L’accès à la mer Noire, l’enjeu de la guerre qui met la neutralité de la Turquie à rude épreuve

La Turquie de Recep Tayyip Erdoğan a un rôle important à jouer dans la guerre en cours entre l’Ukraine et la Russie, et c’est sur tous les tableaux : le pays, membre de l’OTAN parfois en froid avec l’Alliance, a fourni à l’Ukraine ses fameux drones Bayraktar qui se sont révélés très efficaces, mais il accueille aussi les négociations de paix entre les deux parties. Un autre éléments donne encore plus de poids à la Turquie dans cette situation, au risque de mettre à mal sa neutralité : son contrôle sur les détroits entre mer Noire et Méditerranée.

La Turquie a obtenu le contrôle de la circulation dans les détroits des Dardanelles et du Bosphore avec la Convention de Montreux de 1936, une grande victoire diplomatique pour un pays qui se remettait à peine de la dissolution de l’Empire ottoman après la Grande Guerre. Le contrôle sur le chenal reliant Méditerranée et mer Noire représente un avantage diplomatique certain, même si le passage n’est pas payant et reste libre pour les navires marchands. Mais la situation se complique quand la guerre menace, même si la Turquie n’est pas impliquée : la Convention stipule que le passage doit être fermé aux navires militaires des belligérants, avec toutefois une exception s’ils font route vers leurs bases situées en mer Noire.

La flotte russe de mer Noire bloquée au port

C’est problématique quand la Russie se trouve impliquée. La fermeture des détroits n’aurait initialement pas changé fondamentalement la balance des forces en mer Noire, l’Ukraine n’ayant pas de véritable flotte hauturière, et les navires russes voguant actuellement en Méditerranée devraient pouvoir légitimement rejoindre leur flotte et leur port d’attache. Mais ils ne pourraient plus repasser dans l’autre sens.

Le naufrage du navire de guerre russe Moskva le 14 avril dernier a mis en évidence un nouveau dilemme de la Russie : Moscou doit convaincre la Turquie d’ouvrir le Bosphore et les Dardanelles si elle veut remplacer le Moskva – qui était le navire amiral de la Russie en mer Noire – ou éloigner la flotte de la mer Noire de l’Ukraine, que ce soit pour la déployer ailleurs ou pour l’éloigner de possibles frappes.

Pavillon russe en Méditerranée

« Une fois que ces navires russes qui appartiennent à la flotte de la mer Noire seront en mer Noire, ils ne pourront pas retourner en Méditerranée » confirme après de CNBC Sinan Ulgen, ancien diplomate turc. « Sur le long terme, cela pourrait poser un problème pour les capacités de projection de forces de la Russie en Méditerranée orientale et notamment en Syrie. » Une situation que n’a pas à craindre l’Ukraine et qui, de facto, à tout à gagner à ce qui la Russie se retrouve coincée dans le déploiement de ses navires, dans un sens ou dans l’autre. Or une présence maritime russe en Méditerranée est une manière de surveiller l’OTAN et de maintenir une pression sur l’Alliance.

La guerre, une question pas si claire

Pour que cette mesure s’applique, il faut bien sûr que la Turquie considère qu’il y a une guerre en cours, ce qui est aujourd’hui le cas. Mais la question n’est pas si simple, et ne sera pas comprise de la même façon par tout le monde, rappelle le diplomate: « Nous pourrions assister à un scénario où la Russie affirme que la guerre est terminée, mais où la communauté internationale et la Turquie ne le reconnaissent pas. Sinan Ulgen estime que la meilleure position à adopter pour son pays reste une application stricte de l’esprit de la Convention, à savoir une interdiction des détroits aux navires de guerre qui ne rentrent pas chez eux ; toute autre position reviendrait à un « deux poids, deux mesures » qui ne pourrait qu’être dangereux pour la Turquie.

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