Le signe le plus visible des catastrophes à venir ce ne sont pas les glaciers qui fondent mais le Gulf Stream qui s’affaiblit, et ça a déjà commencé

Les glaces fondent, perturbent l’océan, jusqu’à dérégler le système mondial de courants océaniques. Ce n’est plus une théorie : les premiers signes en ont été observés. Et c’est un nouveau monstre qu’on lâche sur le climat mondial.

Le Gulf Stream est un immense courant océanique chaud qui part de l’archipel des Antilles pour remonter vers le golfe du Mexique et les États-Unis. Il suit ensuite les côtes de ce pays avant de traverser l’Atlantique, et de lécher les côtes de l’Europe. Le Gulf Stream fait partie d’un immense réseau mondial de courants qu’on appelle la circulation thermohaline, et qui a un rôle capital sur le climat de notre planète. Dans son cas, il réchauffe une Europe qui devrait être bien plus froide à une telle latitude. Mais le Gulf Stream s’essouffle.

Des témoignages irréfutables

Ce fut longtemps une théorie catastrophiste : le Gulf Stream pourrait s’affaiblir à cause du réchauffement climatique, à cause des changements dans la température des océans et dans leur salinité, au fur et à mesure que fondent les banquises. Cette possibilité est toutefois étudiée très sérieusement depuis le début des années 2000, et on a dorénavant la preuve que ça a déjà commencé.

Chris Piecuch, océanographe physique à la Woods Hole Oceanographic Institution, Massachusetts, et Lisa Beal de l’Université de Miami, Floride, ont assimilé plusieurs ensembles de données d’observation des détroits de Floride pour étudier les changements dans le transport de volume du Gulf Stream depuis 1982. Les résultats sont sans appel : avec 99% de certitude, le courant a ralenti de 4% en seulement 40 ans. Une observation d’ailleurs corroborée par trois ensembles de données indépendants : câbles sous-marins, altimétrie par satellite et observations in situ.

La première preuve que les courants changent

« C’est la première preuve observationnelle concluante et non ambiguë que ce courant océanique a subi un changement significatif dans un passé récent », écrivent les scientifiques dans leur étude, qui a été publiée dans Geophysical Research Letters. « Nous avons amené tous les témoins à la barre que nous pouvions techniquement impliquer pour réunir tous ces ensembles de données. Une fois que nous avons synthétisé les témoignages de tous les différents témoins, ils ont peint une image très claire que, effectivement, au cours des 40 dernières années, le Gulf Stream s’est affaibli d’environ 4 %, ce qui est significatif. C’est plus que ce à quoi on s’attendrait si le courant était stable ; donc, c’est un changement important. »

Quelles seraient les connaissances d’un affaiblissement du Gulf Stream, et quand les effets se manifesteront-ils ? C’est difficile à dire : une étude précédente réalisée par le professeur Peter Ditlevsen de l’Université de Copenhague avançait la possibilité d’un effondrement du système des courants océaniques entre… 2025 et 2095.

Quant aux effets, d’aucuns avancent un possible refroidissement de l’Atlantique Nord, suite au tarissement de ce courant d’eau chaude venu des Antilles. Mais personne ne sait si le Gulf Stream pourrait vraiment s’estomper ni si ce refroidissement – en moyenne de 8 à 15°C selon les estimations, ce qui serait énorme – se ressentirait à l’intérieur des terres. En outre, le régime des pluies serait aussi perturbé, en particulier en Amérique du Nord, ce qui pourrait s’avérer catastrophique pour les récoltes. Mais tout cela reste au conditionnel.

Des hivers européens plus froids ?

Selon le rapport spécial du GIEC Océans et Cryosphère de 2015, le ralentissement de la circulation thermohaline pourrait conduire à des épisodes hivernaux plus marqués en Europe, à une réduction des pluies estivales au Sahel et en Asie du Sud, à une diminution des cyclones tropicaux dans l’Atlantique Nord, et accentuer l’élévation du niveau de la mer sur les côtes du nord-est de l’Amérique du Nord. Mais le troisième rapport d’évaluation du groupe d’experts climatiques précisait déjà en 2001 que « même dans les modèles où la circulation thermohaline s’affaiblit, il y a toujours un réchauffement sur l’Europe. »

Et c’est là un point à garder en tête : les changements climatiques causés par le réchauffement global de la planète ne seront pas contrebalancés par des épiphénomènes plus froids. Les hivers européens peuvent être plus rudes, cela n’empêchera pas les canicules l’été, comme actuellement en Sibérie. Et encore moins les sécheresses dans une région et les inondations à l’autre bout du monde.

Un scénario d’autant plus catastrophique que des hivers froids nous feraient consommer de grandes quantités d’énergie, y compris probablement depuis des sources fossiles qui aggraveraient le réchauffement global. Nous nous dirigeons vers un monde en moyenne plus chaud, et assurément plus chaotique, dans lequel le Gulf Stream n’est qu’un des dragons que nous avons perturbés.

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