Les valorisations ridicules de Lyft et Uber

ANALYSE – Le service de taxi alternatif Lyft a fait ses débuts en bourse à Wall Street vendredi. L’action Lyft a clôturé la journée avec un bénéfice de 9 % par rapport au cours d’introduction. Selon les investisseurs, l’entreprise vaut désormais 24 milliards de dollars, soit 2 milliards de plus que le même matin.

Les marchés boursiers ne semblent pas tenir compte d’indicateurs prédictifs d’un ralentissement de l’économie. Les investisseurs ont particulièrement peur de rater une opportunité fantastique (FOMO) et se sont donc empressés de souscrire des parts du service de taxi alternatif. Mais un sacré boulot attend maintenant Lyft. Elle doit maintenant convaincre les investisseurs qu’elle dispose d’un business model rentable. Pour ce faire, il faudra attirer davantage de clients tout en réduisant les coûts. Ce ne sera pas chose facile, car chaque fois qu’un conducteur Lyft conduit aujourd’hui, l’entreprise subit une perte de 40 %.

Lyft et Uber, c’est du pareil au même

Sa concurrente Uber va également faire son introduction en bourse. Selon Goldman Sachs et Morgan Stanley, la valorisation de la société est estimée à 120 milliards de dollars. Cette société a également développé un vaste réseau de taxis alternatifs dans différentes villes du monde. Mais ce n’est pas si difficile quand on subventionne chaque trajet. UberEats est même gratuit dans plusieurs villes (pour gagner des parts de marché). L’année dernière, la société a gagné 24 cents pour chaque dollar reçu. En 2017, c’était 34 cents par dollar. La société perd un demi-million de dollars … par heure et a une marge bénéficiaire négative de 57 %. [À titre de comparaison : quand Amazon a perdu 1,4 milliard de dollars sur un chiffre d’affaires de 2,8 milliards de dollars en 4 trimestres – une marge négative de 50 % – elle a licencié 15 000 employés. Uber abaisse sa structure de coûts en réduisant la rémunération des chauffeurs, mais semble maintenant avoir atteint la limite parce que le roulement des chauffeurs augmente.

Uber dispose également de 20 milliards de dollars d’investissements, soit 2 600 fois plus qu’Amazon. Avec cet argent, elle a écarté les compagnies de taxi traditionnelles (elles ne peuvent pas subventionner les voyages) et a plus de conducteurs en concurrence les uns avec les autres. Mais plus il y a de conducteurs Uber sur la route, plus les clients sont pris en charge rapidement et moins le chauffeur individuel peut effectuer de trajets. Et moins il peut gagner sa vie. Comme Uber ne possède pas de voitures, elle ne peut pas planifier sa capacité et dépend entièrement du caractère aléatoire de ses conducteurs.

Lyft et Uber, représentantes de « l’économie du partage »

Beaucoup se demandent donc ce que certains seront prêts à payer pour une action Lyft (ou Uber) dans les 12 mois prochains, par exemple. Les deux sociétés ont pleinement profité de ce que l’on nomme «l’économie du partage», un terme presque magique pour un concept qui a particulièrement érodé la classe moyenne américaine. Le marché du travail américain est en plein essor depuis plusieurs années maintenant. Un smartphone et une voiture suffisent pour se lancer. Mais les salaires stagnent depuis 30 ans maintenant. Ce phénomène, c’est ce que Scott Galloway, professeur de marketing à la NYU Stern School of Business, appelle la prospérité sans progrès. Et ce sont des entreprises comme Uber et Lyft qui en sont les représentantes.

Wall Street estime donc pour le moment Uber à 120 milliards de dollars. À titre de comparaison, c’est autant qu’American Airlines, Delta, Ford, Hertz, Embraer, JetBlue, Matson et Royal Caribbean … réunies.

Des « disrupteurs » ? Pas vraiment…

Uber emploie 16 000 personnes, contre 568 000 pour les sociétés citées précédemment. Lyft compte 4 600 employés et peut compter sur 1,4 million de conducteurs, qui ont le statut de «contractants». Les deux entreprises se vantent d’être des «disrupteurs». L’utilisation de ce terme semble garantir des IPO où l’on utilise allègrement un montant correspondant à 10 fois le chiffre d’affaires annuel à titre de valorisation. Mais les entreprises qui sont évaluées à 10 fois leur chiffre d’affaires annuel ont normalement 3 choses en commun, écrit Galloway :

  • une croissance explosive
  • des revenus récurrents
  • des effets de réseau.

Lyft a le premier (ses revenus ont doublé en 2018 par rapport à l’année précédente). Toutefois, les revenus récurrents et les effets de réseau sont réservés à des sociétés telles qu’Amazon, Netflix, Facebook et Microsoft.

Des effets de réseau pour Lyft et Uber ?

Les effets de réseau signifient que chaque personne qui utilise votre service présente le concept avec enthousiasme à ses amis, puis interagit avec eux sur la même plate-forme. Pensez à ce qui se passe avec Facebook et Instagram, par exemple. Pour Lyft – et aussi pour Uber – l’effet de réseau est bien plus limité.

Uber affirme que son application facilite la vie des conducteurs et leur fait économiser de l’argent. C’est un mensonge. Plus de conducteurs signifie plus de concurrence et moins de trajets par conducteur. Les effets de réseau (avantages auxquels les compagnies aériennes et les compagnies de transport de colis peuvent prétendre) ne s’appliquent pas à Uber et à Lyft. Les clients de taxi ne se connectent pas au taxi suivant.

Les deux peuvent créer des effets d’échelle, mais pas dans la même mesure qu’Instagram, par exemple. Chaque fois que quelqu’un tape un terme de recherche dans Google, le moteur de recherche est trois milliardièmes fois plus performant pour la prochaine personne qui utilisera Google. Chaque fois qu’Uber et Lyft transportent un client, le client suivant n’en profite pas.

Il y a donc des chances pour que dans quelques années, Lyft recueille la valorisation qui se rapporte aux autres entreprises du secteur des transports. Et ce sera moins de la moitié, selon Galloway.

[media-credit name= »Getty Images » align= »alignnone » width= »634″]Dara Khosrowshahi, le CEO d[/media-credit]

La fable de la voiture autonome

Enfin, il y a la fable de la voiture autonome. Dans le magazine New Yorker, Dara Koshrowshahi (photo ci-dessus), CEO d’Uber, a déclaré l’année dernière que tout espoir reposait désormais sur l’Advanced Technologies Group (ATG). C’est la division d’Uber qui est responsable du développement des voitures autonomes. Elle doit mettre sur le marché une voiture automotrice économique le plus rapidement possible. L’Américain d’origine iranienne est très optimiste quant à l’impact des voitures autonomes sur les coûts de transport. Parce que le coût des chauffeurs va alors disparaître. Mais….. cela signifie qu’Uber devra investir massivement dans une flotte de voitures autonomes. Plutôt qu’une entreprise de technologie, Uber serait considérée comme une entreprise de taxi qui achète et contrôle des voitures robotisées.

Lyft et Uber: des puits subventionnés sans fond ?

Uber et Lyft ont réussi à faire passer leur popularité pour un succès commercial. Mais rien n’est moins vrai. L’histoire selon laquelle le leadership du marché générerait des bénéfices a déjà été démystifiée et les deux ne sont pas en mesure de trouver une meilleure histoire. Ce ne sont pas les entreprises de taxis, mais les investisseurs qui finiront par signer la condamnation à mort d’Uber & Co, parce qu’à long terme, leur business model est un puits subventionné sans fond. D’ici là, ces entreprises n’auront qu’à trouver des personnes prêtes à payer encore plus que ce que d’autres avaient bien voulu investir jusqu’ici. Mais dans le climat boursier actuel, vendredi nous avons encore eu la confirmation que cette « inflation abondante des actifs, dans laquelle le prix des actifs est soutenu artificiellement et la surcapacité est maintenue exagérée”, dixit Geert Noels, n’était pas trop difficile à réaliser. 

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