« L’agence de voyages Vivaldi » fait l’objet de vives critiques: plus de la moitié du gouvernement fédéral est à l’étranger; une situation « pas idéale », admet-on

Plus qu’un simple concours de circonstances : huit des quinze ministres et secrétaires d’État n’étaient pas disponibles dans l’hémicycle pendant la traditionnelle séance de questions parlementaires. Ils étaient à l’étranger, et cela a renforcé l’image d’un gouvernement fédéral qui aime voyager, avec le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) en tête. Mais il a riposté depuis le Congo : son homologue flamand, le ministre-président Jan Jambon (N-VA), « a été à l’étranger deux fois plus souvent que moi ». Cela a suscité l’étonnement place des Martyrs, au siège du chef de gouvernement flamand : « Quels sont les chiffres du Premier ministre ? », se demande-t-on. En tout cas, cette situation dresse le portrait de deux chefs de gouvernement qui sont sous le feu des critiques pour leur absentéisme, alors que leur gouvernement est sous tension.

Dans l’actualité : les chamailleries pour savoir qui est le plus « à l’étranger », Jambon ou De Croo ?

Les détails : dans une ère post-covid, les critiques contre les ministres désireux de voyager à nouveau sont de plus en plus fréquentes.

  • La liste des ministres de la Vivaldi à l’étranger n’est pas mince :
    • Au Congo : le Premier ministre De Croo avec la ministre de la Coopération au développement Meryame Kitir (Vooruit) et le secrétaire d’État à la Politique scientifique Thomas Dermine (PS)
    • En France : le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V)
    • En Suisse : le ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS)
    • Aux États-Unis : le secrétaire d’État au commerce extérieur David Clarinval (MR)
    • Au Luxembourg : le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld)
    • En Jordanie : la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Verts).
  • En conséquence, Georges Gilkinet, le vice-premier ministre d’Ecolo, a été bombardé de questions, remplaçant de facto le Premier ministre.
  • « Vous êtes la victime de service aujourd’hui, même si vous vous prenez presque pour le Premier ministre, vous le méritez absolument, un moment fort dans l’histoire d’Ecolo-Groen », a commenté cyniquement Peter De Roover, chef de groupe N-VA à la Chambre.
  • « Je suis fier d’appartenir à un gouvernement qui peut aussi montrer nos couleurs à l’étranger », a tenté de rétorquer Gilkinet. « Il doit y avoir un équilibre, mais à l’époque de la crise Covid, il n’était pas toujours possible d’aller à l’étranger », a-t-il voulu justifier. Mais dans les couloirs, on admet volontiers que cette situation n’est « pas idéale » pour la Vivaldi.

L’essentiel : les ambitions internationales du Premier ministre sont un point faible.

  • Depuis quelque temps, l’irritation s’accentue contre un Premier ministre qui a un penchant pour l’étranger. Un peu trop souvent, des articles sont publiés dans la presse (surtout du nord du pays) pour souligner le contraste entre un Premier ministre qui se sent comme un poisson dans l’eau sur la scène internationale, alors que sur le plan intérieur, il se bat pour faire fonctionner son gouvernement, sa « Fiat » comme l’a dit un jour Paul Magnette (PS). « Mes parents ont toujours conduit une Fiat et ce gouvernement me la rappelle. Les premiers mille kilomètres, vous tombez parfois en panne, mais après cela, elle roule sans aucun problème », comparait-il après 15 mois de gouvernement dans Het Laatste Nieuws, pour tenter de rassurer sur l’ordre de marche de la Vivaldi. 6 mois plus tard, beaucoup de promesses du gouvernement fédéral n’ont toujours pas été tenues. Et l’ambiance se détériore forcément.
  • Même les partenaires de la coalition ont remarqué les absences à répétition du Premier ministre : « De Croo semble ne se soucier que d’une seule chose: son image à l’étranger », a récemment fait remarquer un président de parti de la Vivaldi.
  • Le commentaire qui est régulièrement fait est que De Croo devrait commencer à réfléchir à son futur emploi après cette coalition. Tout le monde, rue de la Loi, sait que les chances que le libéral flamand redevienne Premier ministre après 2024 sont minces : mathématiquement, ce serait surprenant.
  • En même temps, Alexander De Croo s’est constitué un magnifique CV international et il est particulièrement doué pour nouer des contacts : un pas vers une carrière internationale n’est donc pas si étrange. C’est presque une tradition pour un Premier ministre belge : Guy Verhofstadt (Open Vld) a essayé, Herman Van Rompuy (cd&v) et Charles Michel (MR) ont réussi au sein de l’UE, et Yves Leterme (cd&v) est allé à l’OCDE.
  • Après une visite à Berlin en mai, au cours de laquelle il avait également repris temporairement le rôle de ministre des Affaires étrangères de Sophie Wilmès (MR), le Premier ministre en a eu assez des critiques : « Je voudrais dire quelque chose à ce sujet. Tout d’abord, ma tête est toujours dans mon pays. Ce n’est pas parce que je ne suis pas en Belgique que je ne défends pas les intérêts de notre pays. Nous sommes une économie ouverte. Je travaille toujours en pensant à la Belgique ».
  • Seulement, les murmures dans les couloirs n’ont pas disparu, au contraire. À chaque voyage, ils semblent refaire surface. Entre-temps, dans l’hémicycle, le principal parti d’opposition, la N-VA, a demandé les chiffres de ses voyages : combien de fois a-t-il été absent ? Aucune réponse n’a encore été reçue. Mais le Premier ministre a choisi la contre-attaque. En politique, il s’agit souvent de la meilleure défense.

L’esquive : De Croo entraine Jambon dans le bain.

  • « Jan Jambon, en tant que ministre-président flamand, a été à l’étranger deux fois plus que moi », a-t-il déclaré ce matin depuis le Congo dans une interview accordée à Het Laatste Nieuws. Dans De Tijd, on peut entendre quelque chose de similaire ce matin : Jambon serait à l’étranger « deux fois plus souvent ». Il n’est pas clair sur quelle période cela se rapporte, ni sur la base de quels chiffres cette déclaration est faite. Les questions à ce sujet sont elles aussi restées sans réponse.
  • Une manière habile de détourner le débat. Puisqu’il ne donne pas forcément tort à son « ami » Jan Jambon : « Et vous savez quoi ? Il a raison. Nous sommes un pays qui vit de l’étranger. Nous sommes une économie ouverte, le centre de l’Europe et l’un des centres de décision les plus importants au monde. On ne peut qu’attendre d’un dirigeant de notre pays qu’il défende nos intérêts à l’étranger, non ? Que voulons-nous d’autre ? »
  • Sur la place des Martyrs, où siège aussi tout le gouvernement flamand, on lève les yeux au ciel : « Y a-t-il vraiment quelqu’un au Seize qui s’est occupé de compter nos jours ? Et sur base de quoi ? Comme nous n’avons pas eu de questions parlementaires à ce sujet, nous ne savons pas exactement. Et à partir de quand calcule-t-on, pour dire que c’est le ‘double’ ? « , voilà ce qu’on entend dans les couloirs du gouvernement flamand.
  • Les voyages de Jambon sont également devenus un sujet au Parlement flamand. Entre autres, la cheffe de groupe Vooruit, Hannelore Goeman, farouchement opposée à Jambon, avait déjà dénoncé les nombreux voyages internationaux. Et lorsque le gouvernement n’était pas d’accord sur le dossier de l’azote, l’opposition a soudainement exigé que Jambon revienne de Davos sans délai, afin de faire la clarté. La majorité a rejeté cette proposition.
  • Le porte-parole de Jambon, qui se trouve lui-même encore aux États-Unis, rejette avec véhémence la critique : « Le ministre-président est également responsable du commerce extérieur et de l’investissement, et il est vrai qu’il a été souvent en mission ces dernières semaines. Et c’est tant mieux, car la crise sanitaire a rendu les missions commerciales impossibles pendant longtemps. Nous sommes maintenant en train de nous rattraper, et nous devons en tirer le meilleur parti dans un court laps de temps. »
  • Le cabinet de Jambon ne veut pas s’étendre sur les déclarations de De Croo : « Chaque niveau politique doit faire ce qu’il a à faire, mais pour nous, il serait inexcusable de ne pas faire les missions à l’étranger, maintenant que c’est à nouveau possible. Pas moins d’un emploi sur trois en Flandre dépend du commerce international. »
  • Mais de par ses déclarations, De Croo a attiré l’attention sur Jambon. Il ne sera pas facile pour la N-VA d’attaquer cette « agence de voyages Vivaldi » au niveau fédéral. Pour le Vlaams Belang, par contre, ce sera un cadeau supplémentaire, lorsque la comparaison entre les jours de voyage flamands et fédéraux sera faite.