Chaque année, des milliers de migrants africains risquent leur vie pour traverser la Méditerranée et rejoindre l’Europe. Cependant, ce n’est que la partie visible d’un iceberg : un nombre bien plus important émigre dans un autre pays africain.
« S’il y a une crise en termes de migration, cette crise est en Afrique », affirme Peter Mudungwe, un expert en migration de l’Union africaine, qui vient de publier une vaste étude sur les mouvements migratoires en Afrique. Elle révèle que seulement 20 % des migrants africains quittent le continent.
5 des 10 pays qui hébergent plus de la moitié des réfugiés du monde sont situés en Afrique
On enregistre ainsi bien plus de mouvements de la Corne de l’Afrique vers l’Afrique australe, que du Sahara vers l’Afrique du Nord pour rejoindre l’Europe. De même, les déplacements à l’intérieur de l’Afrique de l’Ouest, une région qui a toujours eu des frontières poreuses, sont encore plus nombreux. Enfin, on constate un développement des flux en Afrique de l’Est à travers le golfe d’Aden. Cela s’explique notamment par la fuite des conflits qui ont éclaté dans ces régions, ou la recherche de meilleures opportunités économiques.
5 des 10 pays qui hébergent plus de la moitié des réfugiés du monde sont situés en Afrique. Et comme le monde se concentre surtout sur les migrants qui entreprennent de se rendre en Occident, on ignore quasiment tout de ces personnes. En particulier, on ne connait pas leur nombre, et on ne sait pas non plus quelle proportion parvient à survivre à ces périples.
L’Europe a une vision déformée du problème de la migration
La crise des migrants des années 2015 et 2016 a marqué les politiciens occidentaux, en particulier les populistes. Désormais, les politiques et les financements sont principalement axés sur la dissuasion à l’égard des jeunes Africains qui tentent de rejoindre l’Europe et les États-Unis. Cette obsession a en quelque sorte masqué la véritable crise de l’immigration, confinée au sein du continent africain. L’Union africaine admet elle-même que ses politiques en la matière étaient totalement dépassées, en raison de ces influences occidentales.
« Ces problèmes ont nui à la manière dont l’Europe envisage la migration. L’idée que l’Europe est envahie fait partie de la rhétorique des partis les plus à droite », analyse M. Mudungwe.
Un phénomène naturel et inévitable
Cette année, l’Union africaine souhaite se consacrer plus particulièrement aux réfugiés, aux rapatriés et aux personnes déplacées. La politique de l’organisation, qui datait de 2006, a été totalement revue pour mieux comprendre les motivations des migrants, et leurs moyens. De cette manière, l’organisation souhaite également se préparer à l’échéance de l’année 2023, qui inaugurera la libre circulation des personnes et des biens sur le continent africain.
La nouvelle politique considèrera la migration comme un phénomène naturel et inévitable, et tentera d’en tirer parti, aussi bien du point de vue des déplacements de personnes, que des flux monétaires des migrants vers leur pays d’origine. Et pour mieux comprendre ce problème, des centres de recherche et d’observation seront installés au Maroc, au Mali et au Soudan.
L’Union africaine souligne qu’elle souhaite financer ces projets de manière indépendante, afin que l’accent reste mis sur la réalité africaine. Si des partenaires tels que l’Union européenne souhaitent apporter leur concours, ils devront le faire en se conformant aux règles de l’organisation.
« Quand on considère la migration comme une crise, on ignore le fait que les gens ont toujours voyagé« , souligne Maureen Achieng, représentante de l’Afrique auprès de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).