Le CD&V s’enfonce dans la crise et perd un deuxième ténor en quelques jours. Après le président Joachim Coens qui fera un pas de côté définitif le 25 juin, à l’occasion de la nomination de son successeur, c’est au tour du ministre flamand du Bien-être Wouter Beke, très critiqué, de jeter l’éponge. La pression était devenue tout simplement trop forte, tant de l’intérieur du parti que du public qui s’est déchaîné sur les réseaux sociaux suite à la mort d’un bébé dans une crèche. En attendant, Sammy Mahdi, qui ne devrait prendre ses nouvelles fonctions que dans un bon mois, doit déjà trouver un nouveau récit pour son parti en crise, crédité dans le dernier sondage d’un peu plus de 8%, en queue de peloton, même devancé par les communistes du PVDA.
Dans l’actualité: le ministre flamand du Bien-être et ancien président du CD&V remet sa démission lors d’une conférence de presse qui a fait du bruit en Flandre.
Le détail: la mort tragique d’un bébé dans une crèche a été la goutte d’eau d’un parcours chaotique.
- Lors de son annonce, il y a eu peu de place pour l’autocritique. « Rien à prouver »: Wouter Beke s’en est allé à l’issue d’une mise en scène révélatrice du manque de sens de la communication du ministre flamand du Bien-être, dont l’image avait déjà été bien écornée durant la pandémie.
- À côté de sa fille et de sa femme, Wouter Beke a convoqué les journalistes lors d’une conférence de presse prévue à la hâte vers 18 heures. Beke a mis en scène ses propres adieux, en mobilisant sa famille, en plus de son cabinet. Certains ont essuyé une larme, peut-être davantage en pensant à l’incertitude de leur propre sort que de celui de leur patron.
- Mais Beke a sans doute poussé le bouchon un peu loin, en dramatisant, sans grande émotion, un discours écrit depuis longtemps.
- Ce qu’il a dit ? Beaucoup de choses, sauf la raison pour laquelle il a démissionné. Il a évoqué les attaques difficilement supportables émanant des réseaux sociaux, suite au décès d’un bébé dans une crèche de Gand, alors que plusieurs plaintes avaient déjà été déposées contre elle. Une mort qui, dit-il, l’a beaucoup affecté humainement.
- Il a aussi évoqué du bout des lèvres « le sondage de la semaine dernière, qui a secoué le parti » et lui-même. « Cela m’a poussé à agir. C’est ce que je fais maintenant. Je fais ça pour donner de l’oxygène au parti. »
- Wouter Beke a également déclaré qu’il était « fier de ce qu’il avait accompli en deux ans et demi ». Au passage, il a adressé une pique aux médias : « Des réalisations qui ont à peine fait la une des journaux, mais qui ont fait la différence pour des milliers de personnes. » Dans son style habituel, Beke a également lancé de nombreux chiffres : « Si j’additionne tous les budgets, plus du double du montant que nous avions promis au CD&V pendant les élections a été réalisé. Qui peut dire la même chose ? »
- Ces mêmes médias ont également été explicitement interpelés sur leur « échec » : « Chers journalistes, les hommes politiques sont aussi des humains. Apparemment, être attaqué de manière inhumaine sur les réseaux sociaux fait partie du travail. Je pensais que les médias traditionnels devaient avoir une fonction d’entonnoir. S’ils ne remplissent pas cette fonction, ils ne doivent pas avoir peur d’une société qui se polarise. »
- Enfin, il a farouchement repoussé l’image qu’il avait cultivée en tant que président de parti, et certainement en tant que ministre du Bien-être : « Ceux qui me connaissent vraiment savent que je ne suis pas un politicien au cœur froid. Mon intégrité en tant que politicien, être humain, mari, père et militant est plus importante pour moi que tout le reste. Plus important que ce qui a été écrit sur moi dans les médias ces deux dernières années. »
Ce qui a poussé Beke à démissionner : Un homicide peut-être involontaire, de l’intérieur du parti.
- « Wouter n’a pas le talent pour traiter les gens avec empathie. » Le coup de couteau est venu de l’intérieur du parti. C’est Liesbeth Van der Auwera, bourgmestre dans le Limbourg et ancienne députée, qui a été choisie pour s’exprimer sur Radio 1, jeudi matin. Même au CD&V, on ne s’imaginait pas que Van der Auwera allait massacrer son collègue avec autant de véhémence. Elle l’a fait d’une manière particulièrement maladroite en expliquant que Beke « n’était pas fait » pour le Bien-être, et qu’il « aurait fait très différemment dans un autre département ».
- « Quand votre propre province commence à vous rejeter, vous avez un problème », commente-t-on parmi les ténors du CD&V. « Il s’agissait d’un homicide involontaire, car Van der Auwera n’en avait pas l’intention, mais cela ne rendait pas la chose moins difficile [à encaisser] », nous déclare une autre source du CD&V.
- Par la suite, un autre bourgmestre chrétien-démocrate, de Torhout, Kristof Audenaert, est venu en rajouter une couche sur la même radio. En attaquant indirectement le choix du CD&V d’intégrer la Vivaldi, à l’époque de la formation du gouvernement.
- Bref, toute cette séquence montre à quel point le parti est mal dirigé en termes de communication aujourd’hui : personne au sommet ne savait que les deux bourgmestres allaient passer à la radio. C’est un gros point sur lequel devra travailler Sammy Mahdi, qui sera le prochain à relever un défi qui court depuis 20 ans chez les chrétiens démocrates : inverser la chute continue de l’électorat du parti. Tellement de têtes sont déjà tombées sans avoir remporté ce challenge.
- La vérité, sur la séquence d’hier, est que la sortie de Beke était en fait préparée silencieusement depuis un certain temps : non seulement Mahdi, mais aussi d’autres personnalités du parti avaient déjà indiqué dans des conversations privées avec le Limbourgeois que les choses ne pouvaient pas continuer ainsi. Le plan prévoyait qu’il se retirerait au moment où la commission d’enquête sur les crèches du Parlement flamand rendrait ses conclusions : un moment logique pour préserver son honneur.
- Mais la réunion du G9 – le président, les ministres et les chefs des groupes politiques – qui se réunit traditionnellement le jeudi matin a changé d’atmosphère. Beke n’était pas censé être un sujet de discussion, mais la sortie Van der Auwera en a décidé autrement. Cette réunion a rappelé un précédent épisode durant les vacances de Pâques, lorsque Beke a d’abord offert sa démission au G9, qui l’a ensuite refusée collectivement. Cette fois, l’atmosphère était différente.
- Mais suite à la réunion, tout le monde s’est dispersé, supposant que la sortie de Beke n’était pas pour tout de suite. Mahdi est allé déjeuner avec Nawal Farhi, une députée CD&V du Limbourg qui est désignée comme son successeur au poste de secrétaire d’État à la migration.
- Un peu plus tard, Beke a convoqué lui-même le nouveau et l’ancien président du parti, Mahdi et Coens donc, ainsi que la vice-première ministre flamande Hilde Crevits, au 89 rue de la Loi, le siège du parti. Il s’en est suivi des heures de discussions, au cours desquelles tout fut mis sur la table. Après ses questions parlementaires, le vice-premier ministre fédéral Vincent Van Peteghem (CD&V) a également rejoint la réunion.
- Beke espérait-il une confirmation claire qu’il pouvait rester en place (pour le moment) ? Elle n’est jamais arrivée. Quoi qu’il en soit, lorsqu’ils se sont séparés, le licenciement n’était pas encore acté à 100 %. Beke a finalement pris l’initiative en indiquant son choix par SMS et a donné sa conférence de presse. Il faut le dire, au grand soulagement d’une immense majorité des membres du parti, même si la manière fait tache après la démission du président, coup sur coup.
La vue d’ensemble : Le gouvernement flamand devient plus instable, mais il a en même temps l’occasion de redorer un peu son image.
- « Qu’il reste en poste le plus longtemps possible », voilà ce que l’opposition flamande disait cyniquement depuis un moment. Ce n’est un secret pour personne que Beke était une aubaine pour l’opposition depuis des mois. Le CD&V payait la facture au profit de Vooruit, du PVDA et de Groen : « Chaque jour où Beke est resté en place était un jour de gagné pour nous », ont-ils admis, suite à la séquence d’hier.
- Un raisonnement très différent de celui de la N-VA, le principal partenaire gouvernemental. Il considérait Beke comme un partenaire loyal, quelqu’un avec qui il était bon et approprié de régler des dossiers. Son départ est considéré avec regret: « Il sera important de garder l’odeur de la Vivaldi hors de Martelarenplein [résidence du ministre-président flamand]. Beke était un allié dans ce domaine, tout comme Joachim Coens d’ailleurs. Rien de tout cela n’est une bonne nouvelle », a-t-on commenté au sommet de la N-VA.
- Ce qui est certain, c’est qu’avec Crevits et Beke, le « flanc flamand » du CD&V est longtemps resté ferme : les deux ministres ont adopté une ligne plus dure au niveau communautaire et n’étaient pas particulièrement enthousiastes à l’idée que leur parti s’engage au niveau fédéral dans l’aventure Vivaldi. Avec la disparition de Beke, un tout autre vent pourrait bientôt souffler, également au sein du gouvernement flamand, en provenance du CD&V.
- De plus, avec Beke, une tonne d’expérience disparaît de l’équipe ministérielle flamande. Les années passées à la présidence du parti lui ont permis d’acquérir un épais annuaire téléphonique, mais aussi de gagner le respect de ses collègues présidents de parti. Le bilan de sa carrière de président de parti reste positif.
- Mais peut-être que Beke a surjoué à l’été 2019, en combinant d’abord ce poste avec celui de ministre fédéral, puis en visant le poste de vice-premier ministre. Suite à cet échec, Beke a fini par passer au gouvernement flamand, ce qui lui a été particulièrement reproché par la fraction flamande du CD&V. Le président de parti a négocié pour lui. Cette blessure n’a jamais été guérie.
- Le ministre-président Jan Jambon (N-VA) a dû appeler Crevits lui-même hier, après avoir eu vent des rumeurs sur le départ imminent de « son » ministre, pour vérifier si ces rumeurs étaient fondées : elle les a confirmées. Pas exactement la sortie la plus structurée qui soit, d’un ministre de l’équipe Jambon.
- Pour la N-VA et, dans une moindre mesure, pour l’Open Vld, la présence de Beke dans l’équipe flamande était une arme à double tranchant : certainement dans le Limbourg, où Zuhal Demir (N-VA) se prépare à affronter le CD&V aux élections. Mais en même temps, Beke a pesé sur toute l’image du gouvernement flamand : la série d’incidents a fini par déteindre sur l’équipe, en particulier sur le ministre-président Jan Jambon. Tout comme Beke, il a reçu un sérieux coup dans les sondages de popularité.
Suivi : discussion animée à la Chambre sur l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard.
- Ce n’était pas le jour du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld). Il a repris le dossier de l’interdiction des publicités pour les jeux de hasard de son vice-premier ministre, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld). Mais ce dernier avait créé un sacré bazar, en annonçant d’abord triomphalement qu’il mettrait sur la touche son partenaire de coalition, le MR, en faisant passer la pilule par un arrêté royal. Finalement, Georges-Louis Bouchez (MR) a pu triompher : le dossier a été porté au kern, ce matin.
- Ainsi, hier, dans l’hémicycle, le Premier ministre a dû encaisser des coups, principalement de la part de l’opposition.
- Immédiatement, Peter De Roover (N-VA) a attaqué le Premier ministre sur son talon d’Achille : son amour pour les pays étrangers: « Vous avez été absent pendant quelques jours. Vous avez été à Berlin. Vous feriez mieux de ne pas faire ça, parce que c’était incroyablement excitant dans le pays », le langage corporel de De Croo montrait clairement son irritation.
- Outre l’incident entourant la publicité pour les jeux de hasard, De Roover en a rajouté une couche : « Il y a aussi M. Mahdi, pour l’instant encore secrétaire d’État et probablement bientôt président de l’un de vos partis au pouvoir, qui a exprimé sa grande confiance dans le gouvernement en ces termes : ‘Je m’attends à des élections anticipées pour bientôt' ». Les acclamations de l’opposition étaient grandes.
- Le Premier ministre a défendu son ministre, en tout cas sur le fond du dossier, en invitant l’émotion : il a lu le témoignage du père d’un joueur accro. « Le risque de suicide dans la dépendance au jeu est 15 fois plus élevé que dans la moyenne de la population jeune. Ce n’est certainement pas un cas isolé », a-t-il déclaré.
- Et il s’en est pris aussi à son partenaire de coalition, Georges-Louis Bouchez : « Certains disent que cela va tuer certains sports. Franchement, si un certain nombre de sports sont devenus dépendants de ce type de financement, il y a un autre type de problème », a-t-il asséné, sous les applaudissements nourris de tous les partis de la Vivaldi, sauf du MR.
- Les libéraux francophones ont répété leur opposition à l’interdiction de la publicité pour les jeux de hasard. Il y a peu de chances qu’un accord soit trouvé, car Bouchez a déclaré partout qu’il « bloquera » le dossier.
- De par son intervention quelque peu émotionnelle, le Premier ministre a habilement contourné la question d’existence de l’équipe Vivaldi. D’ailleurs, son vice-premier ministre Vincent Van Peteghem (CD&V) a donné un signal clair à cet égard. Interrogé sur sa réforme fiscale, il a promis de présenter des propositions concrètes avant l’été.
- L’horloge commence à tourner sur un dossier symbolique très important. Mais dans l’hémicycle, cela ne présage rien de bon : Denis Ducarme (MR) a montré très clairement qu’il n’était pas favorable à « un déplacement de l’impôt, mais une baisse de l’impôt « .
- Le CD&V a encore bon espoir de pousser une réforme majeure dans sa direction. Chez Groen, où Kristof Calvo a récemment appelé à « réécrire l’accord de coalition », la réaction dans les couloirs était enthousiaste : « Van Peteghem va maintenant faire de facto ce que Kristof a demandé: faire des réformes », disait-on.