Alors que le principal ennemi de l’Inde a été le Pakistan lors des dernières décennies, il semble qu’on soit en train de vivre un tournant qui pourrait vite devenir historique. L’armée indienne déploie les grands moyens à la frontière chinoise, et la Chine n’est pas en reste.
Aiguillé par des sources bien informées, le média américain Bloomberg révèle que l’Inde a redirigé 50.000 soldats le long de la frontière chinoise, dans trois zones distinctes (le Ladakh, le sud du plateau tibétain et l’Arunachal Pradesh). Une partie d’entre eux étaient auparavant postés à la frontière avec le Pakistan, face auquel l’Inde a notamment disputé trois guerres pour la région contestée du Cachemire. Mais depuis, le Premier ministre indien Narendra Modi privilégie un apaisement avec Islamabad, se concentrant davantage sur la lutte avec Pékin.
Au total, l’Inde a désormais 200.000 hommes à la frontière chinoise. C’est une augmentation de 40% en un an. Grâce à ces capacités humaines (et matérielles, des escadrons d’avions indiens s’y étant également positionnés, entre autres) démultipliées, l’Inde se met en position pour appliquer sa stratégie dite de « défense offensive », a indiqué une source à Bloomberg. Si nécessaire, ces ressources permettront à l’Inde d’attaquer et de s’emparer plus facilement de territoires chinois.
Evidemment, la Chine s’active également. L’ampleur de ses troupes à la frontière indienne reste relativement peu connue, mais il apparaît clairement que l’armée chinoise a renforcé sa présence au sein du commandement militaire du Xinjiang, qui est chargé de patrouiller dans les zones contestées le long de l’Himalaya. La Chine y ajoute aussi de nouvelles pistes d’atterrissage, des bunkers à l’épreuve des bombes pour abriter les avions de chasse et de nouveaux terrains d’aviation.
Un revirement notable
Tant les autorités compétentes chinoises qu’indiennes ont refusé de commenter ces opérations. L’inquiétude est de mise. Depuis la guerre sino-indienne de 1962 pour des territoires himalayens, il n’y a plus eu d’affrontement majeur entre les deux pays. Toutefois, au niveau diplomatique, leurs dernières rencontres se sont mal passées, mettant en danger le statu quo qui prévaut depuis des décennies. L’an dernier, un incident local dans la région du Ladakh a même fait quelques dizaines de morts dans les armées indienne et chinoise.
« Avoir autant de soldats de part et d’autre est risqué lorsque les protocoles de gestion de la frontière sont rompus », a déclaré D. S. Hooda, lieutenant général et ancien commandant de l’armée du Nord en Inde. « Les deux parties sont susceptibles de patrouiller agressivement la frontière contestée. Un petit incident local pourrait devenir incontrôlable et avoir des conséquences inattendues. »
Cette montée des tensions entre la Chine et l’Inde n’est pas un hasard. La pandémie de coronavirus, et le désastre économique qui en découle, a provoqué un changement de mentalité du côté des autorités indiennes.
« La crise de l’année dernière a fait prendre conscience aux décideurs indiens que la Chine représente le plus grand défi stratégique à l’avenir, et elle a conduit à détourner l’attention du Pakistan », a déclaré à Bloomberg Sushant Singh, chercheur principal au Centre for Policy Research et professeur invité à l’université de Yale. « Lorsque cela se produira pleinement, cela modifiera considérablement la géopolitique de la région. »
Même si l’Inde mobilise davantage d’efforts depuis quelques mois à la frontière chinoise, la Chine devrait toutefois lui rester militairement nettement supérieure pendant un bon bout de temps. Bien consciente qu’il lui faudra du temps avant de bouleverser ce rapport de forces, l’Inde a d’ailleurs renforcé ses liens avec les ennemis de la Chine, via le Quadrilateral Security Dialogue (Quad), une alliance qu’elle compose avec les Etats-Unis, l’Australie et le Japon.
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