‘La zone euro est condamnée à des décennies de stagnation économique’

La zone euro est condamnée à vivre une décennie de stagnation économique et de troubles sociaux qui pourraient menacer la monnaie unique si les pays comme la France ne manifestent pas leur détermination pour mettre en œuvre des réformes cruciales, affirme l’économiste allemand Hans-Werner Sinn, qui est aussi président de l’Institut Ifo, un think tank allemand pour la recherche économique. Dans le cadre de la parution de son nouvel ouvrage, « The Euro trap » (‘Le piège de l’euro’), il a accordé une interview au journal britannique The Telegraph.

Il pense que la crise ukrainienne pourrait déclencher une récession à triple creux dans certaines parties de l’Europe. Cependant, il ne s’attend pas à un démantèlement de l’euro, mais plutôt à une stagnation, et à un regain de tensions sociales. « Vous le voyez très bien en Europe du Sud, où les gens sont confrontés à un chômage de masse, en France, où Marine Le Pen dirige le parti qui a les meilleurs résultats dans les sondages, et avec Syriza en Grèce, qui présente des décisions radicales et obtient le meilleur soutien dans les sondages ».

Sinn pense que la crise ukrainienne peut aussi avoir un impact sur la croissance des pays qui dépendent de la croissance allemande, parce plus de 40% des entreprises allemandes ont des liens avec des pays de l’Europe de l’Est et cette crise aura donc des répercussions sur toute la zone euro, par son intermédiaire.

Il estime également que la France pourrait porter un coup fatal à l’euro si ses dirigeants refusent de mettre en place des réformes orientées vers l’offre pour stimuler la croissance : « Si la France continue de cette manière et qu’elle ne veut pas réduire son train de vie et passer par l’austérité, mais qu’elle recherche plutôt des solutions keynésiennes, elle pourrait menacer la stabilité du système de l’euro. Bien sûr, emprunter en ce moment apporte du stimulus keynésien sur la demande, ce qui peut aider pendant un an ou deux, mais ne fait que reporter à plus tard les réformes nécessaires et aggrave la situation sur le long terme. (…) Cela fait des décennies que l’industrie de la France est à l’agonie. La part de la maufacture dans le PIB n’est plus que de 9%, moins de la moitié de la part allemande. Les employés qui travaillaient autrefois dans la manufacture, ou leurs enfants, ont été largement absorbés par le secteur public, qui représente maintenant un quart de la main d’œuvre, le double de l’Allemagne. Dissimuler les chômeurs dans les établissements publics n’est pas une solution saine.»

Dans son livre, il préconise un « euro respirable », c’est-à-dire un système que les pays qui rencontreraient des difficultés économiques importantes pourraient quitter momentanément, le temps de les résoudre. Pendant cette sortie temporaire, le pays pourrait procéder à la dévaluation de sa monnaie et mener les réformes nécessaires, mais il resterait légalement membre de la monnaie unique, et par la suite, il pourrait la réintégrer.

« La Grèce se serait mieux portée si elle avait quitté la zone euro en 2010, mais pas de façon permanente », dit l’économiste allemand. « Le réalignement des prix relatifs dont la Grèce et peut-être d’autres pays ont besoin ne peut pas être réalisé dans la zone euro, parce que cela apporterait ou bien une inflation astronomique dans les pays du cœur de l’euro, ou bien de la déflation en Europe du Sud qui nécessiterait une telle austérité pour la résorber, que la société pourrait se désintégrer. »

« Le but principal des réformes structurelles est de devenir compétitif. (…) Aucun rêve de politicien ne peut passer outre ce problème fondamental d’être confronté à des niveaux de prix et de salaires incorrects», affirme encore l’économiste. « L’Allemagne peut et devrait accepter plus d’inflation, mais la déflation est aussi indispensable dans les pays de l’Europe du Sud. »

« Selon les calculs de Goldman Sachs un taux d’inflation de 70% serait nécessaire en Allemagne pour rendre les pays d’Europe du Sud compétitifs sans que cela ne nécessite de baisse de prix là-bas. Cela correspond à 5,5% d’inflation par an pendant 10 ans en Allemagne ou à une moyenne de 3,6% pour la zone euro. C’est bien trop et ce n’est tout simplement pas compatible avec le mandat de la Banque centrale européenne. »

Enfin, Sinn a plaidé pour de véritables « Etats-Unis d’Europe », et il croit que la zone euro n’a pas d’autre alternative que d’aller vers davantage d’intégration. Mais il pense que l’égalisation des niveaux de vie à l’intérieur de ce grand Etat européen sera difficile à réaliser. « Je crois que c’est très improbable, compte tenu des difficultés auxquelles nous assistons actuellement, et je constate une animosité croissante à l’égard du projet européen. C’est vraiment dommage mais j’insiste : en fin de compte, l’Europe n’aura pas d’autre alternative que de s’unir ».

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