On n’a pas encore fini de parler des masques en Belgique. Le ministre de la Défense, Philippe Goffin (MR), devrait (enfin) annoncer ce lundi la bonne réception de 15 millions de protections… Et s’expliquer sur plusieurs points de l’appel d’offres qui a attribué le juteux contrat à la société luxembourgeoise Avrox.
Le ministre de la Défense, Philippe Goffin (MR), devrait annoncer ce lundi la bonne réception des 15 millions de masques en tissu commandés début mai à la société luxembourgeoise Avrox. Selon le contrat passé en urgence par la Défense, la livraison aurait dû être effectuée pour le 24 mai dernier. Des délais respectés par l’autre entreprise mandatée par les autorités belges, la gantoise Tweeds & Cottons, à qui 3 millions de protections avaient également été commandées.
Initialement prévue pour la fin mai et un temps annoncée à partir du 9 juin, la distribution de ces masques ‘gratuits’ promis aux Belges par le gouvernement de Sophie Wilmès devrait finalement débuter le 15 juin prochain, via le réseau des pharmacies. Pour rappel, le port du masque est obligatoire dans les transports en commun depuis le 4 mai dernier… Il y a donc cinq semaines.
Des tests préalables doivent par ailleurs encore être effectués pour vérifier la conformité d’une partie des protections livrées.
‘Mépris pour les connaissances et l’expertise de l’industrie belge’
De tels retards de livraison, alors que le strict respect des délais représentait un argument décisif dans l’évaluation des offres, le montant de la commande, jugé par certains excessifs (37,5 millions d’euros HTVA pour les 15 millions de masques), la manière dont s’est déroulé l’appel d’offres et le fait qu’une société luxembourgeoise ‘inconnue’ ait été préférée à des firmes belges, tout cela a suscité l’incompréhension voire la colère des professionnels du secteur en Belgique.
Fin mai déjà, les fédérations Essenscia et Fedustria avaient regretté ce choix ‘d’une société boîte aux lettres luxembourgeoise sans expertise avérée dans la fabrication ou la distribution de vêtements de protection médicale’, alors que des propositions 100% belges étaient sur la table. ‘Il s’agit d’un mépris pour les connaissances et l’expertise spécialisées de l’industrie belge, à un moment où l’ancrage local des chaînes de production industrielle essentielles est à l’ordre du jour politique’, avait alors estimé Yves Verschueren, administrateur délégué d’essenscia.
Conseil d’État
Et il y a une dizaine de jours, Patrick Van der Vliet, CEO de l’entreprise belge Illbebag, a décidé de saisir le Conseil d’Etat. ‘Comme d’autres, ma commande a été refusée pour des raisons contestables’, explique-t-il au journal Le Soir ce lundi. ‘Mon offre a été rejetée parce que, notamment, ma société ne pouvait fournir des références de fabrication de masques. De fait, c’est un marché nouveau en Belgique, quasiment personne n’en a encore produit en grandes quantités.’
‘Je conteste la validité des motifs invoqués pour rejeter mon offre et j’aimerais que transparence soit faite sur la sélection des attributaires, sur la vérification de leurs offres et de leurs capacités réelles de livraison’, poursuit-il, évoquant un appel d’offres bouclé ‘en dépit du bon sens’. ‘Je conteste aussi l’urgence que la Défense a utilisée comme prétexte pour lancer une procédure négociée sans publicité: rien ne la justifiait, la Défense aurait pu passer par une procédure classique car depuis qu’il y a confinement, on sait qu’il y aura déconfinement et que le port du masque sera généralisé. Pour être efficace, l’armée aurait dû s’adresser à un consortium d’entreprises belges, les masques auraient été livrés à temps et des millions d’euros auraient été économisés.’
Un prix excessif?
Le ministre Goffin avait expliqué il y a deux semaines que des garde-fous avaient été prévus dans le vaste contrat passé avec Avrox. ‘Pas de masque, pas de paiement. Des masques non conformes, pas de paiement. Des masques qui n’arrivent pas au bon moment, amende de retard’, avait-il résumé.
Ces amendes, pour 15 millions de masques livrés avec environ 15 jours de retard, à combien se monteront-elles? ‘Un peu plus de 5 millions d’euros’, a fait savoir Philippe Goffin à la Chambre. Cela signifie donc que de 37,5 millions d’euros HTVA pour 15 millions de masques (2,5 euros par pièce), la rémunération d’Avrox passera à 32,5 millions d’euros (2,2 euros par pièce).
Une bonne partie des offres belges consultées par Le Soir faisaient état de montants allant de 0,67 à 1,99 euro par pièce… L’opération demeure donc très rentable pour Avrox, malgré le non-respect des délais, et semble bien désavantageuse pour les finances des autorités belges. Ce qui fait dire à certains qu’il aurait probablement mieux valu se montrer malhonnête dans les estimations de délais de livraison pour décrocher le contrat…