« L’ombre de Moscou pèse sur la crise migratoire aux frontières de l’UE »

La situation reste très préoccupante en Pologne, alors qu’un convoi de migrants est apparu à la frontière, poussé par les autorités biélorusses. La situation humanitaire risque de devenir très vite catastrophique, alors que le gel fait son apparition, tandis qu’aucune solution crédible ne se dessine. A Varsovie, on craint l’escalade avec Minsk qui aurait déployé des troupes spéciales pour envenimer la situation, jusqu’à faire craindre l’affrontement armé. Sous les ordres de Moscou, assurent les Polonais.

On a tous vu ces images prises à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie où, de part et d’autre de murs de barbelés, se font face, d’un côté, soldats et policier polonais sur le pied de guerre, et de l’autre, des milliers de migrants, dénués de tout et qui n’aspirent qu’à rentrer dans l’Union européenne. Et derrière eux, des soldats biélorusses qui les empêchent de faire demi-tour.

L’hiver s’installe et l’aide humanitaire est bloquée

Car l’implication du président biélorusse Alexandre Grigoriévitch Loukachenko dans cette soudaine poussée migratoire n’est qu’un secret de polichinelle : depuis l’été dernier, les pays les plus orientaux de l’UE, Lituanie et Pologne en tête, alertent sur l’arrivée de migrants venus des forêts marquant la frontière avec la Biélorussie. Ceux-ci sont visiblement victimes d’un trafic à grande échelle, dans lequel le gouvernement biélorusse fait miroiter une entrée facile dans l’Union en passant par son pays. Il irait jusqu’à les encourager à quitter leur pays (l’Irak, l’Afghanistan, l’Iran, le Congo, la Guinée et le Cameroun, principalement) et mettrait tout en place pour les faire venir sur ses terres avant de les pousser vers l’espace Schengen. Dans des proportions telles que les nations des marches de l’UE se sont vite résolues à installer des clôtures, voire à mobiliser leur armée.

La situation actuelle ne peut que leur donner raison, car Loukachenko semble être passé à la vitesse supérieure : c’est un véritable convoi de candidats à la migration, dont des vieillards, des femmes et des enfants, qu’il a jeté sur les routes et contre les barrières polonaises. Et ce, alors que les températures baissent drastiquement, faisant craindre que la situation dégénère en véritable crise humanitaire, si ça n’est pas déjà le cas : 10 personnes seraient déjà décédées en tentant de passer la frontière, mais selon des habitants de la région, ce chiffre pourrait être bien plus élevé, alors que les premières gelées nocturnes sont annoncées pour la semaine prochaine à Varsovie. Mais le gouvernement polonais, au nom de l’état d’urgence instauré dans ces provinces orientales, interdit le passage aux organisations humanitaires indépendantes, de même qu’aux médias. Ce qui laisse cours aux rumeurs de maltraitance des réfugiés, de part et d’autre de la frontière.

Des exilés comme armes de guerre

« Une situation devient une crise humanitaire lorsque personne ne fait rien de part et d’autre pour trouver une solution », a déclaré Christine Goyer, représentante du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Pologne. « Les pays des deux côtés doivent trouver une solution pour que les gens ne finissent pas par rester là où ils sont. »

C’est plus facile à dire qu’à faire, car les négociations sont au point mort : le gouvernement polonais a envoyé deux convois humanitaires chez son voisin, mais ils n’ont pas été autorisés à entrer. Certains des migrants qui avaient besoin d’une assistance médicale immédiate auraient été admis dans les hôpitaux locaux. Pour Varsovie, nul doute que cette crise tient de l’acte délibéré et que Minsk utilise maintenant des populations déracinées comme arme. Et derrière pointerait l’ombre de Moscou, selon le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki: « Il s’agit de la dernière attaque de Loukachenko, qui est un exécutant, mais qui a un complice, et ce complice se trouve à Moscou, ce complice est le président Poutine, ce qui montre une détermination à réaliser un scénario de reconstruction de l’empire russe, scénario auquel nous, tous les Polonais, devons nous opposer avec force. »

Des soldats biélorusses en action ?

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a également fait valoir que « les autorités biélorusses doivent comprendre que faire ainsi pression sur l’Union européenne en instrumentalisant cyniquement les migrants ne les aidera pas à parvenir à leurs fins. »Le président du Conseil européen Charles Michel doit rencontrer Morawiecki à Varsovie mercredi.

En attendant, le risque d’escalade est bien réel entre Pologne et Biélorussie. Le ministère polonais de la Défense a affirmé que des soldats biélorusses avaient tenté d’abattre des clôtures pour faire passer des migrants et visé une patrouille polonaise avec une fusée éclairante. Il aurait aussi repéré des agents spéciaux biélorusses armés à la frontière, qui auraient tenté de s’introduire en Pologne au début du mois. Des accusations que Minsk nie farouchement.

Plus