Les soutiens étrangers à Macron : une arme à double tranchant à l’orée du second tour

Après l’élection d’une personne à la tête d’un état, l’un des premiers enjeux à observer ce sont les réactions ses homologues à l’étranger : les félicitations, et surtout parfois leur absence, peuvent en révéler beaucoup sur les tensions sous-jacentes. On l’a vu en récemment en Hongrie avec Viktor Orban, dont la réélection n’a pas été saluée par ses confrères et consœurs de l’UE. Mais que des chefs de gouvernement prennent parti pour un candidat avant une élection, ça c’est inédit.

Antonio Costa, Pedro Sanchez et Olaf Scholz, chefs de gouvernement, respectivement, au Portugal, en Espagne et en Allemagne, se sont fendus d’une tribune dans le quotidien français Le Monde, dans laquelle il se prononcent tous les trois en faveur d’Emmanuel Macron dans l’élection présidentielle française en cours. « Nous avons besoin d’une France qui défende nos valeurs européennes communes » plaident-ils, alors que le spectre d’une victoire de Marine Le Pen n’est pas dissipé, malgré des sondages plutôt en faveur du président sortant – mais de très peu.

Les dangers du « modèle idéologique et politique de Poutine »

« Les populistes et l’extrême droite dans tous nos pays ont fait de Vladimir Poutine un modèle idéologique et politique, se faisant l’écho de ses revendications nationalistes. Ils ont copié ses attaques contre les minorités et la diversité. Ils partagent son rêve d’une nation uniforme. Nous ne devons pas l’oublier, même si ces politiciens tentent aujourd’hui de prendre leurs distances avec l’agresseur russe » plaident les trois élus européens pour justifier leur prise de position.

Celle-ci a pour but de peser dans la balance alors qu’une proportion non négligeable de la population française est soit indécise, soit réticente à l’idée même de voter. C’est particulièrement vrai pour l’électorat de gauche, majoritairement rassemblé au premier tour derrière Jean-Luc Mélenchon, qui a manqué de très peu le passage au second tour, et malgré le rejet de l’extrême-droite proclamé par leur candidat.

Des enjeux très importants à l’échelle du continent

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que ce soit trois élus orientés au centre-gauche de leur échiquier politique respectif qui se sont prononcés en faveur d’Emmanuel Macron. Mais cette prise de position dans une élection en cours suscite interrogations et crispations. « Macron n’a peut-être pas personnellement incité ses collègues chefs de gouvernement à rédiger leur missive commune, mais il est inconcevable qu’il n’ait pas eu connaissance du texte et ne l’ait pas approuvé » fait remarquer Benjamin Fox dans une tribune publiée sur Euractiv. « Une telle intervention dans une élection nationale est rare. Les dirigeants européens ont tendance à ne pas s’impliquer dans les campagnes électorales de leurs pairs. Le fait que les trois dirigeants aient ressenti le besoin de rompre les rangs et d’exhorter publiquement les Français à soutenir Macron indique que la course est serrée et que les enjeux sont importants. »

Pour autant, tous les observateurs n sont pas persuadés qu’il s’agit là d’une bonne stratégie. D’abord car elle crée un précédent : à l’avenir, on peut s’attendre à ce que d’autres chefs d’état ou de gouvernement prenne position dans un scrutin à l’étranger. Or, comme le fait remarquer Antoine Bondaz, si Trump avait soutenu publique Marine Le Pen en 2017, on aurait parlé de scandale international.

Un cadeau pour Le Pen ?

En outre, cette prise de position peut être comprise comme ayant des allures d’ingérence, ce qui pourrait s’avérer contre-productif pour le président sortant. « Macron peut y voir la preuve que les dirigeants européens le tiennent en haute estime et sont conscients de l’importance de la place de la France dans l’UE », convient Fox. « Mais cela s’inscrit également dans le cadre du discours de Mme Le Pen. Son équipe n’aura aucun mal à faire passer cela pour une ingérence étrangère condescendante, indésirable et malvenue, un exemple de la politique élitiste à laquelle elle s’oppose. »

Difficile de trouver un précédent, mais le rédacteur d’Euractiv se rappelle de l’exemple d’Obama qui, en 2016, avait ouvertement pris position contre le Brexit. Avec le résultat que l’on sait.

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