Le programme de sortie du nucléaire à nouveau sous le feu des critiques: le CRM sera-t-il un jour oppérationel?

Les premières centrales nucléaires doivent fermer en 2022 et la Belgique cherche toujours une solution pour les remplacer. Le principal plan est basé sur le mécanisme de rémunération des capacités (CRM). Mais ce dernier est sous le joug incessant des critiques. La dernière attaque vient du Conseil d’État. Elia, le réseau de transport de l’électricité, aurait trop de compétences dans le CRM.

Cet avis du Conseil d’État a été mis en avant par le journal La Libre. Et il laisse entendre que le CRM n’est pas encore près d’être totalement opérationnel. Pour rappel, le mécanisme de rémunération des capacités doit permettre de financer des installations de production d’électricité qui viendront remplir le vide créé par la fermeture des centrales nucléaires. Dans les faits, cela va surtout financer des centrales au gaz, qui sont plus polluantes mais qui peuvent être éteintes et rallumées plus facilement seulement au moment où elles sont nécessaires. Des projets basés sur des sources renouvelables pourront aussi demander à être financés.

Le problème que relève le Conseil d’État est la part de compétences adressée à Elia, le gestionnaire du réseau. Selon La Libre, Elia a le droit de:

  • Écrire les règles du fonctionnement du CRM
  • Décider des projets qui pourraient être financés
  • Décider du volume de financement adressé
  • Réclamer le paiement d’une garantie financière pour les projets en retard

Il y aurait donc un réel conflit d’intérêts: ‘Elia serait juge et parti’, comme l’assure une source anonyme proche du dossier au journal belge. Le gouvernement fédéral doit donc changer l’attribution des compétences dans ce mécanisme. Pour le Conseil d’Etat, les règles doivent être décidées par une instance politique et intégrée dans un arrêté royal. Et il faut également révoir la gestion de l’attribution des financements. La ministre fédérale de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen) assure toutefois que cela ne créera pas de retard sur le lancement du CRM.

Dans les temps, vraiment ?

Pour qu’il puisse réellement devenir une solution à la sortie du nucléaire, le CRM devrait être activé en mars prochain. Tinne Van der Straeten se donne toutefois jusqu’au 30 avril pour que tout soit prêt. Selon le SPF économie, la première enchère est déjà fixée à octobre 2021 pour des projets opérationnels en 2025. Il ne reste donc plus beaucoup de temps tout finaliser. Et il devient très difficile de reporter encore le projet en restant en accord avec l’agenda de sortie du nucléaire. En effet, Doel 3 et Tihange 2 devraient déjà fermer l’année prochaine. Problème: le mécanisme est toujours en consultation auprès de l’Union européenne.

La direction générale à la Concurrence de la Commission européenne a en effet ouvert une enquête en septembre dernier sur le mécanisme de rémunération des capacités. Ce programme ressemble en effet fortement à des aides d’État. Son coût a d’ailleurs été estimé par le consultant PwC début 2021 à 238 millions d’euros par an. L’Union européenne veut vérifier qu’elles sont vraiment nécessaires pour ce secteur. Si ce n’est pas le cas, ce sera considéré comme des aides illégales, et l’État pourrait devoir tout recommencer. Le paiement d’aides illégales pourrait aussi être puni. La Belgique n’aurait pas trop intérêt à aller plus vite que la décision européenne.

Mais 5 mois après l’envoi des documents nécessaires à la Commission européenne, aucune décision n’a encore été rendue. Le processus total peut durer jusqu’à 18 mois. Si l’UE n’a pas rendu son avis, la Belgique pourrait repousser les premières enchères, pour ne pas être dans l’illégalité.

Des pressions de tous les côtés

Mais la Belgique ne doit pas seulement gérer l’Europe et le Conseil d’État. La sortie du nucléaire est une question très clivante et l’État doit décider si oui ou non les centrales nucléaires vont être prolongées.

Selon l’accord de la Vivaldi, la sortie du nucléaire est actée, les centrales doivent fermer aux dates prévues. Sauf si l’approvisionnement en électricité ne peut plus être garanti. Cette réserve est utilisée par le fédéral depuis 2003. Et c’est ce qui a déjà poussé deux gouvernements à prolonger Doel 1 et 2 et Tihange 1 qui auraient dû fermer il y a 6 ans.

Le gouvernement actuel a donc décidé de donner le temps au CRM d’être prêt. Ce n’est qu’en novembre prochain que le fédéral analysera les possibilités énergétiques futures et décidera du prolongement ou non certaines centrales au-delà de 2025.

Pour Engie, c’est beaucoup trop tard. L’entreprise doit en effet organiser ses travaux de maintenance en fonction de leur prolongation ou non. Le président de l’entreprise estime que prolonger deux réacteurs coûterait entre ‘500 (millions) et 1 milliard d’euros’. ‘Ce sont des décisions qui doivent être prises très tôt: il faut commander du combustible, il y a certains équipements qui sont très complexes à fabriquer, il y a des procédures réglementaires elles aussi très complexes’, expliquait-il en novembre dernier.

La Belgique doit en outre faire face à des problèmes de neutralité carbone. Si les centrales au gaz sont ouvertes, comme le prévoit le CRM, notre pays aurait l’un des réseaux électriques les plus polluants d’Europe. La production d’énergie grâce au gaz produit en effet beaucoup de CO2, en comparaison aux centrales nucléaires qui sont pratiquement neutres dans ce domaine.

Au parlement européen, certains groupes politiques plaident d’ailleurs pour un retour du nucléaire. Cette solution est, selon eux, la seule possibilité qui offrirait une sureté dans l’approvisionnement de l’énergie.

Le débat pour ou contre la fermeture des centrales est donc loin d’être fini en Belgique. Et tant que le CRM ne sera pas officiellement prêt et accepté par toutes les instances belges, cette porte restera ouverte.

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