Pour la première fois depuis 20 ans, un navire de guerre allemand a accosté vendredi dernier à Tokyo. Une présence militaire qui doit défendre les intérêts économiques de l’Allemagne et de l’Union européenne dans le Pacifique. Et qui fâche Pékin, qui voit un pavillon de plus voguer à proximité de ses côtes.
Alors que les tensions internationales restent élevées dans la région Indo-Pacifique en général, et autour du détroit de Taïwan en particulier, c’est l’Allemagne qui va augmenter sa présence militaire dans ces eaux tumultueuses, en collaboration avec le Japon. Et il ne s’agit pas que de postures diplomatiques : le pays européen compte maintenir une présence militaire dans la région avec un navire de guerre. La frégate Bayern F-217, de classe Brandenburg, a appareillé de la base navale de Wilhelmshaven, le 2 août, pour un déploiement de sept mois en Indo-Pacifique, où elle va prendre part à des exercices avec différents pays de la région.
Les valeurs communes des deux pays
On ne manquera pas de songer, mi-figue mi-raisin, aux événements historiques qui ressurgissent quand on évoque une coopération militaire entre l’Allemagne et le Japon. Mais par ce déploiement, la République fédérale entend défendre les valeurs communes qu’elle partage actuellement avec le pays du soleil levant, à savoir la démocratie et « un droit international fondé sur des règles » selon les mots de la diplomatie allemande. Mais cette mission militaire a aussi un volet économique, car 20% du commerce extérieur allemand transite par la zone Indo-Pacifique. Le pays espère ainsi lier des relations commerciales avec les démocraties de la région – Inde, Japon, et Corée du Sud principalement – afin de contrecarrer sa dépendance aux flux économiques dirigés depuis la Chine.
Berlin montre aussi là sa volonté de s’impliquer dans l’ordre international de la région au nom de l’Union européenne, un cheval de bataille jusqu’ici défendu en premier lieu par Paris, qui possède encore des territoires dans la région, et des intérêts économiques certains. En outre, les accords AUKUS de coopération militaire entre les USA, l’Australie et la Grande-Bretagne ont à la fois fâché la France, mise à l’écart par surprise, et ouvert les yeux de l’Europe sur le fait que les États-Unis ne considéraient pas forcément le vieux continent comme un partenaire indispensable pour toute action envers la Chine.
L’aigle noir face aux étoiles rouges
Car c’est contre Pékin que se dresse maintenant aussi l’étendard allemand, et la République populaire de Chine n’a pas manqué de marquer son courroux envers cette mission en refusant à la frégate Bayern l’escale dans le port de Shanghai. Ce qui ne fait que confirmer les craintes de Tokyo, résumait le ministre de la Défense japonais Nobuo Kishi, venu accueillir la frégate: « C’est un tournant important pour la sécurisation de l’une des voies maritimes les plus importantes au monde, qui montre le ferme engagement de l’Allemagne à contribuer activement à la paix et à la stabilité dans l’Indo-Pacifique. En mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale, nous voyons des tentatives unilatérales de changer le statu quo par la force. Ces problèmes sont une préoccupation commune non seulement en Asie mais aussi dans le reste du monde, y compris en Europe. »
Une montée en puissance chinoise qui fait peur, et incite même le Japon, pays qui a pourtant théoriquement renoncé aux armes offensives, à jouer sur les mots de sa propre Constitution pour armer son premier porte-avions depuis 1945.
Hommage ambigu aux morts de 1942
L’équipage du Bayern a accosté à Tokyo vendredi dernier, une première depuis 20 ans pour des marins militaires allemands. Ceux-ci revenaient d’une première mission, en collaboration avec les marines françaises et japonaises, pour patrouiller dans le cadre de la surveillance des transferts illicites de marchandises en haute-mer au profit de la Corée du Nord.
Mais en dépit des mauvaises blagues, il faut bien admettre que la Seconde Guerre mondiale attend au tournant tout geste militaire venu d’Allemagne, en particulier quand l’autre ancienne puissance de l’Axe, l’Empire du Japon, lui répond. Une délégation de militaires germaniques s’est rendue devant un monument de Yokohama commémorant la mort accidentelle de marins allemands en 1942. Deux navires, le croiseur auxiliaire Thor qui traquait le commerce allié dans le Pacifique, et son pétrolier-ravitailleur l’Altmark, ont été détruits par une explosion accidentelle en rade de Yokohama, le 30 novembre 1942, qui fit 53 morts. Or ces militaires allemands-là combattaient sous le drapeau à croix gammée. Un hommage qui risque donc de ne pas faire l’unanimité en Allemagne.