‘NewB doit encore tout prouver. Cela prendra des années pour tenir nos promesses’

L’INTERVIEW DU WEEKEND – À moins d’un mois de ses assemblées générales, la jeune banque coopérative essuie de nouvelles rumeurs de naufrage financier. Des lieutenants ont quitté le navire alors qu’une importante brèche entaille la comptabilité. Mais NewB garde le cap, affirme le président de son conseil d’administration. Non content du chemin parcouru, Bernard Bayot assure que la mobilisation ne faiblit pas. Pour la simple et bonne raison que tout reste encore à faire.

Nombreux sont ceux qui aiment détester les banques. Mais en sortant du bois il y a quelques années, le projet NewB, une innovation bancaire prônant le socialement responsable, a fédéré de nouveaux détracteurs. D’abord ceux qui n’appréciaient guère le côté bobo, écolo, gaucho de la future enseigne. Puis ceux allergiques à l’utopie de bâtir ‘à partir de rien’ une banque de plus en Belgique. Sans oublier ceux aussi qui estimaient mieux comprendre la finance que les porteurs de projet et n’attendaient que de nouveaux indices pour annoncer la mort de NewB. Quelle aubaine alors pour la critique de découvrir cette semaine dans les médias que la banque coopérative, opérationnelle depuis novembre dernier, avait perdu deux directeurs financiers et qu’un déficit clôturait son premier exercice comptable. Pourtant, tout ceci ne change rien au plan, ou presque, nous explique Bernard Bayot, président du conseil d’administration de NewB. Entretien.

Business AM : Replantons rapidement le décor. Extraordinaire campagne de capitalisation en décembre 2019. Licence bancaire en janvier 2020. Premiers comptes clients ouverts en novembre dernier. Créer une banque différente, en pleine pandémie, vous résumez cette entreprise comment ?

Bernard Bayot : C’est effectivement un fameux défi. Déjà en soi. On a reçu l’agrément de la Banque centrale européenne en janvier de l’année passée. Il nous a fallu à peine neuf mois, malgré les conditions Covid, pour lancer l’opérationnalisation de la banque. Ça a malgré tout été très rapide et bien entendu c’est grâce à l’implication des équipes qui ont travaillé d’arrache-pied. Notamment Jean-Christophe Vanhuysse, notre CFO qui nous quitte avec le sens du devoir accompli, puisqu’il a réussi avec ses équipes à ce que fonctionnent nos comptes épargne, nos comptes courants pour les particuliers ainsi que l’offre de crédits. Évidemment que nous aurions gagné quelques semaines si on n’avait pas eu l’épisode Covid. Ça nous a fait perdre un peu de temps par rapport au plan d’affaires que nous avions exposé en 2019. On glisse de quelques mois sur notre échelle de temps. Mais c’est le seul impact que l’on accuse, à court terme en tout cas.

La crise sanitaire a nourri une remise en question de l’économie mondiale, des réflexions sur les dérives financières, les enjeux sociétaux et climatiques. Votre banque qui se revendique d’un monde d’après, d’un monde meilleur, reste-t-elle plus pertinente que jamais ?

Précisément. Nous discutions de l’effet négatif de cette crise, un effet direct et immédiat. Mais il y aura un effet sur le moyen et le long termes qui, tel que je l’analyse, sera positif pour NewB. Parce que, c’est vrai que pendant la campagne de 2019, on beaucoup mis l’accent sur un aspect de notre nouvelle banque, c’était le financement de la transition climatique. Mais c’est un peu oublier qu’il y a d’autres éléments dans l’ADN de NewB, et notamment un élément important qui est la localisation. Notre objectif est de faire une banque locale, avec un circuit court de l’épargne. L’argent que les épargnants déposent crédite essentiellement l’économie interne. Et, effectivement, avec le Covid, on s’est tous rendu compte qu’il y avait la nécessité de relocaliser tout au moins un certain pan de l’économie. Qui dit relocaliser l’économie dit donc de relocaliser le contrôle de l’économie. Ça ne sert à rien d’avoir, comme par exemple dans le domaine des énergies renouvelables, des capacités de production en Belgique si après elles sont compromises par des entreprises étrangères et finalement ne profitent pas aux habitants de la Belgique. Je pense que cette réflexion-là de la relocalisation de l’économie et de son contrôle ne peut être que profitable à des banques qui font de cet aspect local un élément fondamental de leurs activités.

Car NewB n’est pas la seule.

NewB n’est pas la seule mais c’est certainement l’une des caractéristiques de NewB. Et donc, effectivement, sur le plus long terme, cette conséquence de la pandémie ne peut être que bénéfique pour le développement d’une entité comme notre banque.

Bernard Bayot, cheville ouvrière du projet NewB, lors d’une présentation en juin 2019.

Votre optimisme ne semble pas diminué, en tout cas pas de façon flagrante. Ces objectifs, ces perspectives, ces promesses que NewB porte, il est toujours possible de les honorer selon vous ? Les chiffres, d’abord des estimations, ont souvent été brandis par les détracteurs pour faire de l’ombre à votre projet. Maintenant, ce sont les 4 millions d’euros de perte marquant les résultats pour 2020 qui servent à remettre en cause la viabilité de NewB. Ces résultats vous inquiètent ou vous confortent ?

Evidemment, toute prévision doit en permanence être revue à l’aune d’aspects positifs et négatifs. C’est évidemment le cas de notre plan d’affaires, que nous avions élaboré en 2019 et qui offrait une projection à cinq ans. Cette projection, nous l’avons affinée. Il y a des éléments positifs, nous avons déjà beaucoup plus de coopérateurs que ce que nous avions anticipé avant la campagne de capitalisation. Il y a des éléments négatifs, comme l’épidémie de coronavirus que nous n’avions pas du tout anticipée et qui retarde un petit peu notre développement, et retarde aussi les recettes des produits et services que NewB propose progressivement. Mais voilà, tous ces éléments sont intégrés. Nous avons réalisé de nouvelles projections pluriannuelles que nous présenterons aux AG. Il y a des éléments qui varient mais fondamentalement la trajectoire reste la même depuis le début, à savoir que nous arriverons à l’équilibre en l’an 5.

La perspective n’a pas du tout changé.

Non, au contraire. Et c’est ça que j’ai trouvé un petit peu court dans les articles de presse que j’ai eu l’occasion de lire. Il y a un déficit en 2020, c’est exact. Mais il est sensiblement moins important que ce qui était prévu. Tout simplement parce que, comme il y a eu l’effet retard dû au Covid, on a eu du retard dans un certain nombre de dépenses qui n’ont pas encore été engagées.

Un écart favorable à hauteur de 1,65 millions d’euros.

Voilà. Ce n’est pas un motif de satisfaction mais ce que je veux dire c’est qu’il n’y a pas de grosse surprise. Même pas de moyenne surprise par rapport aux prévisions qui étaient assez prudentes. Donc, nous restons sur cette trajectoire, nous gardons le cap. Sous réserve de petits éléments. Globalement, nous gardons à l’œil l’ensemble des paramètres pour ne pas dévier de cette trajectoire. Il n’y a absolument pas matière à s’alarmer. Que du contraire. Nous sommes partis sur des hypothèses très prudentes, comme par exemple avec aucune évolution positive de l’environnement des taux d’intérêt.

Dans tout bon business, on tente de réduire le risque et de prévoir les imprévus autant que faire se peut. Mais vous avez dû composer avec d’autres impondérables, comme la difficulté de recruter et le surcoût de prestataires qui ont finalement été nécessaires. Les aléas du métier de banquier ?

C’est un enjeu important. Il est évident que nous sommes dans une phase de développement intensif avec un échéancier très raccourci : le lancement des comptes, des formules de crédit en 2020, nous avons une carte de banque qui sort cet été, et puis des fonds d’investissement à l’automne, et avant la fin de l’année, toutes les formules pour les professionnels. On doit donc faire appel parfois à des profils temporaires, ce qui implique très souvent une externalisation. De l’autre côté, on a une évolution très rapide qui fait que, dans l’urgence, nous n’avons pas toujours l’occasion de staffer les équipes comme on l’espère. C’est un objectif de progressivement réduire l’externalisation et augmenter l’équipe interne. Ça a été le cas ces dernières semaines avec des engagements importants mais cela prendra encore quelques mois.

Le projet de NewB ne date vraiment pas d’hier, comme le rappelle cette coupure de presse. (L’Avenir, 31 janvier 2014.

Pour rester dans la thématique RH, et revenir sur le fait que le CEO, puis récemment le CFO et le CRO ont quitté le navire, est-ce plus compliqué pour NewB de garder des ‘lieutenants’ ? Comment donner tort à ceux qui amalgament ces départs avec un naufrage financier imminent ?

Je pense que c’est une très mauvaise lecture dans le sens où c’est précisément l’inverse. On doit se demander pourquoi des gens de très haut niveau, qui étaient dans les comités de direction de banques classiques, tout d’un coup se disent ‘eh bien, je prends le risque de venir dans une banque naissante’. Ils acceptent de prendre ce risque-là mais aussi de réduire les prétentions salariales. Car nous avons pour principe d’avoir des rémunérations beaucoup plus mesurées que dans le reste du secteur bancaire. Il faut se demander comment cela se fait que, malgré ces conditions, des profils avec des expériences très importantes nous rejoignent. Et nous n’avons jamais eu aucun problème à recruter ces personnes-là. Quand ces personnes comme Tom Olinger, notre précédent CEO, partent, cela se fait en toute simplicité et bonne entente. Après, les parcours de vie des uns et des autres relèvent de leur liberté. La bonne nouvelle, c’est que de nouvelles personnes veulent toujours nous rejoindre malgré le fait que NewB soit atypique et pas forcément attractive si on s’en tient aux critères classiques de l’industrie.

Cette différence que vous mettez en avant, cette banque belge plus participative, éthique et durable que les autres institutions bancaires, est-elle suffisante pour faire la différence sur le marché ?

Cela nous donne des avantages concurrentiels. Prenez par exemple le fait que nous allons lancer une gamme de produits d’investissement à la rentrée. On a pu compter sur une enquête auprès de nos coopérateurs, avec 12.000 répondants, qui ont donné des informations extrêmement précises sur leurs souhaits. Ça nous a permis de conceptualiser des produits qui sont tout à fait innovants sur le marché belge et dont on sait qu’ils répondent aux attentes. On a une capacité de rencontrer les besoins de notre clientèle que très peu d’autres business ont. Les études de marché arrivent rarement à cette finesse de l’analyse. Autre élément important, c’est le côté prescripteur des coopératrices et coopérateurs. On a beaucoup commenté notre campagne qui a récolté 35 millions d’euros en 2019 mais ce qu’on a oublié de dire c’est que ça s’est fait avec des moyens très limités, incomparables avec ce qui est habituellement utilisé. Cette économie de moyen nous est autorisée par notre gouvernance coopérative. Nous avons des avantages par rapport au fonctionnement de sociétés anonymes classiques. Je pense encore à un autre exemple sur lequel nous sommes les seuls en Belgique et même peut-être en Europe, c’est la tarification. Nous avons posé aux coopérateurs la question du prix, ce qui a donné notre système de prix conscient où certains qui s’en sentent capables peuvent payer plus pour que d’autres personnes moins favorisées aient aussi accès à un compte. Ça fonctionne, et même très bien. Cette qualité d’interaction et d’information nous permet de prendre des risques qui ne seraient pas pris en temps normal. Tant qu’on respecte la demande de nos clients et coopérateurs, on reste dans le bon même si on propose des choses inattendues et innovantes.

Mais l’approche NewB n’a pas encore été assez innovante que pour amener d’autres acteurs bancaires, plus établis, à marquer un certain intérêt ?

Malheureusement non. Et je le regrette. Partisan du modèle NewB comme je le suis, je ne demande qu’une chose, c’est qu’il soit partagé le plus largement possible. Je serais très content de voir d’autres banques se dire qu’elles vont essayer le métier sous un autre aspect et s’inspirer de ce que propose NewB. Aujourd’hui, force est de constater que ce n’est pas le cas. Le constat, c’est que notre secteur a très peu réagi, sauf parfois un petit peu dans le marketing.

Malgré les accomplissements de NewB en peu de temps, vous ressentez encore le poids de l’étiquette ‘utopie en voie de disparition’ collée à l’entreprise ?

C’est vrai que, parfois, sur les réseaux sociaux, quelques avis lapidaires s’expriment. Mais je suis le premier à dire que nous n’avons fait que la moitié du chemin. C’est vrai que nous avons connu de belles victoires, mais il nous reste à démontrer que tous nos plans, qui ne restent que des projections, vont pouvoir se réaliser. Et qu’aussi bien sur le plan économique que sur l’impact social ou environnemental, nous allons tenir nos promesses. Pour cela, il faudra attendre un certain nombre d’années pour voir que nous sommes bien à la hauteur de nos promesses. J’accepte le défi. La partie n’est pas gagnée, il faut continuer à se retrousser les manches. C’est le coopérateur qui pilote, en adoptant les produits et services mais aussi en en parlant autour de lui, etc. C’est ça qui fera NewB. On espère qu’on aura dans quelques années une banque qui fonctionne et remplit toutes ses promesses.  

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