L’ambassadeur chinois en France Lu Shaye a, sans sourciller, remis en question la souveraineté de tous les pays issus de la dislocation de l’URSS. Pourtant, son pays les reconnait tous – depuis 1994 dans le cas de l’Ukraine et des pays baltes. Preuve que Pékin a une vision bien particulière du concept de droit international.
En quelques mots, un ambassadeur chinois remet en question la souveraineté d’une bonne partie de l’Europe de l’Est – et balaie toute illusion sur une supposée neutralité

Pourquoi est-ce important ?
Depuis le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par l'armée russe et la condamnation (quasi-générale) du régime du Kremlin, tous les regards sont tournés vers la Chine. Sa position sur le conflit est officiellement celle d'une neutralité prudente, même si dans les faits, l'aide en sous-main apportée à la Russie était de plus en plus évidente. Mais la dernière sortie de l'ambassadeur chinois en France, Lu Shaye, a de quoi dissiper tous les doutes sur la conception chinoise des relations internationales.Les faits : vendredi dernier, l’ambassadeur chinois en France s’exprimait sur les positions de son pays concernant la crise russo-ukrainienne sur la chaîne d’information LCI. Quand on lui a posé une question sur le statut de la Crimée, Lu Shaye a lâché une première bombe : « Cela dépend de la façon dont on envisage le problème. Il y a l’histoire. La Crimée était russe au départ. » Il a ensuite suggéré que les pays qui ont émergé après la chute de l’Union soviétique « n’ont pas de statut effectif en vertu du droit international parce qu’il n’y a pas d’accord international confirmant leur statut de nations souveraines. »
Comment déclencher une crise diplomatique en 3 phrases
- C’est d’abord entièrement faux : des pays comme l’Ukraine, mais aussi la Lituanie, la Lettonie ou l’Estonie, sans compter beaucoup de pays d’Asie centrale, sont reconnus par la communauté internationale au même titre que les autres. Des accords que, d’ailleurs, la Chine est censée reconnaitre, elle aussi.
- Avoir une date d’indépendance récente ne rend pas un pays moins légitime, d’autant que certains, comme les pays baltes, étaient de fait indépendants jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
- Sans surprise, ces quelques mots suscitent de fortes réactions, en particulier chez les pays baltes, directement visés, dont les ministres des Affaires étrangères ont coordonné dimanche la convocation du plus haut diplomate chinois dans leurs capitales respectives.
- « Je m’attends à une réponse forte et unifiée de l’UE » a commenté le ministre letton des Affaires étrangères Edgars Rinkevics, et il a ajouté qu’il soulèverait la question lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE à Luxembourg, lundi. Le ministère français des Affaires étrangères s’est quant à lui déclaré « consterné », tout en offrant une porte de sortie : « Il appartient à la Chine de dire si ces propos reflètent sa position, ce que nous n’espérons pas. »
La même vision de la diplomatie qu’à Moscou
Le contexte : quand la Chine montre son vrai visage. Cette sortie d’un officiel nommé par Pékin remet purement et simplement en question le concept d’un droit international qui régirait les relations entre les nations. En relativisant l’indépendance de certains pays, y compris au sein de l’UE, Lu Shaye s’est fait le défenseur d’une vision du monde non pas basée sur le droit, mais sur la volonté des plus forts à s’imposer au détriment de leurs voisins. C’est la même qui prévaut à Moscou. « Le concept de ‘la force a toujours raison’ n’est pas le concept auquel nous, en Europe, faisons confiance », a ainsi commenté le ministre lituanien des Affaires étrangères Gabrelius Landsbergis auprès d’Euractiv.
- Dans une opinion publiée sur Euractiv, l’analyste politique ukrainien Roman Rukomeda estime que c’est là un lapsus révélateur.
« La déclaration de Lu Shaye, à moins qu’il ne s’agisse de son point de vue, ce qui, selon les critères de Pékin, est presque impossible, est un test chinois pour l’Europe et un message aux pays occidentaux s’ils veulent comprendre si la médiation chinoise est possible ou non. Cette déclaration est également un test pour vérifier combien d’États européens feraient comme si rien ne s’était passé et combien réagiraient. Cela aidera la Chine à tirer des conclusions sur la situation réelle en Europe et sur la volonté des États européens de continuer à faire des affaires avec Pékin malgré le risque croissant de guerre à Taïwan. »
Roman Rukomeda
La Russie, un État successeur de l’URSS comme les autres ?
- L’analyste en profite d’ailleurs pour rappeler que, du point de vue de l’Ukraine, la Russie est elle aussi une république issue de la dislocation de l’Union soviétique, et un État dont l’indépendance pourrait dater de 1991.
« […] La Russie n’a pas achevé la procédure légale pour devenir le successeur légal reconnu de l’Union soviétique, ce qui signifie que la présence de la Russie à l’ONU et au Conseil de sécurité de l’ONU n’a aucune base légale en ce qui concerne Kiev. Il en va de même pour la privatisation par la Russie de tous les actifs soviétiques dans le monde. Moscou s’est simplement approprié ces actifs. »