Les Russes font grand cas de leurs engins les plus modernes, mais en sont réduits à faire redémarrer en masse des chars des années 60

Alors que les combats s’intensifient dans le Donbas, les renseignements ukrainiens révèlent que la Russie fait sortir des centaines de chars T-62 de ses entrepôts, ce que des images confirment. Ces engins des années 1960 n’ont aucune chance dans une attaque moderne, mais pourraient bien servir à compenser les pertes. Voire à renforcer les défenses contre une éventuelle contre-attaque ukrainienne. Mauvais présage en tout cas pour l’arme blindée russe.

Rumeurs savamment entretenues sur le développement de nouvelles armes utilisant la technologie laser, puis annonce du déploiement de blindés d’accompagnement d’infanterie BMP-T « Terminator » sur le front ukrainien ; le Kremlin aime mettre en avant ses armes miracles ultramodernes. Si ces annonces peuvent avoir un rôle psychologique indéniable, autant chez les soldats ennemis que pour rassurer sa population, l’arrivée sur le terrain de ce genre d’armes ne peut masquer un constat de plus en plus certain : la Russie manque de chars et de véhicules blindés à envoyer au front.

Des pertes difficiles à évaluer…

La dernière estimation des pertes russes par le Kiyv Independant mentionne pas moins de 1.305 chars de combat et 3.213 véhicules blindés de transport de troupes, sans compter les pertes humaines. Il s’agit bien sûr là d’une source ukrainienne potentiellement biaisée, mais l’observateur indépendant Oryx évoque 713 chars, détruits, abandonnés ou capturés, ainsi que 400 véhicules de combat blindés, 791 véhicules de combat d’infanterie, et 111 transporteurs blindés. Or, il s’agit là de chiffres probablement fort sous-estimés, car Oryx ne confirme une perte que quand elle est attestée par des images assez nettes pour affirmer qu’elle n’a pas été comptabilisée deux fois. Ce qui nécessite donc au préalable qu’elle soit documentée en image.

… Mais des signes qui ne trompent pas

Ce sont des chiffres énormes, même pour une armée aussi pléthorique que celle de la Russie, car malgré des effectifs énormes sur papier, une bonne partie de son matériel date et n’est conservé que comme réserve, parfois en attente de modernisation. Dans ce contexte, l’arrivée au combat d’engins très modernes, mais peu rodés comme le « Terminator » n’est pas forcément bon signe, d’autant que ce blindé d’accompagnement a justement pour but de protéger les formations de chars, en particulier contre les raids aériens et les embuscades urbaines ; preuve pour un observateur averti que le char russe est rarement en sécurité.

Et un autre signe trompe encore moins : à côté de ces machines modernes mais peu nombreuses, l’armée russe a pris la décision de sortir de ses stocks de longue durée des chars T-62 afin d’en équiper de nouveaux groupements de combat. L’information a été révélée le 23 mai dernier par le quartier général des forces ukrainiennes, forcément très à l’écoute des indiscrétions russes. On parle de 2.500 chars sortis de leur hibernation.

Vieille machine pour guerre moderne

Car le T-62 est une vieille machine : produit à 20.000 exemplaires environ en URSS (ainsi que quelques milliers dans des pays-satellites ou des alliés) entre 1961 et 1975, ce tank était plutôt révolutionnaire pour l’époque. C’est le premier à être équipé d’un canon à âme lisse de 115 mm capable de tirer des flèches antiblindages, et celui-ci, d’ailleurs très précis jusqu’à 4.000 voire 4.800 mètres selon le type de munition, était équipé d’un système extrayant automatiquement les douilles par une petite trappe à l’arrière de la tourelle. Bon marché, cet engin qui a succédé aux T-54 et T-55 (auxquels il ressemble beaucoup) a pu être produit en masse et exporté un peu partout, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient. Pas toujours avec succès toutefois, car pas toujours confié à des équipages suffisamment formés.

Mais depuis 1961, la guerre et le combat blindé ont évolué, et le T-62 (qui sert toujours dans certaines armées) n’est certainement pas de taille à se retrouver sur un champ de bataille moderne. En particulier en Ukraine, face à un ennemi qui use à tout va de missiles antichars modernes face auxquels même les récents T-90 ne résistent pas toujours.

Et ça sera pire encore en cas de duel de chars. Armure plus fine et de conception plus ancienne, pas de chargement automatique, et canon de 115 mm alors qu’en face les chars qu’ont reçu les Ukrainiens alignent en général un 125 mm ; si des équipages russes se retrouvent envoyés en première ligne dans ce genre d’engin, ils risquent de ne pas faire long feu.

Un T-62 syrien détruit durant la guerre du Kippour face à Israël, en 1973. (Photo by Hulton Archive/Getty Images)

Problèmes logistiques et vieilles pièces détachées

Le recours à ce genre de vieux véhicules causerait aussi de nouveaux problèmes logistiques à une armée qui, déjà, n’en manque pas ; le T-62 descend de chars encore plus anciens, là où les T-72, T-80 et T-90 de l’armée russe constituent une même lignée dont de nombreuses pièces sont interchangeables. Entretenir un nouveau modèle (ancien) de char au combat impliquerait donc de s’assurer de stocks distincts de pièces de rechange, ce qui ne peut que causer erreurs et retards dans un approvisionnement déjà tendu.

Des chars pour muscler les réserves ?

Il est d’ailleurs peu probable que les 2.500 T-62 que la Russie semble avoir sortis de ses entrepôts verront tous le combat ; certains auront pour triste sort de servir de réserve de pièces détachées aux autres, selon leur état de conservation après stockage. En outre, l’état-major ukrainien estime que les unités ainsi équipées ne seront pas destinées à l’offensive, mais occuperont des rôles de réserve. Certains analystes estiment qu’elles pourraient servir à renforcer les checkpoints et à réprimer la résistance dans les zones occupées, certaines abritant encore une très active guérilla ukrainienne.

Une autre théorie est que la Russie craint une percée ennemie après une contre-offensive, et que ces vieux chars pourraient constituer une force de réserve encore efficace pour muscler une défense, tout en libérant ainsi des unités équipées d’engins plus modernes. Car malgré son obsolescence, le T-62 peut encore livrer quelques combats. Les Ukrainiens eux-mêmes en ont utilisé quelques-uns dans des situations d’urgence, au début de l’invasion et dans Marioupol assiégée. En déboulonnant des chars transformés en monuments pour en faire des bunkers improvisés.

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