Le Covid-19 a démontré que nos sociétés ultra-hygiéniques n’étaient pas à l’abri de nouvelles épidémies dévastatrices. Un épisode que d’aucuns ont comparé aux fléaux les plus redoutables, que l’on assimile au Moyen Âge ou aux pays les plus pauvres dans notre imaginaire collectif. Grossière erreur : ces maladies existent toujours et peuvent faire leur nid dans des pays qu’on imaginerait dotés d’un système de santé trop efficace pour cela.
150 cas par an aux USA
À l’échelle de la population mondiale, il s’avère presque impossible de se débarrasser définitivement d’une maladie. On y est bien parvenu avec la variole, la fameuse « petite vérole » qui tuait jusqu’à très récemment une personne atteinte sur trois ou sur cinq, selon la qualité de la prise en charge. Elle est maintenant considérée comme éradiquée, sans aucun cas signalé depuis 1977, grâce à la vaccination de masse. Une méthode efficace, mais qui encourrait trop de résistances de nos jours. Pourtant, d’autres fléaux qu’on a trop vite oubliés ne demandent qu’à ressurgir.
C’est le cas de la lèpre, qu’on assimile un peu trop vite aux dispensaires des missionnaires dans des coins reculés des tropiques. Cette maladie infectieuse chronique est en train de ressurgir dans le sud des États-Unis : environ 150 cas de lèpre sont signalés dans le pays chaque année, ce nombre augmente depuis le début des années 2000, et un cas sur cinq est détecté dans l’État de Floride.
Sauf que contrairement à ce qu’on pourrait croire, il s’agit de moins en moins d’Américains revenus d’un des 120 pays où cette maladie est encore endémique, comme l’Inde ou le Brésil. Ils l’ont en réalité attrapée localement, à tel point que la région pourrait bien devenir un foyer endémique de la lèpre.
Présente chez des animaux insoupçonnés
Il faut dire que la maladie n’est pas aussi bien connue qu’on l’imaginerait : alors qu’on considérait depuis 150 ans qu’elle était uniquement causée par la bactérie Mycobacterium leprae, on en a découvert une seconde en 2008 dans le sang de lépreux au Mexique. Mycobacterium lepromatosis est génétiquement différente de la source « classique » de la lèpre, mais elle provoque les mêmes symptômes et réagit au même traitement (majoritairement des antibiotiques) : c’est la même maladie, mais avec une origine bactérienne différente qu’on ne soupçonnait pas jusqu’alors.
De quoi compliquer encore le travail des chercheurs, alors que jusqu’à très récemment, on pensait que cette maladie était exclusivement humaine. Or ça n’est pas le cas, mais nous n’avons aucune certitude sur les espèces animales porteuses de la lèpre et susceptibles de transmettre la maladie à l’être humain. Le tatou (fort victime des trafiquants et du commerce illégal d’espèce) est le premier suspect, mais c’est le cas aussi de l’écureuil roux en Angleterre et au Danemark, ce qui n’a été découvert qu’en 2014, ainsi que, peut-être, des primates non humains. « La transmission de cette maladie est probablement beaucoup plus compliquée que ce qui était pensé auparavant », écrivent les auteurs d’une récente revue systématique, qui ont analysé les données mondiales de transmission de la lèpre publiées entre 1945 et 2019, cités par Science Alert.
Une maladie qui mutile
De là à penser qu’il existe des souches endémiques encore inconnues, comme en Floride, il n’y a qu’un pas que seule une multiplication des cas pourrait nous permettre de franchir. Or, la maladie a un temps d’incubation notoirement long : plusieurs années, bien souvent. Elle est en outre plutôt peu contagieuse, même si le mécanisme de transmission d’un humain à l’autre n’est pas toujours bien clair – elle peut se transmettre par voies aériennes, mais il faut généralement un contact prolongé avec une personne malade non traitée. Ces facteurs font de chaque nouveau cas, hors des foyers tropicaux bien connus, un mystère à expliquer et un défi à diagnostiquer.
Avec des conséquences potentiellement très graves : la lèpre est une maladie mutilante touche les nerfs périphériques, la peau et les muqueuses, en provoquant des infirmités sévères. Jusqu’en 1909 en France – et bien plus tard dans d’autres pays d’Europe -, les lépreux étaient systématiquement rassemblés à l’écart du reste de la population.