L’association écologiste accuse le groupe nucléaire Orano d’envoyer discrètement des déchets nucléaires vers la Russie où ils seraient entreposés sans la moindre précaution. C’est vraisemblablement faux: cet uranium usagé sera en fait recyclé, puis réemployé.
Mardi dernier, des militants de Greenpeace se sont rassemblés devant l’entrée du groupe nucléaire Orano à Châtillon, au Sud de Paris, et ont disposé une quinzaine de fûts métalliques portant le fameux symbole radioactif. Un acte de protestation contre l’envoi par cette firme de matières radioactives en Sibérie, selon le groupe d’action écologiste. « Encore une fois, l’industrie nucléaire française tente de camoufler ses déchets. La Russie n’est pas la poubelle d’Orano ou d’EDF. Il est inacceptable de faire porter le poids environnemental et économique du tout-nucléaire français aux citoyens et aux citoyennes russes. Orano, EDF et le gouvernement français doivent prendre leurs responsabilités et arrêter ces trafics de déchets nucléaires » s’indigne Yannick Rousselet, chargé de campagne Nucléaire à Greenpeace France.
Pour l’organisation, il ne fait aucun doute qu’il s’agit de déchets nucléaires dangereux, qui ont été acheminés vers la Russie par navire et par train, le plus discrètement possible afin d’être soustrait aux regards, et au plus grand dam de l’environnement et des populations locales. Sauf que ce récit, largement partagé par de nombreux médias, est vraisemblablement erroné.
Pas de filière secrète du déchet
Orano est un groupe international impliqué dans l’énergie nucléaire à toutes les étapes du processus, de l’extraction de l’uranium au traitement du combustible usé. Au bout de 3 à 5 ans, l’uranium d’une centrale doit en effet être remplacé et traité dans des usines spécialisées, comme celle de La Hague en Normandie. A partir d’une tonne de combustible usé, on obtient 40 kg de déchets finaux hautement radioactifs qui finissent généralement enfouis, 10 kg de plutonium utilisables qui pourront fournir autant d’énergie que 10.000 tonnes de pétroles, et enfin 950 kg d’uranium faiblement enrichi, ou « Uranium de recyclage issu du traitement » (URT). Celui-ci n’est que très faiblement radioactif, ce qui permet son stockage, et surtout, il est recyclable et pourra resservir.
A radioactif, radioactif et demi(-vie)
Le processus de recyclage n’est toutefois pas évident: l’URT doit être ré-enrichi, ce qui passe par un traitement par centrifugeuse. Or la France ne possède pas l’infrastructure adaptée, au contraire de… la Russie, qui développe activement cette filière de traitement et de reconversion, en partenariat d’ailleurs avec Orano. Et c’est bien de l’URT qui est acheminé vers la Russie.
Quand Greenpeace affirme donc que la Russie « croule sous un énorme stock de cette matière, dont elle n’a aucun usage. Cet uranium de retraitement, irradiant et polluant, serait simplement entreposé à Seversk pour une durée illimitée, sous une forme ne garantissant pas l’absence de contamination », c’est vraisemblablement faux, et le lobby écologiste n’avance aucun argument allant dans son sens et pas dans celui de la société nucléaire française, qui a bel et bien déclaré qu’elle avait signé un contrat d’exportation pour 1000 tonnes d’URT destiné à être envoyé en Russie pour être converti et ré-enrichi afin de fabriquer du combustible nucléaire pour les réacteurs russes. Une vente qui n’a rien d’illogique, même pour un pays producteur d’uranium comme la Russie, alors que les prix du minerai brut ont décollé.
L’uranium plutôt que le charbon
Bien sûr, l’industrie nucléaire ne manque pas de dangers et de défauts, et le problème des déchets en est un. Mais l’action de Greenpeace brosse un portrait plus sale que nécessaire d’une industrie où le recyclage est possible et se développe. Car de l’uranium ré-enrichi qui fait fonctionner à nouveau une centrale, c’est du carburant nucléaire qu’on ne doit pas extraire de mines. On peut aussi s’offusquer d’envoyer cette matière aussi loin alors qu’elle pourrait être utile dans une centrale française, d’autant qu’il faut admettre que la Russie n’a jamais brillé par sa transparence sur les questions nucléaires. Mais pourquoi un pays achèterait-il un carburant encore utilisable dans le simple but de le larguer dans la nature, alors qu’il dispose de l’infrastructure pour l’enrichir et l’utiliser ?
De plus, l’Hexagone planche sur un retour de sa filière d’enrichissement d’uranium à l’horizon 2023 afin d’assurer un cycle complet du carburant nucléaire français. A l’heure où un nombre croissant de pays réactivent leurs très polluantes centrales au charbon pour surmonter la hausse des prix du gaz et du pétrole, c’est peut-être une politique du moindre mal.