Aujourd’hui, le gouvernement fédéral continue à travailler sur le budget. Cela se passe dans un contexte difficile : l’inflation est à nouveau en hausse à 8,31%, son sommet le plus élevé depuis 1983. Les prix de l’énergie ne sont pas les seuls à s’accélérer. L’inflation fait pression sur le pouvoir d’achat, mais aussi sur les salaires et donc sur la compétitivité des entreprises. Les socialistes veulent toujours faire quelque chose pour le pouvoir d’achat : ils mettent sur la table une demande d’environ 200 millions d’euros pour rendre les transports publics moins chers. Mais en arrière-plan, quelque chose se prépare : le PS et l’Ecolo envisagent de porter le dossier de la loi de 1996, qui régit les négociations salariales, sur la table du gouvernement. Parce que cette loi signifie que les syndicats n’auront bientôt plus rien à négocier.
Dans l’actualité : L’équipe Vivaldi se réunit à nouveau aujourd’hui pour discuter de la révision du budget 2022. Hier, il y a encore eu deux réunions. La Vivaldi veut trouver un accord pour vendredi.
Les détails : En arrière-plan, une bataille féroce se prépare entre les partenaires sociaux, qui finira inévitablement sur la table du gouvernement.
- Tous les voyants sont rouges. Alors que le gouvernement fédéral est occupé avec son contrôle budgétaire, les chiffres actuels de l’inflation sont arrivés via le SPF Économie. On se dirige vers un nouveau sommet. Mais le plus édifiant est sans doute l’inflation de base (sans l’énergie et les denrées alimentaires) qui monte également en flèche, à 3,75 %.
- La dépréciation monétaire semble avoir pénétré toutes les couches de l’économie. Les prix des denrées alimentaires en particulier sont en train de grimper, avec une inflation de 4,63 %. Pas illogique, quand on sait que l’Ukraine est surnommée le grenier de l’Europe. Mais le pire est que l’impact de la guerre n’est pas encore complètement ressenti dans le panier des ménages. Le pire est à venir.
- L’intervention du gouvernement sur les prix de l’énergie, en particulier la réduction de la TVA sur le gaz de 21 % à 6 %, a quelque peu aidé : elle a freiné l’inflation de 0,6 %. Mais l’effet des autres hausses de prix est trop important : de 8 % en février, il est passé à 8,3 % pour le mois de mars.
- Toute l’Europe est dans le même bateau : l’Espagne connaît une inflation de 10 %, et le fait qu’en Allemagne les prix des denrées alimentaires augmentent encore plus n’est pas de bonne augure pour la Belgique. Chez nos voisins, l’inflation des denrées alimentaires est déjà supérieure à 6 % et le niveau total est maintenant de 7,3 %, ce qui représente une augmentation considérable par rapport aux 5,1 % de février.
- La seule véritable solution est une augmentation des taux d’intérêt par la BCE, la Banque centrale européenne. Mais depuis des mois, sa présidente Christine Lagarde parle d’un « phénomène temporaire » en matière d’inflation. Cette situation est de plus en plus difficile à maintenir, d’autant plus que la banque centrale américaine, la Réserve fédérale, va augmenter les taux d’intérêt de manière agressive. D’ici octobre, les marchés s’attendent à une hausse des taux d’intérêt européens.
La vue d’ensemble : Évaluer le budget dans ce contexte est extrêmement difficile.
- Les prévisions de croissance économique sont passées de 3 % à 2,4 %. Cela « coûte » au Trésor public 1,5 milliard de recettes perdues, ce que la Vivaldi doit prendre en compte. Mais même ce chiffre, émanant de la Banque nationale, semble trop optimiste dans les milieux gouvernementaux. La secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open Vld) table, elle, sur une croissance de 1,5% pour 2022.
- L’incertitude est si grande que certains ont déjà suggéré de procéder à un nouvel audit budgétaire en juin : personne ne sait à ce stade comment le conflit en Ukraine va se terminer. Et qu’adviendra-t-il alors de l’inflation ? Il est possible que nous en ayons une meilleure idée dans trois mois.
- Ce qui est déjà clair, c’est qu’une nouvelle crise implique de nouvelles dépenses. Celles-ci sont en partie « accidentelles » (comme le coût supplémentaire de l’accueil des réfugiés), mais aussi idéologiques. Les socialistes remettent sur la table le pouvoir d’achat.
- Pour commencer, le soutien Corona entraîne encore des coûts gigantesques : les vaccinations, les tests, le déploiement supplémentaire du personnel coûteront encore 800 millions d’euros cette année.
- En outre, il existe également une provision pour la crise ukrainienne, qui s’élève à 700 millions. Cela n’inclut pas encore les budgets supplémentaires pour la défense, afin de permettre à l’armée d’être à nouveau opérationnelle rapidement, grâce à des fonds supplémentaires pour les munitions, de l’armement et la formation. Cela coûtera un milliard sur deux ans, et 450 millions pour la seule année 2022.
- La Vivaldi aura donc perdu au moins 1,5 milliard en recettes et près de 2 milliards en dépenses. En effet, l’inflation augmentera les budgets de fonctionnement de tous les services d’au moins 100 millions supplémentaires, sans compter les coûts additionnels résultant de l’augmentation des salaires et des avantages des fonctionnaires, due à l’indexation automatique.
- Les libéraux freinent des quatre fers : 2 milliards de dépenses supplémentaires, c’est trop, a fait savoir le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) au début des discussions dimanche.
- Mais il n’est pas question de réduire le déficit pour l’instant : politiquement, ce n’est pas faisable. C’est typique de cet exercice budgétaire, où il n’y a en fait aucune pression du tout en raison de la guerre en Ukraine. Au contraire : la Commission européenne a de nouveau assoupli les règles budgétaires des États membres pour 2022. Et des appels ont été lancés pour qu’il en soit de même en 2023. Cela portera le déficit à plus de 25 milliards d’euros, mais personne n’en perdra le sommeil.
Zoom : La liste des souhaits des socialistes n’a pas diminué entretemps.
- Le Premier ministre peut exiger ce qu’il veut, Vooruit met maintenant sur la table un plan pour réduire les coûts des transports en commun. Cela correspond à leur ambition de faire du pouvoir d’achat une question permanente.
- Vooruit propose un abonnement combiné à 7 euros qui permet d’utiliser le train, le tram et le bus pendant toute une journée. En Autriche, une telle formule, le « KlimaTicket Ö » à trois euros par jour, connaît un grand succès pour les excursions d’une journée.
- Cette proposition coûterait quelque 200 millions au budget, selon le député Joris Vandenbroucke (Vooruit) qui explique sa mesure dans Het Laatste Nieuws ce jeudi. « Les transports publics devraient être le moyen le moins cher et le plus facile pour les familles de se déplacer, mais c’est souvent l’option la plus coûteuse. »
- Les socialistes flamands soulignent que la réduction des accises à la pompes coûtera environ 1 milliard, soit quatre fois plus. Les Verts sont en tout cas intéressés par une telle proposition. Par le passé, le PS avait déjà mis sur la table la « gratuité » des transports publics : les socialistes francophones sont également friands d’une nouvelle « intervention sur le pouvoir d’achat ».
- Les transports publics sont loin d’être la seule condition des socialistes. La plus grande bataille sera bientôt la réduction permanente de la TVA sur le gaz et l’électricité. Cette dernière a été temporairement réduite jusqu’en septembre. Mais tant Vooruit que le CD&V, et certainement le PS, ont déjà indiqué qu’elle devrait rester à 6% de manière permanente, et qu’elle sera certainement prolongée si les prix ne sont pas plus bas en septembre. Il faut donc en tenir compte dans le budget d’une manière ou d’une autre.
Ce qui se passe en arrière-plan : Les partenaires sociaux sont très agités.
- Cette semaine, le président du PS, Paul Magnette, et le vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne (PS) ont tous deux annoncé « qu’il est totalement exclu de toucher à l’indexation ». Ils ont exprimé leur rejet en réponse au dirigeant de la FEB (Fédération des entreprises de Belgique), Pieter Timmermans, qui a suggéré d’examiner des mesures susceptibles de briser la spirale salaires-prix.
- Les employeurs du Voka et de la FEB lancent aujourd’hui une mise en garde quasi permanente contre ce phénomène : les augmentations de salaire, qui en Belgique sont automatiques via l’indexation, alimentent l’inflation. Et elles évincent les entreprises belges du marché : les coûts de la main-d’œuvre deviennent trop élevés. Car cette indexation automatique n’existe pas à l’étranger, notamment dans les pays comparables comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas.
- Les employeurs songent donc à un saut d’index, par lequel le mécanisme d’indexation est « enjambé » une ou plusieurs fois. Mais c’est une capitulation lourde, qui est terriblement sensible.
- Parce que les syndicats y vont à fond, dans le sens inverse : ils demandent un renforcement du pouvoir d’achat. Tant la FGTB que la CSC et la CGSLB travaillent en vue du 22 avril : une grande journée d’action pour souligner leurs revendications.
L’essentiel : la boîte de Pandore, la loi de 1996, sera-t-elle ouverte à débat ?
- Une vieille revendication revient sans cesse : la modification de la loi régissant les négociations salariales en Belgique. Parce que cette loi a été introduite précisément pour atténuer les différences avec les pays voisins. Cela signifie que l’année dernière, il n’y avait qu’une marge de 0,4% pour augmenter les salaires, hors indexation. « Si on ne change pas la loi de 96, l’année prochaine, il n’y aura tout simplement rien, aucune marge de négociation », résume Mario Coppens, de la CGSLB, dans Le Soir.
- Les syndicats ont fait le compte de ce que les employeurs ont obtenu suite au soutien Corona : 12 milliards de moins de cotisations patronales, 8 milliards d’abattements fiscaux et 5 milliards de mesures de soutien. Il faut faire quelque chose en retour, pour les travailleurs, selon les syndicats.
- Tant dans Le Soir que dans De Standaard ce matin, les syndicats répètent leurs revendications, et elles vont toutes dans le même sens, à savoir la fameuse loi de 96 :
- « Pour les revenus les plus faibles, l’indexation est insuffisante. Leurs coûts augmentent plus vite que leurs salaires », déclare Marc Leemans de la CSC/ACV.
- « Les travailleurs ont de l’eau jusqu’au cou. Les mesures actuelles du gouvernement en matière de pouvoir d’achat sont insuffisantes. Les gens méritent aussi des réponses à long terme : où en seront-ils dans 12 mois ? », déclare Thierry Bodson, patron de la FGTB, en référence aux négociations interprofessionnelles de 2023.
- Mais cette loi de 1996 est un trophée pour les partis de l’ancien gouvernement suédois au sein de la Vivaldi : Open Vld, MR et aussi CD&V. Après tout, c’est le gouvernement précédent, avec Kris Peeters (CD&V) comme ministre de l’Emploi, qui a renforcé la loi. Les trois partis ne veulent pas se décharger de cet héritage. Car, malgré l’énorme pression de l’ACV, le syndicat chrétien flamand, l’ancienne ministre de l’Emploi Nathalie Muylle (CD&V) veille sur le dossier comme un chien de garde.
- Et chez les libéraux aussi, certainement chez les Flamands, c’est le tabou ultime : pour le spécialiste du marché du travail Egbert Lachaert (Open Vld), la sauvegarde de cette loi était le grand trophée des négociations de la Vivaldi, à part le titre de Premier ministre pour De Croo. On ne pouvait y toucher.
- Mais les syndicats pensent différemment. « Apparemment, l’accord de coalition tel qu’il est inscrit dans le marbre ne s’applique finalement pas à tout : les centrales nucléaires sont aussi restées ouvertes, n’est-ce pas ? ». La Vivaldi a dû s’adapter à la « nouvelle réalité, économique et géopolitique » et a donc décidé de maintenir en service les réacteurs nucléaires Doel 4 et Tihange 3. Les syndicats y voient un précédent pour réécrire l’accord de coalition face à la réalité en cours.
- En outre, une pression considérable s’exerce sur le PS et Ecolo pour qu’ils agissent : au Parlement, grâce à une pétition signée par plus de 80 000 personnes, et où le PVDA-PTB a joué un rôle moteur aux côtés des syndicats, un débat obligatoire est attendu.
- Des bruits de couloir au sein de Vivaldi disent que le PS et Ecolo veulent porter le dossier au cœur de l’actualité, l’élevant ainsi au rang de « question gouvernementale ». Mais une telle approche comporte des risques : la fragile paix sociale risque d’être mise à mal. Car les employeurs font des demandes inverses : ils veulent modérer les coûts salariaux et éventuellement intervenir sur l’indexation.
- La question est donc de savoir si la coalition fédérale peut continuer à détourner le regard, et s’en tenir à un compromis conclu à l’été 2020, lorsque la Vivaldi a posé l’accord de coalition. Cependant, tout le monde se rend compte du danger : les différences de point de vue entre les rouges et les bleus dans ce dossier sont si importantes que, comme pour l’énergie nucléaire, ils feraient vaciller la Vivaldi.