Comme annoncé, le PS, impatient, a présenté sa grande réforme des pensions. Et comme soupçonné, certains partenaires de la majorité n’auront pas mis longtemps à la rejeter. Outre le fond, la forme est aussi critiquée. Car les détails de la réforme ont été présentés à la presse avant le Conseil des ministres de ce vendredi, lançant les hostilités publiques.
Dans l’actu: la ministre des Pensions Karine Lalieux travaille depuis 11 mois à mettre en place la fameuse réforme des retraites, premier gros dossier de la rentrée.
Les détails: sa réforme s’articule autour de trois phases.
- Une pension minimum de 1.500 euros nets d’ici la fin de la législature.
- Une série de mesures fortes:
- La première vise à fixer la même condition de carrière pour tout le monde en ce qui concerne l’accès à une retraite anticipée.
- Concrètement, dès que quelqu’un atteindra 42 ans de carrière, il pourra bénéficier d’une retraite complète à partir de l’âge de 60 ans.
- Ceux qui voudront poursuivre néanmoins leur carrière bénéficieront d’un bonus retraite. Il s’agira de 2 euros bruts par jour.
- Avec la possibilité de prendre une pension à temps partiel (bonus pension pourra être cumulé).
- L’accès à la pension minimum: cela concerne quelque 685.000 personnes, dont 60% de femmes.
- Condition effective de travail de 10 ans.
- Travailler à 2/3 temps sera considéré comme une année complète dans le calcul des pensions.
Les premières critiques pleuvent: la différence du montant de la pension ne serait pas flagrante entre une carrière de plus de 40 ans et une carrière de 2/3 de 10 ans, soit entre une pension complète et une pension minimum. La ministre rétorque que personne ne se met en dehors du marché du travail par plaisir. Avec du travail de qualité, elle fait le pari que plus de monde se mettra sur le marché du travail et plus longtemps. Les conditions d’accès au chômage de plus en plus restrictives restreignent également le nombre de chômeurs longue durée.
Notons qu’en cas de carrière incomplète, il s’agirait bien d’un prorata des 1.500 euros déterminés par l’écart entre la carrière effective et la carrière complète. C’est du moins ce qu’a confirmé la ministre. Mais ce n’est pas encore très clair à ce stade.
3. Concertation sociale et réforme du comité national des pensions où les trois régimes sont représentés (salarié, fonctionnaire, indépendant). Notamment en vue de la réforme du 2e pilier (pensions complémentaires). L’objectif est que le 2e pilier soit plus accessible, pour que chacun en bénéficie à hauteur de 3% des cotisations de son salaire brut
- La ministre affirme qu’elle ne touchera pas à la fiscalité du 2e pilier, au moins jusqu’en 2023.
- La ministre ne touchera pas au statut des fonctionnaires. S’il devait y avoir une convergence entre les régimes – comme demandé par le MR – cela se fera par le haut et pas par le bas. Comprendre: le statut privilégié des fonctionnaires ne convergera pas vers le statut plus précaire des indépendants, c’est au statut des indépendants de converger vers le « régime le plus digne » qui est celui des fonctionnaires. Idem pour les salariés.
- Cela coûterait cher ? Lalieux ne voit pas les pensions comme un coût – les retraités dépensent et par définition épargnent moins. « Les retraites ne doivent pas faire partie d’une variable d’ajustement du budget 2022 et des prochains », explique-t-elle dans l’Echo.
- Un système viable que si le taux d’emploi est de 80% ? L’ensemble des ministres doivent s’y atteler, selon la ministre, y compris Pierre-Yves Dermagne (PS), ministre de l’Emploi, qui doit présenter en parallèle sa réforme qui visera surtout à remettre au travail les plus de 55 ans, un des talons d’Achille du marché de l’emploi belge.
Les réactions: le MR, comme attendu, a rapidement dégaîné.
- Pour le président du MR, Georges-Louis Bouchez, « la réforme est hors des clous budgétaires et ne correspond pas du tout aux objectifs fixés par la coalition Vivaldi ». « On a besoin d’une réforme structurelle. Là on a une série de petites mesures qu’on devrait revoir dans 3 ou 4 ans. » Sur la forme, Bouchez regrette ce grand déballage dans la presse – Le Soir, HLN, L’Echo, De Tijd, VRT, RTBF et LN24 – avant même le conseil des ministres de ce vendredi: « Présenter des propositions comme ça à la presse, sans consultation interne, ce n’est pas sérieux. Nous ne sommes plus dans le collège des échevins de Bruxelles », a lancé Bouchez en s’adressant à Lalieux auparavant à la Ville de Bruxelles.
- Pour David Clarinval (MR), « il y a beaucoup trop peu d’attention portée aux indépendants, et il n’y a pas de convergence des pensions entre les fonctionnaires et les indépendants ». Au micro de la RTBF, il a ajouté: « Pardon mais Madame Lalieux a oublié qu’il y avait six autres partis dans le gouvernement. Sa note n’a pas été concertée, c’est SA note, aucune discussion préalable ni avec nous, ni avec les partenaires sociaux. »
- Du côté flamand, la N-VA, dans l’opposition, n’a pas tardé non à énumérer sa liste de critiques. La réforme coûterait au moins 1,2 milliard d’euros de plus pour parvenir ne fut ce qu’à porter la pension minimum à 1.500 euros: « On veut encore une fois dépenser de l’argent qu’on n’a pas, sans aucune adaptation valable pour rendre la réforme soutenable pour les générations à venir », réagissent les nationalistes qui résument la réforme de Lalieux en quelques mots: travailler moins pour avoir une plus belle pension sur le dos des générations futures. « Contrairement à ce qui est nécessaire, le travail effectif n’est pas récompensé par une meilleure pension. C’est une gifle en plein visage pour ceux qui auront contribué pendant des décennies à notre société ».
- Du côté de la majorité, le CD&V accueille les détails de la réforme avec beaucoup de prudence. Aux micros de la VRT et de VTM, le vice-premier ministre Vincent Van Peteghem dit avoir « beaucoup de questions », même s’il avoue n’avoir « reçu encore aucun plan », ce qui l’oblige à réagir à ce qui est apparu dans la presse, « c’est un peu étrange ».
- Pour Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, « les gens doivent recevoir le signal que le travail paie », « l’idée qu’une courte contribution est suffisante n’est pas un bon modèle ». Moins véhément que son collègue francophone, le libéral flamand enjoint au gouvernement fédéral de faire son travail pour remettre les choses à plat.
L’essentiel : la Vivaldi se dirige vers un affrontement inévitable.
- Avec les projets de Lalieux, le PS joue cartes sur table : il s’agit clairement d’une réforme de gauche sur les retraites. Ainsi, les socialistes francophones, après la crise Corona, ne veulent plus éviter la discussion socio-économique au sein du gouvernement.
- La question est de savoir comment les partenaires vont réagir. Il est certain que Vooruit, avec son vice-premier ministre Frank Vandenbroucke, jouera un rôle crucial à cet égard. Dans un passé (lointain), en tant que ministre des Affaires sociales, il était très préoccupé par l’accessibilité financière à long terme du système fédéral. Mais en même temps, il est un spécialiste absolu dans le domaine des pensions.
- Et sa position, mais aussi celle de son parti, semble avoir évolué : sous Conner Rousseau (Vooruit), il n’est pas question que la promesse des 1.500 euros s’effrite. Tout indique que les socialistes flamands seront effectivement un allié du PS.
- D’autre part, il y a le bloc libéral qui est très réticent sur les plans des socialistes. Le CD&V, qui veut du mouvement sur le marché du travail, semble rejoindre le bloc bleu : tout doit être abordable, tout doit être réaliste.
- Mais les chrétiens-démocrates peuvent aussi de jouer les ponts entre les libéraux et les socialistes. « Joachim Coens doit être à peu près le seul président de la Vivaldi qui parle encore à tout le monde », dit un observateur privilégié de la rue de la Loi. « Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que tout le monde reste uni et à la tâche », entend-on avec une assurance évidente du côté du CD&V.
- De leur côté, les Verts ne devraient pas mettre des bâtons dans les roues des socialistes. Il n’y a d’ailleurs pas encore eu de réactions à chaud de leur part.
- Les pensions sont devenues le premier grand test décisif pour la cohésion du gouvernement. Le budget et la fiscalité doivent suivre, même si ce dernier dossier est déjà quelque peu repoussé : les discussions ne manqueront pas de faire surface là aussi, si le PS le veut bien.
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