L’embargo sur les composants électroniques contraint les Russes à bricoler leurs chars avec des pièces d’électroménager

Le complexe militaro-industriel russe semble sous forte pression : il doit tourner en plein régime pour nourrir l’effort d’une guerre non déclarée et très gourmande en matériel comme en munitions, alors que les accidents suspects se multiplient et, surtout, que les effets des sanctions internationales se font de plus en plus pressants. Le secteur de l’armement en particulier se retrouve privé de composants électroniques sophistiqués, essentiels pour de nombreux véhicules et systèmes d’armes, mais dont l’Union européenne – l’Allemagne particulièrement – constituait la principale source d’approvisionnement.

La situation ne semble guère s’arranger sur ce point, car mercredi dernier, la secrétaire américaine au Commerce Gina Raimondo a révélé que les ingénieurs russes semblaient réduits à recycler des composants civils issus d’engins électroménagers. « Les Ukrainiens nous ont rapporté que lorsqu’ils trouvent des équipements militaires russes sur le terrain, ils sont remplis de semi-conducteurs qu’ils ont retirés des lave-vaisselles et des réfrigérateurs », a-t-elle révélé lors d’une audition au Sénat américain, alors qu’elle livrait le compte-rendu d’un entretien avec le Premier ministre ukrainien Denys Chmyhal.

Des bêtes de guerre bourrées de puces civiles

Cette déclaration doit toutefois être prise avec la prudence nécessaire, car les Ukrainiens aiment dénigrer leurs adversaires russes et le font très bien depuis le début de la guerre. Rien ne nous prouve qu’il ne s’agit pas d’une anecdote montée en épingle. Mais la source de la secrétaire américaine au Commerce reste on ne peut plus officielle, signale The Washington Post : cette histoire de semi-conducteurs vient de responsables ukrainiens qui ont raconté que lorsqu’ils ont ouvert des chars russes capturés, ils ont trouvé des pièces de réfrigérateurs et de machines commerciales et industrielles qui semblent avoir été utilisées pour compenser les pièces électroniques non disponibles, a précisé la porte-parole du ministère du Commerce, Robyn Patterson.

Les exportations de technologies américaines vers la Russie ont chuté de près de 70 % depuis le début des sanctions, fin février, selon Mme Raimondo, dont le département supervise les contrôles à l’exportation qui constituent une grande partie du train de sanctions. Trois douzaines d’autres pays ont adopté des interdictions d’exportation similaires, qui s’appliquent également à la Biélorussie.

85% d’exportations électroniques en moins

Le nombre d’expéditions américaines vers la Russie comprenant des articles soumis aux nouvelles règles – semi-conducteurs, équipements de télécommunications, lasers, avionique et technologie maritime – a diminué de 85 % et leur valeur de 97 %, par rapport à la même période en 2021, a indiqué la porte-parole du ministère du Commerce.

Les États-Unis et d’autres pays occidentaux avaient déjà réglementé les ventes à la Russie de puces et d’autres composants électroniques spécifiquement conçus pour un usage militaire. Ces ventes nécessitaient une licence gouvernementale pour être réalisées, même avant l’invasion de l’Ukraine. Les nouvelles règles ont renforcé ces restrictions et ont également bloqué la vente de la plupart des puces à double usage, qui ont des applications à la fois militaires et commerciales, à des utilisateurs non militaires en Russie, y compris ceux des industries de haute technologie.

Pénurie et dépendance

Des sanctions d’autant plus efficaces que le monde traverse une pénurie générale de microprocesseurs depuis des mois, et que celle-ci ne semble pas se résorber. Cela rend d’autant plus difficile pour la Russie de se tourner vers des sources alternatives, comme la Chine, elle-même fort demandeuse de ce genre de composants, et fort dépendante de l’étranger pour s’approvisionner.

L’effet de ces sanctions démontre aussi que la politique économique de Vladimir Poutine, qui tendait vers l’autarcie afin de prémunir son pays des effets des sanctions internationales, n’est pas dénuée de points faibles. Si la Russie a hérité d’un immense complexe militaro-industriel d’origine soviétique, celui-ci demeurait en retard pour tout ce qui touchait à l’électronique de pointe, créant ainsi un effet de dépendance envers l’occident. Une dépendance sur laquelle l’Europe et les États-Unis peuvent maintenant capitaliser pour faire mal au régime et à son armée.

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