiée, voire abrogée, mais le temps presse et cela ne pourra sans doute pas attendre les prochaines élections, en 2024. On n’improvise pas une prolongation du nucléaire en quelques mois. Assez révélateur : la Belgique a demandé (tardivement) un statut « d’observateur » dans le club nucléaire européen.
Les détails : Berlin et Paris se répondent.
- Interrogé par Politico, Joël Barre, le « Monsieur nucléaire » français, explique que la France « veut une stratégie pour le nucléaire en Europe » et veut convaincre l’autre camp.
- « Je ne comprends pas la position de l’Allemagne parce que je ne crois pas du tout que d’ici le milieu du siècle, elle sera capable de mener une stratégie zéro carbone basée uniquement sur des sources renouvelables », a déclaré M. Barre.
- Dans l’autre camp, on estime que le nucléaire est une énergie qui coûte cher. Les nouveaux projets accumulent les retards tandis que le parc existant rencontre de nombreuses difficultés : cet hiver, la France a par exemple été contrainte de mettre hors service la moitié de ses réacteurs.
- « Les énergies renouvelables peuvent être mises en place beaucoup plus rapidement que les réacteurs. Le principal problème du nucléaire est qu’il est trop tard – nous n’avons ni le temps ni les ressources nécessaires », estime Paul Dorfman, spécialiste en énergie, rattaché à l’Université de Sussex. La neutralité carbone est en effet attendue pour 2050.
- Leon Cizelj, professeur d’ingénierie nucléaire à l’université de Ljubljana et président de l’European Nuclear Society, lui répond : « La longue expérience de 20 ans et très coûteuse des énergies renouvelables sans nucléaire en Allemagne n’a pas permis de réduire l’empreinte carbone de la production d’électricité. » Dans les chiffres globaux, l’Allemagne est parvenue à réduire son empreinte carbone, mais elle reste très pénalisée pour son recours accru au charbon. Si elle veut atteindre son objectif de 65% de réduction de CO2 d’ici à 2030, Berlin devra faire en 7 ans ce qu’elle a réalisé sur les 33 dernières années.
- Et Joël Barre de conclure : « Nous ne pouvons pas mener une politique énergétique forte et consolidée en Europe si elle n’est pas basée sur un mélange de sources d’énergie – d’une part les énergies renouvelables et d’autre part le nucléaire »
Les deux chemins
La réalité : les chemins opposés de la France et de l’Allemagne.
- Emmanuel Macron a indiqué l’année dernière l’intention de la France de construire 14 nouveaux réacteurs. Il est notamment question de six EPR 2 qui devraient être construits entre 2035 et 2042, pour combler en partie le parc vieillissant. Il est aussi question de réacteur SMR, même si là encore, la date reste très incertaine.
- Du côté allemand, ce samedi acte la fermeture des trois dernières centrales nucléaires : Isar 2 (Bavière), Neckarwestheim 2 (près de Stuttgart) et Emsland (Basse-Saxe). Une décision qui remonte à 2011, quand 8 des 17 réacteurs nucléaires en activité à l’époque ont été fermés dans le cadre du plan Energiewende, qui mettait l’accent sur les énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique), après Fukushima.
- Quoi qu’il en soit, l’Allemagne se prive ce samedi de 4 GW décarbonés, soit 28 TWh décarbonés par an. Ce qui veut dire que ses émissions de CO2 devraient, selon le mix énergétique actuel, augmenter de 14 à 28 millions de tonnes.