Mercredi, l’Arabie saoudite a introduit 1,5 % des actions de sa compagnie pétrolière publique Aramco à la bourse de Riyad. Le premier jour de bourse, la part a immédiatement augmenté de 10 %. Il s’agit de la plus forte augmentation autorisée en une seule journée sur le marché boursier saoudien. Il est fort probable qu’une partie considérable de cet argent aille à la Silicon Valley.
Comme Aramco avait déjà vendu 3 milliards d’actions à l’avance, le produit total a atteint 26,5 milliards de dollars. Cet argent peut être utilisé dans une large mesure pour financer des start-ups technologiques de la Silicon Valley.
Ces dernières années, les Saoudiens ont investi des milliards dans des dizaines de startups californiennes. Un certain nombre d’entre elles, telles que Virgin Galactic, Snap, Lyft, Uber et Magic Leap, sont connues. D’autres ne le sont pas du tout, car ces investissements ont été effectués dans la plus grande discrétion et par l’intermédiaire de sociétés de capital-risque. Mais tout cela n’est qu’un début. Une fois que les actions Aramco commenceront à être cotées à la bourse de Riyad, les spécialistes du secteur prévoient qu’une deuxième vague d’investissements va sans aucun doute commencer.
Le coup d’envoi d’une série d’introductions en bourse
Comme les Saoudiens n’introduisent que 1,5% d’Aramco en bourse pour le moment, cela pourrait être le point de départ d’une série d’introductions en bourse supplémentaires. Celles-ci pourraient rapporter des fonds presque illimités, qui pourront ensuite être investis dans des entreprises de technologie américaines. Avec une valeur de marché de 1.700 milliards de dollars, Aramco est immédiatement plus grosse que les deux mastodontes technologiques américains que sont Apple et Microsoft, qui valent chacun environ 1.100 milliards de dollars.
Les Saoudiens sont déjà les plus gros investisseurs du Vision Fund du fournisseur de capital-risque japonais SoftBank. S’ils ont investi une première tranche de 45 milliards de dollars en 2017, il semble clair qu’ils se préparent à réinvestir le même montant dans le Vision Fund 2.
Ces dernières années, les Saoudiens se sont souvent déplacés à la Silicon Valley. Des photos sur lesquelles on peut voir le prince héritier Mohammed ben Salmane (alias MbS) en compagnie de Tim Cook (Apple), Sergey Brin (Google) ou Bill Gates (Microsoft), ont fait le tour du monde.
Vision 2030 et la ville futuriste Neom
Diverses entreprises technologiques ont été invitées à participer à la mise en oeuvre du plan Vision 2030 de MbS. Son objectif est de rendre le royaume indépendant de ses revenus pétroliers. Une partie de ce projet est la construction de la ville futuriste de Neom. Cette ville se veut la pionnière dans le domaine du développement technologique et des énergies renouvelables.
Des documents que le Wall Street Journal a pu consulter brossent le portrait d’une ville futuriste. Elle semble tout droit sortie de la série de dessins animés de science-fiction The Jetsons. Taxis volants, drones, robots assistants, équipements de reconnaissance faciale dotés de l’intelligence artificielle (AI), pluie artificielle, lune artificielle géante qui illuminerait la ville la nuit… Tout cela serait difficile à réaliser sans l’utilisation de la technologie américaine.
Le meurtre de Khashoggi n’était qu’un trouble-fête
Le meurtre de Jamal Khashoggi il y a un peu plus d’un an semblait voué à pétrifier les projets des Saoudiens. Mais tout est possible quand on a de l’argent. Fin octobre, lors de la Future Investment Initiative (FII) à Riyad, une conférence annuelle organisée par le prince héritier Mohamed ben Salmane parfois surnommée « Davos in the Desert » (‘Davos dans le désert’), c’était déjà « business as usual ».
En plus de Masayoshi Son de SoftBank et de l’élite du monde financier, toute une série de politiciens étaient également présents. Le fait que l’ONU et la CIA aient désigné ben Salmane comme donneur d’ordre présumé du meurtre de Khashoggi avait déjà été oublié.
L’influence croissante de l’Arabie saoudite
L’influence croissante des Saoudiens sur la Silicon Valley soulève de nombreuses questions. Le mois dernier, le ministère américain de la Justice a accusé deux anciens employés du site de microblogging Twitter et un ressortissant saoudien. Ils auraient espionné quelque 6 000 Twittos qui critiquaient Riyad. Ils ont ensuite transmis ces informations aux autorités saoudiennes. Cette affaire d’espionnage montre clairement que les Saoudiens abusent des plateformes de médias sociaux pour identifier les critiques et les faire taire.
‘Les investisseurs qui fuient le royaume et ses pétrodollars reviennent. Le temps guérit. Une fois que le verdict tombe, une fois que justice est faite et que certaines têtes sont coupées, ils reviennent.’
Un proche du prince héritier Mohammed Ben Salmane
Au lendemain du meurtre de Khashoggi, le débat sur l’acceptation de l’argent saoudien faisait rage. Une minorité appelait également à plus d’éthique. Les Saoudiens ont mis la Silicon Valley dans leur poche grâce à leur chéquier. Ils continuent de verser des milliards à des startups prometteuses, sans trop d’efforts. Dans le monde des affaires, l’argent n’a pas d’odeur.
Dans le livre ‘The Killing in the Consulate: Investigating the Life and Death of Jamal Khashoggi‘ de Jonathan Rugman, l’un des proche du prince héritier, résume la situation: ‘Les investisseurs qui fuient le royaume et ses pétrodollars reviennent. Le temps guérit. Une fois que le verdict tombe, une fois que justice est faite et que certaines têtes sont coupées, ils reviennent.’
Quelles sont les véritables intentions de la maison des Saoud?
Malgré une série de mesures drastiques qui, entre autres, ont amélioré la position des femmes saoudiennes dans la société, il existe de sérieux doutes quant aux véritables intentions du régime saoudien. On craint que l’IA et les technologies intelligentes ne soient utilisées comme moyen de surveiller et de contrôler en permanence la population. Les exécutions massives dans le pays ont de nouveau été la norme ces derniers mois.
Mais l’attitude douteuse des Saoudiens en matière de droits de l’homme ne décourage en rien les investisseurs occidentaux, les consultants et le véhicule d’investissement japonais VisionFund. La crainte que les Saoudiens continuent d’acheter de l’influence à la Silicon Valley en inondant des entreprises de millions de dollars est réelle. Sauf que cette fois-ci, ce sera avec encore plus d’argent.