Ce mardi matin, le président russe s’est fendu du traditionnel discours annuel sur l’état de la Fédération. Un monologue long d’une heure et 45 minutes, presque un an jour pour jour après le déclenchement de son « opération spéciale » en Ukraine… Qui a depuis viré à la guerre de position.
1. La Russie se retire du traité de non-prolifération nucléaire
C’est l’élément le plus marquant de tout le discours : après avoir accusé les États-Unis et l’OTAN de ne pas coopérer, Poutine a lâché qu’il se sentait « obligé d’annoncer aujourd’hui que la Russie suspend sa participation au traité sur les armes stratégiques offensives. » Il a ajouté que la Russie reprendrait les tests nucléaires si les USA faisaient de même. Ce qui n’est absolument pas prévu.
Le traité New Start de réduction des armes stratégiques (Strategic Arms Reduction Treaty) était déjà sur une mauvaise pente : prolongé plusieurs fois jusqu’en 2026, son existence semblait complexe dans un monde où les tensions entre blocs se faisaient plus vives. Mais il n’avait jamais été question de s’en retirer. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’est déjà dit désolé d’apprendre la décision russe.
2. Aucune pitié pour les oligarques et ceux qui ont été ciblés par les sanctions occidentales
« Aucun citoyen ordinaire n’a eu pitié de ceux qui ont perdu leurs avoirs à l’étranger, où ils avaient investi dans des yachts et des palaces. Certaines personnes veulent finir leurs jours dans un manoir à l’étranger avec leurs comptes bloqués », estime Poutine. « Mais pour l’Occident, ces personnes sont des étrangers. Acheter des titres de comtes ne sert à rien. Ce sont des citoyens de seconde zone. Vous avez un autre choix : être avec votre pays. »
Le président russe cible les riches, mais le message est sans doute destiné à tous les Russes qui ont fui le pays durant l’année écoulée : il n’y a d’avenir pour vous que dans la mère-patrie, et tout lien avec l’Occident est une forme de traitrise. Vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous.
3. Il y aura bien des élections présidentielles en 2024
Poutine n’a toutefois pas précisé s’il se représenterait ou non. Une ambiguïté qu’il maintient depuis des années, alors qu’il a tout fait pour que, constitutionnellement, toutes les limitations au nombre de mandats du président aient sauté. « Conformément à la Constitution, j’ai le droit de me présenter pour un nouveau mandat », expliquait-il encore en 2021, peu avant l’invasion. Je n’ai pas encore décidé si je le ferai ou non. Mais le simple fait que j’ai ce droit stabilise la situation politique intérieure. »
Un message limpide : Poutine n’est pas un candidat parmi d’autres, il est au-dessus de la mêlée, et son maintien en poste est, selon lui, tout ce qui soutient le pays. Au peuple de le confirmer dans son pouvoir. C’est d’ailleurs ce qu’il a dit ce matin : « Dans la cause de la défense de la Russie, nous devons tous unifier et coordonner nos efforts, nos droits et nos responsabilités pour soutenir le seul droit historique et supérieur de la Russie – le droit d’être fort. » C’est là une citation de Piotr Stolypine (1862-1911), Preminer ministre sous le tsar Nicolas II, et fervent défenseur de la stabilité du pays contre tout mouvement révolutionnaire. Tout un programme.
4. L’économie russe se porte très bien, celle de l’occident s’effondre toute seule
Pas de discours d’un dirigeant russe – ou soviétique – sans un passage sur la santé exemplaire du pays et de son économie. Avec une conception d’ailleurs très soviétique de ce qui est un signe de bonne santé économique : le président s’est attardé sur une « exceptionnelle récolte de céréales. »
La seule différence est qu’il s’attarde sur à quel point les économies occidentales vont mal, et ce uniquement parce qu’elles ont fait le choix de sanctionner la Russie. « Le véritable objectif est de faire souffrir notre peuple et de déstabiliser le pays de l’intérieur, mais leurs calculs n’ont pas porté leurs fruits », assène Poutine.
5. La Russie s’engage à tout reconstruire dans les régions annexées
Aussi surréaliste que cette phrase puisse paraitre, elle confirme l’abandon de la rhétorique d’action limitée ou de frappe préventive : il s’agit bel et bien d’une guerre de conquête, fut-elle camouflée sous des référendums bidon. Une déclaration qui parait d’autant plus à côté de la plaque que certains des territoires nommément annexés – comme la ville de Kherson – ont été repris par les Ukrainiens. Mais on peut aussi remarquer que, outre une minute de silence pour les soldats russes victimes des « escadrons de la mort néonazis », le locataire du Kremlin n’a pas évoqué la situation militaire sur le terrain.